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Raju Jaddoo : «Il est temps d’envisager un rééquilibrage fiscal»

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Raju Jaddoo : «Il est temps d’envisager un rééquilibrage fiscal» | business-magazine.mu

Le secrétaire général de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Maurice revient sur les principales propositions du mémoire pré-budgétaire de l’association. Il insiste surtout sur la nécessité de revoir le régime fiscal actuellement en vigueur, pour plus d’équité.

BUSINESSMAG. Lors d’une interview accordée à Business Magazine en 2014, vous avanciez que ce serait une bonne année, si la politique ne primait pas sur l’économie. Depuis, vous vous êtes fait très discret. Pourquoi ?

Je pense que la politique a primé sur l’économie pendant tout ce temps, notamment avec les élections générales et l’arrivée au pouvoir du présent gouvernement. Pour ma part, je crois au travail d’abord et puis on pourra parler de réalisations. En tant que secrétaire général de la Chambre de commerce et d’Industrie de Maurice (CCIM), j’estime qu’il est important que nous réalisions en interne des projets dont bénéficieront nos membres et la communauté des affaires. Nous avons été très actifs sur ce plan, à essayer de tisser des relations plus étroites avec des institutions internationales, régionales et, bien sûr, locales. Nous avons aussi lancé de nouveaux services comme l’arbitrage, qui marche très bien.

Nous avons par ailleurs revu tout ce qui concerne le remboursement fiscal et lancé la Tax-free digital platform avec une composante très intéressante pour les petites et moyennes entreprises (PME). Nous comptons aider celles-ci à se familiariser avec le commerce en ligne dans les mois à venir. Nous avons toujours eu à cœur d’aider le pays.

BUSINESSMAG. La création de la Tax-free digital platform vise à inciter les touristes à dépenser davantage lors de leur séjour sur notre île. Joue-t-elle pleinement son rôle ?

Ce qui est important, ce n’est pas seulement le nombre de touristes qui viennent à Maurice mais aussi le nombre de nuitées que ces derniers passent dans nos hôtels et le montant de leurs dépenses. Si l’on tient compte du fait que seuls 5 % des touristes réclament un remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), cela sur un total de quelque Rs 1,4 milliard de ventes, on réalise que la Tax-free digital platform représente une opportunité incroyable. À savoir que les magasins qui sont partie prenante de cette initiative ont augmenté de 300 à plus de 1 000 en l’espace de trois ans.

BUSINESSMAG. Dans son mémoire pré-budgétaire, la Chambre prône une fiscalité allégée afin de favoriser la croissance économique. Parmi les propositions formulées figurent, notamment, une baisse de la Corporate Tax (CT) de 15 % à 12 %. Vos commentaires.

Effectivement, la Chambre a demandé une baisse de la Corporate Tax (CT). Le problème est qu’à l’heure actuelle, la CT est de 15 % mais des entreprises se retrouvent à devoir payer beaucoup plus à cause de taxes (levies) propres à certains secteurs. Dans le même temps, des opérateurs d’autres secteurs payent bien moins que 15 % en raison des accelerated capital allowances, ce qui fait qu’il y a des disparités. Cela mérite réflexion, surtout pour les entreprises qui sont taxées à plus de 15 %. Il s’agit donc de se poser la question : est-ce que le but de la politique fiscale est d’attirer les investissements dans les secteurs dont font partie ces compagnies ou seulement de collecter des revenus ?

Si l’on veut qu’un business model soit durable, il ne doit pas être basé uniquement sur des short-term tax considerations. C’est pourquoi en 2006, dans le cadre de la dernière «vraie» réforme fiscale, on avait annoncé un flat rate de 15 %. Aujourd’hui, on voit que l’Angleterre nous emboîte le pas et que Trump (NdlR, Donald Trump, président des États-Unis), lui, parle de 15 %. Peut-être étions-nous en avance mais il faut se dire qu’avec les actifs fiscaux que nous avons, d’une part, et les secteurs qui constituent notre économie, de l’autre, il est temps d’envisager une redistribution.

BUSINESSMAG. En plus de la CT, quels autres réajustements fiscaux préconisez-vous ?

Il serait sans doute bon de rappeler que le Made in Moris est actuellement frappé de plus de 40 taxes. Par ailleurs, les recettes fiscales à Maurice sont ainsi réparties : TVA 37 %, droits d’accise (excise duties) 20 %, CT 13 % et impôt sur le revenu (income tax) seulement 10 %. Le Passenger Fee, taxe aéroportuaire, ne représente, lui, que 1,5 % de ces revenus. De plus, les droits d’accise concernent pour l’heure seulement 20 codes HS (NdlR, système de nomenclature du Système Harmonisé, développé et maintenu par l’Organisation mondiale des douanes). Le temps est donc peut-être venu pour un rééquilibrage en matière de fiscalité et il faudrait, pour cela, une réflexion à long terme.

