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Shakeel Mohamed: « Les salaires sont vraiment pathétiques à Maurice »

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Shakeel Mohamed: « Les salaires sont vraiment pathétiques à Maurice » | business-magazine.mu

Le ministre du Travail jette un pavé dans la mare : nous sommes encore un pays à bas salaire. Il faut, selon lui, une réforme en profondeur pour changer la politique salariale dans le secteur privé. Shakeel Mohamed a déjà commencé à baliser le terrain en demandant au National Remuneration Board de revoir les Remuneration Orders dans les métiers où l’on pratique un salaire en dessous de Rs 6 500.

BUSINESSMAG. Statistics Mauritius constate une hausse du chômage cette année surtout parmi les jeunes. De manière générale quel diagnostic faites-vous du marché de l’emploi ?

Le chômage est en hausse surtout parmi les jeunes de moins de 25 ans. à mon avis, il est tout à fait normal que les jeunes quittant l’université soient à la recherche d’un travail.

Le chômage est aussi plus élevé parmi les femmes. Il y a une certaine réticence d’aller vers certains emplois où l’on travaille à des heures inhabituelles. C’est la raison pour laquelle le secteur de transformation de la pêche qui comprend des usines opérant sur un système de rotation emploie nombre de femmes expatriées.

Quant au taux de chômage chez les hommes, il se situe autour 4 %. Un chiffre qui équivaut à une situation de plein-emploi, selon les économistes et statisticiens. Dans la conjoncture économique venir dire qu’un taux de chômage avoisinant les 8 % est extrêmement élevé n’est pas exact. Il est toutefois nécessaire de créer de l’emploi pour les jeunes et les femmes autant que pour les hommes.

Le ministère du Travail a analysé les causes de la progression du chômage. La raison est assez simple et connue : il y a beaucoup de Mauriciens qualifiés, mais pas dans les domaines offrant de l’emploi. Nous nous retrouvons donc avec un vrai problème de « mismatch ». Il y a aussi une grande proportion de Mauriciens qui ne sont tout bonnement pas formés. Ceux-là ne sont pas employables. D’autres qui ont étudié jusqu’au secondaire boudent les métiers
manuels.

BUSINESSMAG. Les employeurs évoquent le manque d’employabilité parmi les diplômés qui, souvent, n’ont pas de formation adéquate. Que fait le ministère pour s’attaquer à ce problème ?

àmon avis, un jeune qui ne détient qu’un Higher School Certificate n’est pas employable. Nous avons des institutions préprofessionnelles, « vocationnelle » et tertiaires qui dispensent une formation professionnelle. Le jeune qui vient de quitter le secondaire a aussi, à sa disposition, une série de facilités introduites par le gouvernement pour ce qui est du paiement de ses frais d’études. En outre, il peut bénéficier d’une allocation pendant la durée de la formation. Or, beaucoup de jeunes ne profitent pas de ces offres.

Le secteur de la construction emploie quelque 6 000 travailleurs étrangers. Au niveau de mon ministère, on cherche à comprendre pourquoi ce secteur n’intéresse pas les Mauriciens. La réponse est simple. En moyenne, les employés des grandes compagnies de construction touchent Rs 400 par jour tandis qu’un maçon qui travaille à son compte peut obtenir jusqu’à Rs 1 200 par jour. Dans une telle situation on voit mal pourquoi un Mauricien choisirait de travailler pour une entreprise de ce secteur. Cela explique pourquoi il y a un manque de main-d’œuvre dans la construction pour les grandes compagnies seulement et non dans le secteur informel.

Il est vrai que le National Remuneration Board (NRB) prévoit un Remuneration Order qui stipule le paiement d’un salaire minimum de Rs 400 par jour. Mais c’est le strict minimum. Autrement dit, l’employeur doit avoir la marge de manœuvre pour payer plus que cette somme à son employé. La loi de l’offre et de la demande doit s’appliquer pour que l’employé gagne plus. Ce n’est pas le cas à Maurice où les entrepreneurs ont trouvé la solution avec les travailleurs étrangers. Ce faisant, ils gardent les salaires au plus bas. 

