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Eric Leal : «Arrêtons de dire que c’est compliqué d’investir à La Réunion»

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Eric Leal : «Arrêtons de dire que c’est compliqué d’investir à La Réunion» | business-magazine.mu

Maurice devrait se positionner comme un pôle régional pour la distribution des marques. Pour le CEO du Groupe Leal, le succès de la prochaine étape du développement reposera sur l’ouverture.

BUSINESSMAG. Vous venez d’ouvrir un showroom d’environ Rs 400 millions à La Réunion. Est-ce un pari sur l’avenir?

Si vous le permettez, je vais faire un retour en arrière car c’est une promesse que nous avons faite à BMW, nos clients et nos employés. Ce projet était sur nos tablettes dès notre installation dans l’île car nous n’arrivions pas à offrir la qualité de service que nous voulions et n’atteignions pas, non plus, le volume souhaité. Sans ce type d’investissement, il était impossible d’y parvenir.

Notre présence à La Réunion s’insère dans le cadre d’un projet à plus long terme. Nous avons commencé en 2006 avec un magasin Apple. Aujourd’hui, nous sommes à trois magasins. De six employés, nous sommes passés à 107. Avec le taux de change, c’est assez compliqué de vous donner un chiffre exact, mais je peux vous dire que La Réunion représente entre 30 % et 33 % de nos activités. Elles sont divisées en trois segments : BMW, Apple ainsi que les produits Microsoft, Symantec et Veritas, dont nous sommes les distributeurs.

BUSINESSMAG. Est-ce que cela veut dire en même temps que la croissance se trouve hors du territoire mauricien ?

Le rayonnement de Maurice repose sur deux axes principaux: attirer les investisseurs mais aussi se positionner comme plate-forme de distribution régionale pour des marques. Singapour l’a fait dans le passé et Dubaï le fait très bien aujourd’hui.

Le bureau de Microsoft pour la région océan Indien, par exemple, est basé à Maurice. Nous agissons en complémentarité à cette activité marketing de Microsoft. Nous assurons la livraison des produits et nous nous occupons de la formation des clients. Je pense qu’effectivement nous avons les moyens de devenir un regional centre of excellence…

BUSINESSMAG. Et pour l’expansion du groupe Leal en particulier ?

Notre activité consiste à développer des marques. Ce qui ne correspond pas avec le développement des lignes de produits. Je n’y crois pas. Par exemple, nous ne ferons pas 10 000 dentifrices de marques différentes pour avoir 100 % de parts de marché. Nous ne serons pas des vendeurs de dentifrices, mais nous sommes des développeurs de marques de qualité. D’ailleurs, nous en avons trois.

BUSINESSMAG. Tout de même, il faut reconnaître que l’exiguïté du marché mauricien n’offre pas de grandes perspectives en termes de développement…

Un ancien patron de banque m’avait raconté que lorsqu’il était arrivé à Singapour, il y avait 800 000 habitants et à son départ, il y en avait 4 millions. Idem pour Dubaï qui a vu une croissance de sa population. Tout ceci pour vous dire que Maurice doit emprunter la même voie.

BUSINESSMAG. C’est-à-dire s’ouvrir davantage ?

Tout à fait ! Maurice dispose des atouts nécessaires pour devenir un hub régional en matière de distribution.

BUSINESSMAG. Qu’entendez-vous exactement par ouverture ?

Si on s’attend à ce que les autres pays accueillent des Mauriciens, il faut également pouvoir en faire de même. C’est la seule façon pour se donner les moyens de nos ambitions.

BUSINESSMAG. Cela dit, Maurice attire en moyenne de Rs 10 milliards d’investissements directs étrangers (IDE) annuellement. C’est aussi une forme d’ouverture ?

Bien sûr, mais le paysage évolue s’agissant de la production. Dans le processus de développement menant au statut de pays à revenu élevé, certaines industries vont disparaître et il faudra les remplacer…

BUSINESSMAG. Trouvez-vous que le secteur non productif attire trop d’IDE ?

