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Hector Espitalier-Noël : «NMH est inopéable»

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Hector Espitalier-Noël : «NMH est inopéable» | business-magazine.mu

Hector Espitalier-Noël, CEO du groupe ENL, s’est confié à Business Magazine le temps d’une conversation à bâtons rompus la semaine dernière. Il revient sur les projets de son groupe et certains sujets de brûlante actualité.

BUSINESSMAG. Vous avez évoqué récemment un projet de centre commercial en Afrique. Où en est-il ?

Effectivement, nous avons prospecté en Afrique avec l’idée de développer des centres commerciaux. Nous avons visité plusieurs sites, nous avions identifié un partenaire à Nairobi, et un terrain relativement bien placé. Après étude de faisabilité et une analyse du revenu par habitant, entre autres, nous constatons que le projet devient assez difficile. Notre conclusion, c’est que dans les premières villes africaines (les capitales), la population à laquelle on veut accéder est limitée.

Au niveau de sa rentabilité donc, nous sommes un peu moins confiants. Le projet se présente bien, avec de bons ingrédients, mais la rentabilité n’est pas assurée. Et si nous voulons aller investir en Afrique, la rentabilité est un facteur clé, car nous n’allons pas en Afrique pour développer des projets avec une rentabilité équivalente à celle que nous pouvons avoir à Maurice. Il faut avoir une rentabilité plus élevée. C’est difficile de trouver le bon pays, le bon modèle, le bon partenaire. Il faut mettre tous ces ingrédients ensemble avant de pouvoir progresser.

Nous sommes en train de réorienter notre stratégie vers les secondes villes, là où les prix des terres sont plus raisonnables et avec un certain potentiel de développement.

BUSINESSMAG. Mais vous connaissez le continent. Vous êtes déjà en Afrique…

Nous sommes présents à travers NMH (New Mauritius Hotels) au Maroc et diverses opérations de Rogers dans le domaine de l’aviation et du réceptif. Nous sommes aussi à Madagascar et à La Réunion, et nous avons un hôtel aux Seychelles. Mais nous n’avons pas d’investissements conséquents en Afrique. Par contre, nous avons une stratégie africaine, Explore.

Certes, il y a de grandes opportunités sur le continent, mais notre objectif n’est pas de faire des investissements intempestifs et imprudents en Afrique. Nous avons trois personnes à ENL qui travaillent à plein temps à notre Africa Desk. Celui-ci a identifié l’Afrique comme un relais de croissance potentiel. Nous travaillons à identifier des possibilités d’investissement raisonnables et réalistes et ‘risk doable’ pour ENL. Les opportunités sont énormes mais il y a des risques. Chaque pays africain comporte des risques spécifiques, et c’est difficile d’identifier les projets dans un pays spécifique avec des risques bien maîtrisés.

BUSINESSMAG. En parlant de risques justement, que s’est-il passé pour NMH au Maroc ?

Nous avons réalisé un projet prometteur au Maroc, mais notre partenaire a été malhonnête ; il a fallu rectifier les choses. De plus, le Maghreb, où se trouve justement le Maroc, n’est pas l’endroit le plus porteur actuellement pour investir. Nous n’avons pas la partie facile au Maroc en ce moment, mais je précise bien, en ce moment. Tomorrow is another day and we are patient people!

BUSINESSMAG. Dans quelle mesure le rachat des parts du Royal Palm Marrakech a pesé sur l’endettement de NMH ?

Cela représente entre Rs 3,5 et Rs 4 milliards de l’endettement.

BUSINESSMAG. Certains médias avaient évoqué récemment une OPA sur NMH. Qu’en est-il au juste?

OPA ? Quelle OPA ? Entre une rumeur d’OPA et une OPA, il n’y a pas qu’un fossé ; il y a une tranchée ! Quelques bonshommes se sont mis ensemble pour contempler, apparemment un jour, d’acheter des parts importantes de NMH. Ce n’est pas une OPA. Il n’y a rien de plus que cela qui s’est passé.

BUSINESSMAG. Mais vous avez vite sécurisé votre position…

Nous n’avons rien sécurisé; nous avons acheté des parts additionnelles de 5,82 % et cette transaction est intervenue sur le crossing board de la Bourse de Maurice, le mois dernier. Il y a des actionnaires de NMH qui souhaitaient vendre et nous ont proposé d’acheter. Ils voulaient vendre et nous, nous voulions acheter. Donc, cela s’est fait !

BUSINESSMAG. Donc le risque est écarté ?

Quel risque ? Nous avons maintenant 30 % de NMH. Faites-nous confiance. Nous espérons qu’au moins 20 % des autres actionnaires ne nous détestent pas ! Et il ne faut pas croire que d’autres peuvent tellement mieux faire que nous. Nous sommes satisfaits qu’avec le profil d’actionnariat de NMH aujourd’hui et du fait que nous détenons 30%, NMH est inopéable.

BUSINESSMAG. À un certain moment, le groupe TUI s’intéressait à NMH…

D’après ce que j’ai compris, le groupe TUI veut acheter des actions dans pas mal de compagnies cotées en Bourse, à Maurice. It’s part of its investment plans. Mais je ne pense pas qu’il ait songé à une OPA sur NMH.

