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Sucre : la tourmente

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Après une semaine de grève, il n’y a toujours aucune issue à la crise dans l’industrie sucrière. Patronat et syndicats restent à couteaux tirés sur des points litigieux relatifs à une augmentation salariale. Un bras de fer qui risque de coûter Rs 3,5 milliards à l’économie.

La grève qui perdure dans l’industrie sucrière pourrait impacter lourdement sur la performance macroéconomique du pays. Car bien que contribuant désormais à hauteur de 1,8 % au produit intérieur brut, l’industrie sucrière demeure l’un des moteurs de croissance.

Or, Statistics Mauritius prévoit une baisse de la production de sucre pour cette année. Le prolongement de la grève risque donc d’exacerber cette baisse, en affectant également la qualité du sucre. L’action syndicale ne sera pas non plus sans conséquence sur la fourniture électrique avec les deux centrales – Alteo et Omnicane – n’opérant pas à plein régime. Celles-ci n’arrivent pas à s’approvisionner en charbon pour produire l’électricité, car l’accès aux centrales a été bloqué par les grévistes.

Malgré les assurances du président du Central Electricity Board (CEB), le fait demeure que si une centrale thermique produisant de l’électricité pour le réseau national ne tourne pas normalement, surtout en cette période de forte demande, cela pourrait avoir des conséquences sur la fourniture énergétique. Les principaux IPP (Independent Power Producers) sont la Centrale thermique de Belle Vue, appartenant à Terra qui a vendu 356,7 GWh au CEB en 2012, Alteo qui a vendu 118,4 GWh et Omnicane qui a produit 832 GWh en 2012. Même la production de rhum pourrait être touchée par ce mouvement de grève.

Du côté du Syndicat des Sucres, chargé de la vente du sucre sur le marché international, l’on évoque l’inquiétude des acheteurs. C’est ce que nous a confié son Chief Executive Officer, Jean-Noël Humbert, avant son départ en mission pour l’Europe. « J’ai déjà pas mal de clients. Ce sont surtout des clients réguliers qui m’appellent pour faire le point sur la situation en demandant s’il y a des risques pour eux. Les acheteurs sont inquiets et réclament des explications par rapport à la fourniture de sucre, afin que, dans l’éventualité où la grève se prolonge, ils puissent prendre d’autres dispositions. Cela nous inquiète également beaucoup », soutient Jean-Noël Humbert.

Les appréhensions portent surtout sur le respect de nos obligations vis-à-vis d’un certain nombre d’acheteurs, envers lesquels nous avons déjà des contrats et il n’est pas exclu que certains d’entre eux viennent réclamer des dédommagements, qui risquent d’être coûteux pour l’industrie, poursuit Jean-Noël Humbert. De même, cela risque d’affecter notre réputation. « Jusqu’à présent, nous avons eu la réputation d’être un fournisseur régulier et stable et ce serait vraiment embêtant de perdre cette réputation. Si nous ne pouvons fournir les clients pour la balance de sucre qu’il reste à exporter, non seulement ils vont voir ailleurs mais encore cela va être difficile de retrouver ces mêmes acheteurs. Cela prendra deux trois ans, même plus, pour les retrouver », fait-il remarquer.

Pour l’instant, il n’y a pas de retard dans l’acheminement du sucre vers les marchés d’exportation, puisque le Syndicat des Sucres a des stocks. Les exportations continuent donc normalement.

Les acheteurs inquiets

Mais dans le cas d’un Worst case scenario, c’est-à-dire le maintien de l’action syndicale et où les cannes ne sont pas récoltées, les conséquences pourraient être très graves pour l’économie avec des pertes pouvant atteindre Rs 3,5 milliards. Actuellement, le Syndicat des Sucres peut compter sur un stock de sucre roux, mais au cas où les raffineries ne pourraient pas continuer à opérer, ce serait catastrophique, fait-on comprendre. Même si le manque à gagner ne pourra être calculé qu’à la fin de la grève, il est indéniable que les bilans financiers seront impactés.

L’autre souci majeur, c’est que plus l’on avance dans la saison cyclonique, plus les cannes ayant atteint leur maturité seront vulnérables. Avec la chaleur et les pluies qui vont s’accentuer dans les semaines à venir, il est à prévoir que la canne perdra une bonne partie de sa teneur en sucre.