Que cela ne plaise ! Je reprends l’exemple de Singapour et de Dubaï. La petitesse de notre marché nous impose des limites. Dans certains cas, nous n’avons même pas la masse critique pour envisager de nous positionner à l’exportation. Maurice a besoin de consolider son marché domestique, que ce soit avec des touristes ou avec des expatriés, pour contempler l’exportation dans certaines filières.

BUSINESSMAG. Revenons à votre implantation à La Réunion. D’autres avant vous se sont plaints de la lourdeur administrative et ont dû rebrousser chemin. Comment cela s’est passé pour Leal ?

Il y a deux manières de voir les choses. La Réunion est un territoire européen. Donc elle applique les lois et les normes européennes. Ces normes peuvent créer une certaine lourdeur mais d’un autre côté, nous sommes la preuve qu’avec l’aide du Conseil régional et de la mairie, entre autres, nous arrivons à faire des choses assez rapidement.

Notre expérience nous permet de dire qu’il y a ici une valorisation de l’investissement qu’il soit local ou étranger.

BUSINESSMAG. Donc, il y a eu un changement dans le climat des affaires ?

Nous ne savons pas s’il y a eu un changement, mais notre constat, c’est que cela s’est bien passé. Nous n’avons pas les moyens pour établir une comparaison avec ce qui se faisait avant. Cela dit, il faut souligner que de gros efforts sont déployés par le Conseil régional pour maintenir une relation de proximité avec les hommes d’affaires mauriciens. J’espère que nous servirons d’exemple et qu’on arrête de dire que c’est compliqué. Je tiens aussi à souligner qu’il y a également pas mal d’entreprises réunionnaises installées à Maurice.

BUSINESSMAG. Leal Réunion peut-elle servir de tremplin pour augmenter votre présence ailleurs ?

Certainement, mais il faut comprendre que ce n’est pas le même modèle qui s’applique partout. À La Réunion, nous travaillons en direct. Par contre, aux Seychelles nous fonctionnons autrement. Nous sommes distributeurs de BMW et de Microsoft dans l’archipel, mais nous travaillons avec des partenaires locaux. Nous nous chargeons de la formation du personnel et de la conservation du stock. C’est une question de s’adapter à la culture et à la réalité de chaque marché.

Il faut comprendre que les constructeurs ont besoin de nous tout comme ils ont eu besoin de Singapour dans le passé car en Europe, il est devenu extrêmement cher de gérer des petits marchés. Nous avons de grands marchés, mais à l’échelle mondiale nous sommes petits. Pour les constructeurs, il est plus sensé de confier cette responsabilité à quelqu’un d’autre. Eux, ils se contentent d’avoir une personne pour la zone océan Indien. Toutefois, lorsque vous ajoutez tous ces marchés, il y a quand même du volume. Je peux vous dire que cette année, on représente 1 500 véhicules chez le groupe BMW sur le plan régional. En guise de comparaison, en 2001, à Maurice, le marché total du neuf toutes marques confondues incluant les camions était de 3 700 véhicules. Et certainement, 1 500 BMW valent plus en roupies que 3 700 véhicules.

Le marché évolue et nous devons continuer à jouer pleinement notre rôle, sinon quelqu’un d’autre va le faire. Cela a été le cas pour l’Afrique du sud.

BUSINESSMAG. Quelle est la contribution de l’international aux revenus du groupe Leal ?

Sur le plan des revenus, nous sommes à 30-33 %. S’agissant de la profitabilité, vu que nous sommes un groupe familial, nous ne nous attendons pas à un retour rapide aussitôt après un investissement. Nous sommes plus dans la durée. Pour BMW à La Réunion, nous sommes très en avance sur nos projections. Comme vous le savez, chez BMW, on est très pointilleux et cherche à voir les chiffres. D’ailleurs, BMW a un accès direct à notre comptabilité et à nos banquiers également.

Nous avons un niveau de profitabilité qui est appelé à augmenter dans les prochaines années. Le fait que nous ne sommes pas en Bourse ne nous impose pas certaines obligations. Quand nous investissons dans un bâtiment, c’est avec l’idée qu’il s’agit d’un actif. Chez Leal, nous avons toujours été propriétaire. C’est donc de la création de valeur.

BUSINESSMAG. Cette structure familiale vous confère plus de flexibilité ?