BUSINESSMAG. Pourquoi avoir  gelé le recrutement d’ouvriers étrangers dans la construction alors que les Mauriciens ne s’y intéressent pas?

Ce gel en lui-même m’a permis d’analyser la situation. Mon analyse démontre tout d’abord que les salaires pratiqués sont très loin du « market rate». J’ai d’ailleurs envoyé un document au NRB pour la révision du seuil minimum de salaire dans ce secteur.

Deuxièmement, ce gel m’a permis d’apprendre que pendant les deux premières années, l’entrepreneur ne paie rien en termes de National Pension Scheme pour les travailleurs étrangers, alors que cela est obligatoire pour les travailleurs mauriciens. Le ministère du Travail a déjà contacté la Sécurité Social pour amender les règlements afin que l’emploi des travailleurs étrangers soit régi par les mêmes conditions que celui des Mauriciens.

Nous avons déjà démarré les négociations avec les instituts de formation publics et privés pour mettre en place un nouveau système de formation assorti d’une rémunération pour former des jeunes dans les domaines où la main-d’œuvre étrangère est prisée.

Le ministère a également proposé une Training Levy payable par l’employeur qui recrute des ouvriers expatriés. L’argent servira à former des Mauriciens.

BUSINESSMAG. Il y a beaucoup de métiers que les Mauriciens refusent d’exercer ici, qu’ils exercent tout de même à l’étranger parce que les salaires y sont plus attrayants. Ne faudrait-il pas une véritable réforme générale pour revaloriser ces métiers ?

J’étais au Canada récemment où j’ai rencontré les employeurs de travailleurs mauriciens. Ils étaient tous élogieux soutenant que les Mauriciens sont très productifs.

Je me suis alors posé la question : comment les Mauriciens font-ils pour travailler si bien ailleurs et non pas dans leur propre pays ? La vérité est que le salaire des Mauriciens est trop bas et laisse à désirer à Maurice. Le businessman mauricien veut faire un maximum de profits dans le moins de temps possible. Pour lui, la hausse des salaires est synonyme d’augmentation du coût de production. Pour moi, cela veut dire réduit tes profits ! Ce n’est pas dans l’intérêt de l’entreprise, ni du pays, encore moins du travailleur mauricien qu’on continue avec pareille mentalité.

Il est temps de nous mesurer à la réalité. Si une entreprise ne peut se permettre de payer quelqu’un plus de Rs 5 000 à  Rs 6 000 par mois, alors pourquoi avoir une entreprise en premier lieu ? C’est une insulte à la personne qu’on emploie car on ne peut survivre avec un tel salaire. Je remets en question le schéma structurel économique de l’île Maurice. Doit-on continuer à avoir une réaction négative à l’augmentation du salaire, car cela fait peur aux employeurs ? On parle de crise économique, de problèmes dans le monde, mais la réalité est que nous sommes un Low Wage Earning Country.

Je veux que les Mauriciens puissent avoir un salaire décent. C’est pour cela que j’ai envoyé un document au NRB pour qu’on revoit le seuil minimal de rémunération dans tous les secteurs où les salaires sont moins de Rs 6 500.

Je voudrais ouvrir une parenthèse pour parler de l’hôtellerie à Maurice où l’on se plaint un peu trop. N’oublions pas que nos hôtels figurent parmi les plus chers au monde. Ils ont été construits à des prix mauriciens tandis que les revenus sont en euros. Cela explique pourquoi il faut revoir l’accès aérien. Encore une fois, si on veut créer de l’emploi dans le secteur touristique, les efforts doivent émaner non seulement des opérateurs, mais aussi des autorités.

Si on se concentre trop à protéger Air Mauritius infiniment qu’adviendra-t-il du pays en fin de compte ? Est-ce qu’en aidant Air Mauritius, on est en train d’aider la République de Maurice ? Pas du tout !

