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Taux d’intérêt: la normalisation fait débat

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Annoncée pour début 2015 par la Banque centrale, la normalisation des taux d’intérêt inquiète certains économistes et observateurs. L’économie est-elle prête pour un relèvement des taux ? Tour d’horizon.

La normalisation des taux d’intérêt est revenue sur le tapis lors de la dernière réunion du comité de politique monétaire (CPM). Dans la perspective du Tapering de la FED (Réserve fédérale américaine) annoncé pour bientôt, et pour diminuer les risques liés à la stabilité financière localement, Maurice pourrait également s’engager dans ce processus dès le début de 2015. La normalisation se traduit, comme son nom l’indique, par un retour à la normale, soit le relèvement des taux d’intérêt à des niveaux plus élevés, proches de ceux d’avant la crise économique.

Situons d’abord le contexte. La reprise économique mondiale n’est pas aussi vigoureuse qu’on l’aurait souhaité. Les États-Unis et le Royaume-Uni affichent une meilleure santé, alors que la zone euro se porte toujours mal avec des conditions qui ne sont pas loin d’une récession. Donc, on s’attend à un peu plus d’effort de la Banque centrale européenne et des gouvernements pour essayer de relancer l’économie européenne, explique le Gouverneur de la Banque de Maurice, Rundheersing Bheenick.

Vu sa dépendance des marchés européens, Maurice est largement tributaire des décisions prises par les banques centrales de ces pays. Cette année, la croissance du PIB local devrait atteindre 3,5 % et l’inflation tour-nera autour de 3 % jusqu’à la fin de l’année s’il n’y a pas d’autres chocs. Pas de quoi s’inquiéter du côté du chômage également, qui devrait reculer légèrement cette année. Ces trois indicateurs laissent entrevoir une certaine stabilité de l’économie et le CPM a donc maintenu le taux Repo à 4,65 %, mais le même comité a aussi remis sur le tapis l’éventualité de la normalisation du taux d’intérêt.

Hausse des créances douteuses

Certaines banques centrales ont déjà démarré ce processus car elles s’inquiètent des effets d’entraînement du Tapering de la Fed (une politique monétaire moins accommodante). « À Maurice, nous devons aussi réduire nos vulnérabilités face à ce genre de développement », prévient le Gouverneur de la Banque centrale et « c’est pourquoi la normalisation est toujours d’actualité pour nous… C’est vrai que l’inflation est notre souci principal, mais il faut voir aussi ce qui se passe au sein des banques et du secteur financier et combattre certaines vulnérabilités. Pour ce faire, l’outil principal a toujours été le taux d’intérêt. »

Les raisons externes, mais aussi internes, tendent à pousser vers la normalisation des taux. La Banque centrale, qui doit veiller à la stabilité financière du pays, se fait du souci depuis plusieurs mois. La prolongation de la période de taux d’intérêt bas a provoqué l’endettement massif des entreprises privées, avec une hausse des créances douteuses. Et ce, bien que la BoM ait introduit des mesures macro-prudentielles pour essayer d’endiguer ces risques potentiels à la stabilité financière, à travers le resserrement des conditions de crédit dans le secteur immobilier, notamment. Autre vulnérabilité qui perdure dans le système bancaire local : l’excédent de liquidités élevé. Depuis quatre ans, la BoM a émis plus de Rs 25 milliards d’instruments pour tenter d’éponger ces liquidités ; malgré tout, le problème reste entier. Les liquidités excédentaires dans le circuit bancaire dépassaient Rs 11 milliards à fin octobre et devraient même atteindre Rs 15 milliards à Rs 18 milliards d’ici à début décembre, selon les prévisions. Mais pour l’économiste Chandan Jankee, c’est justement à cause de cet excédent de liquidités  qu’il ne faut pas relever le taux directeur : « il y a trop d’excès de liquidités, on ne peut pas augmenter le taux d’intérêt. Il faut que le taux d’intérêt reste bas pour pouvoir permettre aux banques de prêter leur excédent de liquidités. »

Quoi qu’il en soit, toute décision de maintien ou de relèvement des taux, début 2015, aura des effets en cascade sur l’économie. Nitish Benimadhu, économiste et Head of Investment du groupe Swan, déclare que remonter le taux d’intérêt « n’est pas d’actualité ». La priorité est de relancer la croissance, insiste-t-il. À cet égard, il soutient qu’il faut accorder une marge de manœuvre au secteur privé, car celui-ci peine déjà à investir et si la Banque centrale remonte le KRR, cela va poser problème. « On pourra éventuellement remonter le taux quand la consommation aura repris, quand l’économie se sera stabilisée. Ce n’est pas le cas pour le moment, l’économie doit se diversifier davantage, s’ouvrir pour créer des emplois et générer de l’investissement. Après, on réajustera le taux d’intérêt », argue-t-il.

L’économie croît encore à des taux trop faibles, estime Nitish Benimadhu qui ajoute que « le moteur n’a pas encore démarré qu’on parle déjà d’appliquer les freins. » Même s’il reconnaît qu’augmenter le taux d’intérêt pourrait contribuer à faire remonter le taux d’épargne, Nitish Benimadhu soutient qu’il faut rester vigilant car le pays n’est pas encore totalement sorti d’affaire. « La situation en Europe étant toujours difficile, cela va indéniablement impacter sur notre secteur touristique. Comme le secteur hôtelier est lourdement endetté, avec un relèvement des taux d’intérêt, le secteur hôtelier va souffrir. »

Avant la crise de 2008, le KRR était à 9,25 % (de juin 2007 à février 2008 plus précisément), puis il est passé à 9 % en février 2008, et a reculé de manière constante depuis, jusqu’à atteindre 4,65 % depuis juin 2013. Il est encore trop tôt cependant, selon certains observateurs, pour un retour à la normale, comme souligne Dan Maraye, ancien gouverneur de la Banque centrale,  « il y a actuellement trop d’incertitude pour pouvoir évoquer la normalisation des  taux d’intérêt. Il faudra d’abord voir le contenu du budget 2015 avant de pouvoir décider quelle politique adopter pour le KRR. »

Chandan Jankee abonde dans le même sens. Même s’il reconnaît que plusieurs banques centrales ont démarré un processus de normalisation, il estime que Maurice ne peut considérer cela comme un benchmark, « c’est trop tôt pour le faire, il faudra attendre le prochain gouvernement et voir ses priorités. »

Lire le dossier au complet dans Business Magazine

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