BUSINESSMAG. Mais NMH n’exclut pas d’amener un partenaire stratégique dans son capital…

Nous n’excluons rien du tout. Ni NMH, ni ENL. Tout est possible. La stratégie, c’est ce que nous savons faire. Donc, il n’y a pas de grand intérêt à trouver un partenaire stratégique pour NMH. Mais nous étudions des pistes comme le Hospitality Fund, dans lequel nous allons transférer quelques hôtels et qui nous permettrait de faire une levée de fonds. Dans ce sens-là, oui, nous pourrions avoir des partenaires stratégiques.

La majorité des hôtels, dans le monde entier, ceux de Four Seasons par exemple, ne sont pas possédés par Four Seasons. Ils sont possédés par des fonds d’investissement immobiliers. Ce modèle-là nous intéresse. Parce qu’actuellement nous possédons tous nos murs ; mais ce n’est pas une obligation. Donc, nous pouvons diminuer un peu l’intérêt que nous avons dans certains de nos murs, lever des capitaux et poursuivre notre développement tout en réduisant un peu notre dette.

BUSINESSMAG. Quelles sont les activités qui seront les plus porteuses pour ENL dans les années à venir ?

Pour nous, ce sera évidemment le foncier, puisque nous avons 15 000 arpents de terre et nous voulons développer 10% de ces terres sur les quinze prochaines années. Nous avons déjà créé des valeurs foncières et nous allons continuer à capitaliser sur notre principal atout. En développant des centres commerciaux, résidences, appartements, écoles, universités, business parks, regional offices pour des multinationales, etc. Les Smart cities nous ouvrent aussi un nouveau marché avec de nouvelles opportunités pour les étrangers en termes d’acquisitions de biens.

BUSINESSMAG. Où en êtes-vous avec la fusion ENL Land/ENL Investissement ?

Elle est effective depuis le 1er février. ENL Investment a disparu car ENL Land a absorbé cette entité. Toutefois, cela ne change rien dans la stratégie du groupe. C’est tout simplement une rationalisation juridique et financière. Nous allons continuer à consolider les pôles de développement dans lesquels nous opérons.

Les pôles dans lesquels je crois le plus sont l’immobilier, le tourisme et les services financiers. Mais les autres pôles sont tout aussi importants. L’agriculture a encore de beaux jours devant elle. Je pense ne pas être trop optimiste en disant que nous avons touché le fond en ce qui concerne les prix du sucre. D’ailleurs, je pense que les prix pour la récolte qui s’annonce vont être meilleurs – et j’espère bien meilleurs que ceux de l’année dernière – et l’agriculture reprendra des couleurs. Il y a aussi la logistique, un secteur dans lequel je crois beaucoup. Puis il y a les centres commerciaux, si on croit dans l’avenir de Maurice, on croit dans l’avenir des centres commerciaux. Je crois qu’ENL est dans les bons secteurs.

BUSINESSMAG. Que nous manque-t-il en termes de facilitation des affaires ?

Le vrai enjeu, c’est l’ouverture du pays aux étrangers. C’est la vraie décision stratégique de Maurice. C’est une décision difficile car cela envoie aussi un message aux Mauriciens qu’ils vont avoir la vie plus difficile, car ils vont avoir des concurrents. Les concurrents vont travailler dur, vont se lever de bonne heure pour aller travailler, vont aller dormir tard. Ils ne vont pas se la couler douce. Les Mauriciens devront travailler dur et la concurrence va aider à relever le niveau, partout dans le pays.

C’est dur à dire et à entendre, mais il va falloir avoir le courage de le faire car il y va du futur de notre pays. Cette perspective ne m’enchante pas, moi non plus, parce que moi aussi je serai en compétition avec des gens qui seront peut-être plus compétents que moi, qui vont se réveiller plus tôt que moi. Mais il faut voir les bénéfices pour le pays à long terme et ‘take the challenge’. C’est ça l’île Maurice du futur, l’île Maurice dans dix ans.

BUSINESSMAG. Le gouvernement est-il sur la bonne voie selon vous ; que faut-il faire pour franchir enfin le cap de 5 % de croissance ?

Quand on dit qu’il faut dépasser 5 %, cela ne veut rien dire. C’est comme si on dit qu’il faut courir le 100 mètres en 9 secondes, mais encore faut-il pouvoir le faire ! Pour moi, la croissance à 5 %, ce n’est pas dans l’immédiat. Encore que le secteur touristique pourrait nous réserver quelques bonnes surprises… À moins d’aller doper la croissance avec des investissements publics massifs, démesurés et inutiles ; ce qu’il ne faut pas faire, d’ailleurs. On devra se contenter d’une croissance un peu moindre, mais ce n’est pas dramatique.