BUSINESSMAG. Le vieillissement de la population est aussi l’une de vos préoccupations. Le mémoire pré-budgétaire suggère, par exemple, une révision des seuils de déduction fiscale pour encourager les ménages à avoir plus d’un enfant…

C’est vrai. Le développement économique sera forcément influencé par les enjeux démographiques. C’est pourquoi, dans notre mémoire pré-budgétaire, nous avons abordé la question du seuil de déduction fiscale (NdlR, la CCIM suggère, entre autres, que ce seuil passe de Rs 505 000 à Rs 750 000 pour les contribuables ayant trois «dependent relatives»).

Nous sommes aussi venus de l’avant avec le Negative Income Tax Regime, une mesure destinée aux contribuables dont les revenus sont inférieurs à Rs 25 000. Ils recevront une aide mensuelle allant jusqu’à Rs 2 000, ce qui devrait, en outre, redorer la consommation.

BUSINESSMAG. En plus d’une refonte du régime fiscal, comment le pays pourrait-il éviter une crise démographique et les dommages collatéraux qu’elle provoquerait ?

Il ne s’agit plus d’avoir les moyens ou pas. Nous devons faire front parce que nous n’avons pas le choix. Le taux de fertilité est descendu à 1,36 % à Maurice. On ne va pas changer les mœurs du jour au lendemain mais le plus important à savoir, c’est qu’il y a des coûts associés à cette situation. Nous ne pouvons rester dans le modèle économique actuel, qui est déjà déficitaire ; il faut absolument qu’il y ait une transformation économique !

En tant que pays visant le statut d’économie à haut revenu, il est impératif que Maurice trouve de nouveaux secteurs qui lui permettront de créer davantage de richesse. La National Export Strategy lancée par le gouvernement et sur laquelle nous avons aussi travaillé démontre que nous sommes figés sur les mêmes secteurs et marchés depuis des années. La diversification est essentielle, surtout dans un contexte où le commerce international est en train de chuter. Cela ne va pas se faire du jour au lendemain mais nous sommes en train de bâtir là où nous avons un avantage comparatif.

Qu’avons-nous comme atouts à Maurice ? Nous ne pouvons bâtir un secteur pour lequel il nous faudra importer de la main-d’œuvre alors que de nombreux Mauriciens sont au chômage ou espérer que la génération Facebook trouvera de l’emploi dans les secteurs traditionnels. Autrement, on continuera à parler de skills mismatch. La question est de savoir à quelle vitesse on peut accélérer la transformation économique du pays. Il faut également commencer à réfléchir au retour sur investissement.

BUSINESSMAG. L’indice de confiance rendu public début mai par la CCIM montre une progression de 4,5 % (+4,4 points) au premier trimestre de 2017 pour atteindre 101,9 points. Comment expliquez-vous cette hausse ?

J’aimerais d’abord souligner qu’il ne s’agit pas là du point de vue de la Chambre mais de l’état d’esprit des entrepreneurs. Selon moi, ce regain de confiance durant la troisième année du mandat gouvernemental peut s’expliquer par le fait que les Mauriciens ont tendance à faire preuve d’attentisme pendant un certain temps, avant de prendre les choses en main. Aujourd’hui, ils se disent qu’ils ne pourront pas changer la donne et par conséquent, se réinventent. L’on aura aussi noté qu’il y a eu beaucoup de changements dans la sphère politique ces trois dernières années. Même à la direction du ministère des Finances, il y a eu trois ministres en trois ans. Or, chacun d’eux a sa vision et la mise en œuvre des mesures présentées ne se fait pas en un jour. Depuis les élections législatives de décembre 2014, nous avons eu un premier Budget (NdlR, mars 2015, Vishnu Lutchmeenaraidoo), puis la Vision 2030 (NdlR, août 2015, sir Anerood Jugnauth, alors Premier ministre) et un nouveau ministre des Finances (NdlR, mai 2016 à ce jour). Aussi, est-il normal que cela crée un manque de visibilité sur l’avenir.

BUSINESSMAG. Diriez-vous que le pays va désormais dans la bonne direction ?

Je dirai que oui, parce que nous avons des opérateurs expérimentés. Je fais confiance à la maturité des Mauriciens. L’économie, c’est une question de confiance. La tendance mondiale nous préoccupe davantage. Les changements de politique au niveau local peuvent nous affecter mais il y a plusieurs grosses boîtes internationales qui opèrent dans le pays. Il y a donc un «portfolio effect» que nous sommes en train de considérer ; nous essayons de faire ce que j’appelle un «self-immunising portfolio», par le biais de la diversification. Le service des technologies de l’information et de la communication (Tic), par exemple, n’est pas pour le marché local.

BUSINESSMAG. L’on a remarqué des divergences entre les perspectives de la CCIM et celles de Business Mauritius. Peut-on parler malgré tout de cohésion au sein du secteur privé ?