Pour la Mauritius Sugar Producers Association (MSPA), la solution se trouve auprès de l’Employment Relations Tribunal. « Nous ne comprenons d’ailleurs toujours pas pourquoi le JNP (Joint Negotiating Panel) n’accepte pas de faire confiance à une institution telle que l’ERT. Nous espérons que la raison prévaudra car le secteur est en danger », souligne Jean Li Yuen Fong, directeur de la MSPA.

Par ailleurs, cette grève est très particulière car elle intervient dans un contexte électoral. Les yeux sont donc braqués sur le Premier ministre pour voir s’il parviendra à désamorcer la crise.

En attendant, les opérateurs sucriers guettent les conclusions de l’étude initiée par le gouvernement en vue d’évaluer l’impact socio-économique et environnemental de la fin des quotas de l’Union européenne sur le secteur sucrier mauricien. Cette étude, réalisée par la firme LMC International, est sur le point d’être complétée. Elle pourrait peut-être aider à une sortie de crise. L’étude devrait proposer des mesures appropriées pour assurer la viabilité à long terme de l’industrie sucrière et assurer son rôle multifonctionnel soutenu dans le développement futur du pays.

2 500 tonnes de sucre en moins par jour

Selon la MSPA, cette fin d’année 2014 et 2015 vont être déjà trop challenging économiquement pour venir y ajouter une augmentation salariale aussi conséquente, payée en deux tranches comme proposé par le JNP. Il ne faut pas oublier que cette année, le prix du sucre a chuté à Rs 12 500 la tonne. Cela va affecter drastiquement les revenus dans le secteur, en plus de la baisse de production.

« Nous sommes dans un deadlock. Le mood est à l’inquiétude car les implications financières et au niveau de notre réputation de la grève sont graves, d’autant plus que nous sommes en discussions avec de nouveaux partenaires étrangers pour l’achat de sucre. Cette situation est fort embarrassante. Chaque jour de grève équivaut à 2 500 - 3 000 tonnes de sucre qui ne sont pas produites. La coupe risque d’aller bien au-delà du 1er janvier et durer jusqu’au 10, voire au 15 janvier, avec des risques graves que les grosses averses affectent la fin de la récolte », confie Gilbert Espitalier-Noël, président de la MSPA, à Business Magazine.

C’est mardi, après le déjeuner que les membres de la MSPA ont rencontré le ministre du Travail, Shakeel Mohamed. Cette rencontre devait être suivie d’une réunion entre le ministre et le JNP. À la MSPA, l’on déplore que le JNP refuse toujours la solution de l’ERT. Le Premier ministre, estime-t-il, doit mettre une injonction en cour pour mettre fin à la grève. « Le gouvernement suit la situation de près et ce n’est pas à la MSPA de lui dire ce qu’il doit faire. De notre côté, nous souhaitons que le JNP comprenne que la situation est extrêmement difficile. Il est temps que tout le monde devienne raisonnable », soutient Gilbert Espitalier-Noël.

Les points en litige

Si au départ le Joint Negotiating Panel réclamait une hausse salariale de 30 %, tandis que la MSPA refusait d’aller au-delà de 11 %, dans l’après-midi de mardi, leurs positions respectives avaient évolué. Mais pas suffisamment pour briser le deadlock.

Désormais, la MSPA est d’accord avec la proposition du ministère du Travail pour une augmentation salariale intérimaire de 13 % étalée sur 4 ans. L’association des producteurs sucriers a proposé que cette hausse soit payée comme suit : 4 % en 2014, 4 % en 2015, 2,5 % en 2016 et 2,5 % en 2017. Ce qui équivaudrait à un montant total de Rs 460 millions sur la durée de l’accord. Toutefois, cette proposition a été rejetée par le JNP qui, maintenant, réclame que cette augmentation soit payée en deux tranches immédiatement (10 % en 2014 et 3 % 2015). Selon cette formule, la même augmentation de 13 % coûterait alors Rs 640 millions, soit Rs 180 millions de plus que la proposition de la MSPA.

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