Si on réalise cette année une croissance de 3,5 % ou 4 %, ce n’est pas mal du tout. Le pays ne va pas régresser avec ce type de performance. Il faut arrêter de dire qu’on est en difficulté à Maurice parce qu’on a une croissance de 3,5% ; ce qui est mieux que dans pas mal de pays. Il faut se dire qu’on a connu une croissance supérieure à 3 % pendant plusieurs années alors que l’Europe et nos principaux partenaires commerciaux ramaient pour avoir une croissance positive. On ne va quand même pas dire qu’on a réalisé une mauvaise performance. On ne va pas s’autoflageller ! Nous avons tendance parfois à déraper vers des excès inutiles ; allons plutôt prendre la mesure de ce que nous avons fait et se féliciter de ce que nous avons pu faire de positif.

BUSINESSMAG. Que faut-il faire ou ne pas faire dans la conjoncture actuelle ? Par exemple, le gouvernement avait raidi la ligne concernant les travailleurs étrangers…

Il faut permettre aux travailleurs étrangers de venir travailler à Maurice, moyennant qu’ils soient traités dans des conditions correctes. S’il y a des travailleurs mauriciens qui veulent toucher Rs 5 000, alors que l’entreprise ne peut pas payer plus que Rs 3 000 – au risque de fermer –, il faut accepter que les étrangers viennent.

Il faut aussi voir la situation concernant les postes à plus haute responsabilité, dans l’hôtellerie par exemple. Je sais que des Mauriciens se plaignent, parce qu’on amène des étrangers en quantité alors qu’il y a plein de Mauriciens qui pourraient faire l’affaire. ENL est un des plus gros employeurs dans le secteur touristique à travers NMH, mais est-ce que vous pensez sérieusement que je suis un imbécile ?

BUSINESSMAG. Nous n’oserions pas...

Admettons que je sois un imbécile. Je recrute deux personnes : un est Mauricien, l’autre est Français. Les deux ont un niveau équivalent et sont performants de la même manière. Et je paie le Français cinq fois plus cher que le Mauricien. C’est brillant comme idée ! Alors, la question est de savoir pourquoi est-ce que je vais payer un Français cinq fois plus cher qu’un Mauricien si je peux employer un Mauricien qui va faire le même travail que le Français ? Et en tant qu’employeur, c’est clair que je préfère employer des Mauriciens, parce que j’ai plus de facilités à m’entendre avec un Mauricien plutôt qu’un étranger. C’est le cas pour nous tous d’ailleurs, parce que nous sommes des Mauriciens. Alors pourquoi je vais m’embêter à aller chercher un Français ou un Allemand, qui me coûtent beaucoup plus cher s’il y a des Mauriciens pour faire le même job ? Il faut réfléchir un peu… Nous ne sommes pas imbéciles à ce point. Nous n’allons pas dilapider notre propre argent juste pour le plaisir d’employer des étrangers à la place des Mauriciens ! Si on le fait, c’est qu’il y a une technicité que ces gens-là ont et que nous n’avons pas.

BUSINESSMAG. L’économie a donc besoin des travailleurs étrangers ?

Bien sûr que oui, que ce soit dans la zone franche, la construction ou le tourisme. À ENL, nous avons des étrangers et ils nous apportent énormément de choses, des idées différentes, des expériences différentes, des approches différentes. Souvent ils ont une capacité de travail phénoménale qui, quelque part, contribue à tirer tout le monde vers un niveau supérieur. Tout simplement parce que dans une entreprise, nous avons tendance à suivre les personnes qui sont plus performantes.

Donc cela fait du bien à tout le monde, ces atouts-là. Si vous me dites le contraire, je vous dirai que c’est très narrow minded, très étriqué, c’est penser petit. Et si on veut penser petit par rapport à l’avenir de Maurice, on aura de petits résultats. Celui qui pense petit n’a pas beaucoup de chances d’avoir des résultats autres que petits, dans le meilleur des cas !

BUSINESSMAG. D’où viendra la croissance pour Maurice dans les années à venir ?

La croissance va venir du tourisme, de l’immobilier et des services financiers. Pour peu que le gouvernement ait le courage de maintenir le bon cap.

Il n’y a pas grand-chose à changer. Je crois qu’il faut arrêter de dire aussi que tout va mal, que c’est foutu, kot pays la pé allé ? Et plus ça change, plus c’est pareil. Quand vous dites que les politiciens sont mauvais, que le secteur privé est mauvais, ça ce n’est pas mon problème. Mais il faut dire les choses positives ; cela fait du bien de temps en temps d’entendre des choses positives. Ce n’est pas nécessaire de faire l’éloge de quiconque, mais il faut reconnaître qu’il y a des choses positives qui se passent à Maurice, peu importe qui les fait ou ne les fait pas.

Nous devons être fiers de nos acquis et récolter avec joie les résultats de nos efforts. Nos ancêtres ont réussi à ne pas s’entretuer et à créer une société qui aujourd’hui émerveille tout le monde et qui fait venir des étrangers en vacances chez nous. Nous devons en être fiers. Maurice a une histoire et des traditions intéressantes à raconter et à entendre. Elle a une population intelligente et sympathique. L’atmosphère est spéciale. Nous avons des complexités mais nous avons réussi à vivre ensemble.

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