Cela fait quatre ou cinq ans que nous faisons des projections à la Chambre car nous avons des économistes et nous utilisons un modèle économétrique. Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls, il y a la MCB, par exemple, qui a son modèle. Toutefois, au niveau du secteur privé, c’est la Chambre qui se charge de publier les prévisions de croissance. J’aimerais ici faire un pas en arrière pour rappeler que lorsque le gouvernement avait annoncé un taux de croissance de plus de 4 %, nos estimations s’établissaient, elles, à 3,4 % et nous étions les seuls à proposer ce chiffre. Mon intention n’est pas de polémiquer mais plutôt de mettre l’accent sur le travail scientifique que nous faisons. Nous réalisons régulièrement des sondages et faisons des recommandations sur les mesures à prendre pour franchir le prochain cap. Mais il faut pouvoir voir la réalité des chiffres.

BUSINESSMAG. Permettez-moi d’insister : y a-t-il cohésion entre les acteurs du secteur privé ?

Je vous répondrai ainsi : il y a parmi nous une diversité qui reflète celle de notre économie et aussi une diversité au niveau de la taille. À la MCCI, 60 % de nos membres sont des petites et moyennes entreprises (PME). Nous couvrons tous les secteurs et plusieurs organisations siègent à notre conseil. Directement ou indirectement, nous avons une écoute. De ce fait, lorsque nous faisons des recommandations, ce sont des evidence-based policy proposals.

BUSINESSMAG. Quelle est la position de la Chambre sur le salaire minimal ?

Il ne s’agit pas ici de la Chambre. Tout employeur responsable et patriote est animé d’une volonté de bien rémunérer ses employés. D’ailleurs, aucun de nos membres ne s’est prononcé contre la notion de salaire minimal. Le débat se situe à un autre niveau : on ne peut recommander un salaire minimal alors que l’on continue d’émettre des remuneration orders. Business Mauritius est à juste titre en train de démontrer qu’il faut qu’on puisse parler le même langage. Il faut que Statistics Mauritius réalise des études sur l’évolution des salaires au fil du temps en fonction de la valeur des actifs et de l’affordability.

BUSINESSMAG. Le gouvernement est à mi-mandat. Êtes-vous d’avis que le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, présentera un Budget populaire dans le but de favoriser sa réélection ?

À Maurice, ce qui est clair, c’est que tout est politisé, malheureusement. Pravind Jugnauth est conscient des attentes de la population et étant donné qu’il préside le Conseil des ministres, il doit aussi réaliser que l’économie est primordiale. L’essentiel, ce n’est pas la relance car le taux de croissance est déjà entre 3,3 et 3,4 % mais plutôt d’aller plus vite en peu de temps. En tant que PM et ministre des Finances, Pravind Jugnauth a la chance de pouvoir agir en faveur des changements comme il n’aurait pu le faire avant. Il a cette marge de manœuvre et j’espère qu’il l’utilisera. It makes economic sense. Pour en revenir à votre question, je dirai que personne ne veut être impopulaire. À mon avis, Pravind Jugnauth veut se démarquer. Nous n’allons peut-être pas obtenir des gains à court terme mais nous, les opérateurs économiques, pensons que certaines décisions doivent être prises pour anticiper l’avenir. Les reprises ne se font pas en huit à neuf mois.

BUSINESSMAG. Une croissance à 3,4 % est-elle donc satisfaisante à vos yeux ?

Je ne dis pas que je suis satisfait. Je pense que nous méritons mieux : une croissance de 5, voire 6 %. Mais, pour moi, la priorité, c’est la qualité de la croissance. Je reviens sur l’endettement du pays. J’ai déjà dit qu’il ne faut pas faire une fixation sur cette problématique mais il convient de se poser la question : si demain on emprunte davantage, quel sera le retour sur investissement? Il faut pouvoir quantifier les choses. Il en va de même quand nous nous engageons sur de gros projets d’infrastructure. De plus, dans une île Maurice qui va bientôt fêter ses 50 ans d’indépendance, il est essentiel qu’il y ait une transparence totale et que l’on puisse situer les responsabilités. Le temps est venu pour une Fiscal Responsibility Act afin de rendre tout le monde responsable de ses actes, surtout en ce qui concerne l’argent des autres. Nous devons pouvoir justifier nos actions et en répondre.

BUSINESSMAG. Avez-vous d’autres attentes par rapport au prochain Budget ?

Je m’attends à ce que le ministre des Finances jette les bases d’un projet d’investissement ambitieux dans l’infrastructure productive du pays ; qu’il ait une vision très claire des priorités et présente des mesures pour faciliter l’obtention de permis. Je souhaiterais également que le pays ait des régulateurs indépendants et compétents, redevables au Parlement et qui seront nommés pour une période de plus de cinq ans, soit hors des cycles politiques. Ce sont les régulateurs qui contrôlent les enjeux relatifs à 30-40 % du produit intérieur brut.