Déjà, les billets d’Air Mauritius sont parmi les plus chers au monde. Les Maldives et les Seychelles sont moins chères sur la même distance kilométrée. Air Mauritius n’est pas capable de se repenser pour aider l’île Maurice. En aidant Air Mauritius pour des raisons émotionnelles, on est en train de détruire l’île Maurice pour de fausses raisons. Il nous faut revoir cela pour pouvoir continuer à créer de l’emploi pour les jeunes dans le secteur touristique où les beaux jours sont à venir.

BUSINESSMAG. Ciblez-vous le secteur touristique spécifiquement ?

Nous sommes un pays à vocation touristique. Cela dit, on a les meilleures écoles d’hôtellerie de la région et du monde entier. Des jeunes y sont en train d’être formés. Or, les hôtels peinent à recruter.

En tant que ministre responsable de l’emploi, je pense que nous pouvons créer plus d’emplois seulement si les opérateurs peuvent mettre de côté cet engouement pour les profits.

Au sujet d’Air Mauritius, on peut commencer à réfléchir une fois pour toute à une solution. Dans les années ‘90, elle était la compagnie nationale qui aidait au développement touristique de l’île Maurice. Aujourd’hui, Air Mauritius est à bout de souffle : elle ne peut plus aider.

BUSINESSMAG. Air Mauritius est tout de même en train de se restructurer…

Oui, bien sûr, mais entre-temps, le pays souffre ! La solution doit être le Total open skies. Si par exemple, d’autres lignes aériennes souhaitent opérer sur la destination Maurice : qu’elles viennent ! Pourquoi seulement Emirates ? Pourquoi pas Qatar ou Etihad ?

Nous avons de plus en plus de chambres d’hôtels, mais les sièges d’avion pour venir à Maurice n’ont pas augmenté. Cela a une répercussion directe sur la création d’emploi dans ce secteur. Tout est relié. On aura un accord en deux phases avec le Québec bientôt pour employer les Mauriciens dans l’hôtellerie. Il y a d’autres groupes hôteliers du Moyen-Orient qui s’intéressent au recrutement des Mauriciens. Je le précise encore une fois : qui dit emploi dit aussi salaire décent. à Maurice, nos salaires sont vraiment pathétiques.

BUSINESSMAG. Pourquoi le dire maintenant alors que vous êtes ministre depuis 2010 ?

C’est seulement après avoir analysé tous les secteurs que j’ai réalisé cette année- ci qu’il faut qu’on change la donne.

Personnellement, je suis tout à fait pour une augmentation assez rapide du salaire au niveau local. Il y a certains qui disent que cela donnera lieu à des pertes d’emplois. Je veux tout de même que cela culmine sur un National Minimum Remuneration Wage.

BUSINESSMAG. Comment avez-vous calculé ce seuil de Rs 6 500 ?

Ce chiffre est le résultat de mes discussions avec les syndicats. J’ai choisi d’aller possiblement vers un National Minimum Remuneration Wage, mais en deux étapes. La première est ce qu’on fait en ce moment : on demande au NRB de revoir tous ces secteurs se trouvant sous le seuil de Rs 6 500.

Eventuellement, jusqu’à 2014, j’espère être davantage prêt pour pouvoir décider sur un National Minimum Remuneration Wage. Il nous faut avoir un regard différent si on veut passer au stade d’un High Income Earning Country.

Cela implique la participation des employeurs, mais aussi des employés. Je vous donne un exemple : nous avons 161 soudeurs étrangers à Maurice, alors que j’ai envoyé presque 200 soudeurs mauriciens au Canada. Je veux qu’on puisse retenir ces travailleurs à Maurice ou qu’au moins, ils puissent revenir après ce programme de migration circulaire et toucher des salaires raisonnables et décents ici. Pour arriver à ce résultat, il nous faut un changement de mentalité.

BUSINESSMAG. S’achemine-t-on vers une dépendance de la main-d’œuvre étrangère dans le secteur du textile ?