Elle peut être lourde également. Fort heureusement, dans le cas de Leal, nous avons une structure légère. Nous avons décidé de faire confiance à des managers et à des directeurs qui ne sont pas nécessairement membres de la famille. Certains services ont été centralisés, comme la comptabilité, et ceux qui les dirigent ont une grande indépendance.

Dans le passé, nous avons travaillé avec des partenaires étrangers et pour chaque décision, il fallait appeler la maison mère. Chez nous, cela ne se passe pas ainsi. Nos collaborateurs opèrent selon des budgets définis. Nous intervenons lorsque c’est nécessaire.

BUSINESSMAG. À l’ère de la bonne gouvernance où on évoque de plus en plus la nécessité d’avoir des administrateurs indépendants, êtes-vous à l’aise avec votre structure ?

Nous sommes une entreprise familiale, mais nous avons des administrateurs indépendants avant même l’adoption du code de bonne gouvernance. Plusieurs comités ont été institués pour veiller justement au respect des normes en matière de gouvernance.

BUSINESSMAG. Des gouvernements successifs ont souligné l’impérativité d’un rajeunissement du parc automobile mauricien. Constatez-vous une réelle démarche en ce sens ?

Il faut retourner à une mesure budgétaire datant de l’année dernière qui a permis 10 % de croissance sur le marché du neuf. Oui, cela va dans le bon sens mais il reste quand même beaucoup à accomplir à ce niveau. À La Réunion, nous sommes à 26 000 véhicules neufs, tandis qu’à Maurice nous sommes à environ 10 000 cette année-ci. Le gouvernement pourrait gagner plus d’argent du secteur de l’automobile si on vendait plus de véhicules neufs.

BUSINESSMAG. En contrepartie, comment est-ce qu’on retire de vieux véhicules du circuit ? Certaines personnes pensent que nous devons nous inspirer du Japon en permettant aux concessionnaires d’exporter des véhicules remis en état vers l’Afrique. Est-ce possible ?

À Maurice, les taxes sont conséquentes ; les voitures sont chères. Donc, il faut se demander comment un pays où les voitures sont chères pourra exporter du seconde-main vers des pays où les voitures sont à meilleur marché!

Ce qu’il faut encourager, c’est le recyclage. Aujourd’hui, tout est recyclable dans un véhicule. Nous devons créer une chaîne industrielle d’accompagnement du secteur automobile où les véhicules seront entièrement démontés et recyclés.

BUSINESSMAG. Tel n’est pas le cas actuellement ?

Malheureusement, non ! Il est aussi important de dissocier propriété et utilisation. On pourrait prendre l’exemple de Londres où tout le monde peut avoir une voiture neuve mais en même temps, on ne peut pas se rendre n’importe où sans payer. C’est le principe de base et je pense que l’idée a fait son chemin auprès des pouvoirs publics.

BUSINESSMAG. Cela dit, des initiatives ont aussi été prises pour tenter de booster la vente de véhicules écologiques. Est-ce qu’il y a eu un impact ?

Est-ce que le Mauricien veut une voiture écologique ? Je ne suis pas sûr ! La voiture écologique reste un produit cher. En septembre, on atteindra la 100e voiture BMW plug-in. Il y a un intérêt, mais il n’est pas forcément énorme. Le problème demeure toujours la taxation.

C’est toute une problématique. Un petit véhicule essence de 1000 cc consomme moins et pollue moins qu’un véhicule hybride de 3000 cc. C’est ridicule de dire qu’il faut payer moins de taxe à l’achat d’un véhicule hybride de 3000 cc. Puis, pourquoi pénaliser la personne qui achète une voiture de 1000 cc d’autant plus qu’on ne peut pas prouver que l’hybride de 3000 cc consomme moins et pollue moins ? Il faut encourager le petit véhicule peu polluant aussi bien que le gros véhicule hybride.

BUSINESSMAG. Comment donc ? Le secteur est déjà lourdement taxé…

À Maurice, en moyenne, nous sommes à 70 % hors enregistrement. Sur une voiture de moins de 1000 cc, le taux le plus bas et de 45 %. La taxe est aussi frappée par la TVA. Donc, on paye la TVA sur le CIF du véhicule et on repaye la TVA sur les 45 %.

BUSINESSMAG. À votre avis, faut-il revoir cette formule ?

Je ne dirai pas que c’est mon avis. Je ne parle pas au nom de la Motor Vehicle Dealers Association (MVDA) non plus. Mais la MVDA a toujours promis aux gouvernements successifs que des baisses de taxe ramèneraient plus d’argent dans les caisses de l’État. Nous avons tenu nos promesses à chaque fois que cela était nécessaire.

BUSINESSMAG. Nous avons constaté pas mal de berlines reconditionnées sur les routes mauriciennes. Comment cette tendance vous affecte-t-elle ?

Je n’utiliserai pas le terme reconditionné car je ne sais pas si le véhicule a été vraiment reconditionné. Je dirai plutôt que les véhicules de seconde main importés, mais là encore pas par des concessionnaires. En effet, ces véhicules ont presque tué le marché de l’automobile neuf en 2001. Cette année-là, tout le monde a perdu beaucoup d’argent. De mémoire, le marché du neuf était tombé à 37 %. On avait commencé à ressembler plus au Kenya qu’à l’île Maurice. Lorsque ce genre d’importation ne se fait pas sur un pied d’égalité sur le plan fiscal, cela pose problème.

Quand je parle de pied d’égalité, c’est sûr qu’un véhicule de seconde main doit être déprécié mais à partir de quelle base valeur ? D’ailleurs, ce n’est pas un secret que la MVDA a poursuivi le fisc sur ce sujet. Donc, oui cela a été un frein et je reste convaincu qu’avec une taxation zéro, il y aurait eu très peu de voitures de seconde main à Maurice.

BUSINESSMAG. Plusieurs modèles importés par Leal, à l’instar de la Kwid, du Duster, sont fabriqués en Inde. Quel a été l’accueil des Mauriciens envers ces véhicules ?

La réaction a été très positive. La Kwid est une des voitures les mieux vendues à Maurice. Pour ce qui est du Duster, il n’y en avait pas en boîte automatique au départ, mais cela a été réglé. Donc, le Duster aussi se vend très bien.

Par exemple, la Nissan March ou Micra est fabriquée en Thaïlande pour le Japonais. Si celui-ci peut acheter le produit, je ne vois pas pourquoi le Mauricien ne peut pas…

BUSINESSMAG. Ce n’est pas un compromis sur la qualité ?

Aucunement ! Aujourd’hui, les marques ont leurs propres usines en Inde. C’est pareil pour Volkswagen, qui produit au Brésil, en Chine, mais c’est Volkswagen, le produit est identique. Les produits Renault qui viennent de l’Inde sont fabriqués par Renault.

Nous avons affaire à des constructeurs qui sont propriétaires à 100 % de leurs usines dans ces marchés et de là ils exportent. Dans le passé, nous avons importé des BMW de l’Afrique du Sud, mais aujourd’hui ce n’est plus sur notre supply route. Mais il faut dire que la plupart des BMW fabriqués en Afrique du Sud ne sont pas destinés au marché sud-africain, dont la direction est à droite. Les véhicules sont produits pour le marché américain. BMW profite ainsi de la fameuse loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA). Encore une fois si l’Américain peut accepter une voiture produite en Afrique du Sud, pourquoi est-ce que ce ne serait pas le cas ailleurs ?

BUSINESSMAG. Maurice peut-il devenir un centre d’assemblage?

C’est impossible ! Nous n’avons pas le volume pour envisager que les premiers 20 % de la production soient écoulés localement et que le reliquat soit exporté. L’Afrique du Sud arrose déjà ses voisins par la route. Il faut se concentrer sur l’avenir. Maurice est un centre des affaires et aussi de la finance. On peut également devenir un centre pour la distribution de marques dans cette partie du monde.

BUSINESSMAG. Il y a eu pas mal de tergiversations sur l’introduction de l’essence éthanolée à Maurice. Désormais, on parle d’E-5. C’est faisable ?

La question très importante: avec quoi est-ce qu’on va mélanger cet éthanol ? 100 % des voitures commercialisées par la MVDA sont compatibles. Mais avec quoi on fait le mélange ? Si ce n’est pas avec le carburant approprié, cela ne marchera pas.