Pour moi, cela n’est pas un problème car il y a beaucoup de personnes qui ont déformé la réalité dans le secteur du textile. Cette réalité est que le Remuneration Order exige un salaire minimal d’environ Rs 4 000. Or, tous les opérateurs sont en train de payer le Piece Rate. Il y a même des personnes qui touchent du Double Figures. C’est un secteur très intensif qui contribue à l’exportation et l’amélioration de la balance commerciale. Si les Mauriciens ne sont pas intéressés, alors on recrute les travailleurs étrangers. C’est la loi du marché.

J’ai toutefois parlé à la Mauritius Export Association pour raviver l’intérêt des Mauriciens dans les emplois du secteur du textile. On a déjà commencé une campagne de revalorisation. C’est la mauvaise perception autour de « l’usine de textile» qu’on doit changer. Le textile donne de la visibilité pour une longue carrière avec des possibilités de promotion. C’est un secteur à travail stable qui verra encore des jours glorieux à Maurice car il a su s’adapter au changement après le désastre de 2003 où il y a eu environ 55 000 pertes d’emplois.

BUSINESSMAG. Il y a une certaine hostilité. On a le sentiment que les travailleurs étrangers sont en train d’accaparer tous les emplois à Maurice. 37 000 expatriés, c’est tout de même un chiffre élevé quand le taux de chômage tourne autour de 8,3 % ?

Pour être franc, cette hostilité, je ne l’ai pas ressentie. Elle est peut-être présente dans certains secteurs, telle l’hôtellerie, où des travailleurs étrangers sont recrutés alors qu’on compte beaucoup de personnes qualifiées dans ce domaine à Maurice. Ces permis sont octroyés par le Board of Investment. J’ai d’ailleurs attiré l’attention du ministère du Tourisme, ainsi que celle du Bureau du Premier ministre et du ministère des Finances sur la question. Il y a toujours une Old Colonial Mentalityqui veut que dans les High Profile Jobs les étrangers soient plus performants que les Mauriciens.

BUSINESSMAG. Cela veut-il dire que nous devons refermer la grille aux étrangers ?

Non, mais on doit faire comme des pays tel Singapour. Il est ouvert aux étrangers mais n’acceptera jamais qu’un étranger soit employé aux dépens d’un Singapourien qui a les mêmes qualifications. Même le Canada n’accepte pas cela. On doit privilégier le talent local. Le but de s’ouvrir à l’expertise étrangère c’est d’apprendre d’elle dans des secteurs où nous n’avons pas de la main-d’œuvre formée. Cela va un peu trop loin quand l’expertise existe, mais que nous choisissons de l’ignorer. La philosophie même derrière cette idée est alors violée.

BUSINESSMAG. Le quantum du dernier exercice de compensation salariale ne va-t-il pas à l’encontre de vos attentes ?

J’aimerais bien que tout le monde soit millionnaire, mais cela impliquerait vivre dans un pays de bisounours. Moi, je vis dans la réalité. Cette réalité est que les salaires sont trop bas, que le secteur privé est trop timide, qu’il est malin et veut réaliser beaucoup de profits en peu de temps. Il doit y avoir un changement de mentalité de la part des employeurs en ce qui concerne leurs aspirations et de la part des travailleurs et de leurs représentants syndicaux pour que la productivité accompagne l’augmentation de salaire. Le système qui est en place a marché. C’est un système que j’apprécie personnellement. Ce n’est pas le meilleur des systèmes, mais c’était le meilleur qu’on pouvait avoir.

Si j’avais le choix, j’aurais changé le système en entier en privilégiant un National Minimum Remuneration Wage. Les rencontres de fin d’année tripartites n’auraient même pas lieu d’être avec un National Minimum Remuneration Wage.

BUSINESSMAG. Quelles sont les recommandations que vous avez faites à votre collègue Xavier Duval concernant l’emploi pour le Budget 2014 ?

Il doit se concentrer sur la création d’emploi, la formation, l’employabilité et faire des efforts pour introduire le Minimum Wage.

Si on a un salaire décent, il y aura plus de Mauriciens qui feront des efforts pour être productifs. Et beaucoup plus de nos compatriotes voudront rester au pays.

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