Type to search

En couverture

Xavier Duval : «Le progrès d’un pays dépend aussi de ses institutions»

Share
Xavier Duval : «Le progrès d'un pays dépend aussi de ses institutions» | business-magazine.mu

Xavier Duval fait un diagnostic de l'économie. Quoique concédant que la conjoncture actuelle ne plaide pas en faveur d'une croissance de 4% comme il l'avait annoncé dans le dernier Budget, le ministre des Finances souligne toutefois que nous avons une belle carte à jouer en misant sur la diversification. Il insiste par ailleurs sur l'efficience de nos institutions.

BUSINESSMAG. Lors de votre discours budgétaire en novembre dernier, vous aviez annoncé un taux de croissance de 4 % pour 2013. Êtes-vous toujours confiant de pouvoir atteindre cet objectif ?

Notre croissance est tributaire de la croissance mondiale, plus particulièrement de la situation en Europe. Or, comme vous le savez, le Fonds monétaire International (FMI) ne cesse de revoir à la baisse ses prévisions de croissance dans le monde. J’ai donc dit récemment que la situation n’était plus aussi prometteuse que nous l’avions prévu. D’ailleurs, Statistics Mauritius a, elle aussi, baissé ses prévisions à 3,5 %.

BUSINESSMAG. Outre le FMI, qu’est-ce qui vous a poussé à revoir votre position ?

Il y a plusieurs autres facteurs. Nous  avons fait face à une période de fortes intempéries – avec les grandes inondations et un cyclone. Ce qui a un impact certain sur les activités économiques. Nous avons aussi tenu en ligne de compte le retard probable des projets d’investissement tels que la Ring Road. A cela, nous avons  une performance en dents de scie pour le secteur touristique. Mais nous restons optimistes car nous faisons des efforts pour stimuler la croissance. En même temps, je dois dire, qu’avec la volatilité des marchés, il est de plus en plus difficile pour les pays de faire des prévisions macro-économiques.

BUSINESSMAG. À plusieurs reprises, vous avez insisté que la priorité demeure la croissance. De quoi va dépendre cette croissance économique ?

La croissance dépend de plusieurs facteurs, entre autres, notre stratégie de diversification des marchés. Par exemple, les vols directs sur la Chine nous amènent une forte croissance dans les arrivées touristiques. Cette initiative est d’ailleurs venue du ministère des Finances à travers des garanties financières fournies à Air Mauritius. Le textile fait également une percée considérable sur les marchés en Afrique.

Il faut également poursuivre sur la voie de la diversification des secteurs économiques. Nous avons réussi à faire du secteur des technologies de l’information un important pilier, mais nous devons accélérer la connectivité à haut débit de toute l’île. L’Education Hub offre également des perspectives de développement exceptionnelles, à condition de maintenir la plus haute qualité au niveau de l’enseignement. De nouvelles possibilités s’ouvrent peu à peu avec le Medical Hub et le Film Framework.  Il y a de plus en plus d’investissement en provenance de Chine. 

Le progrès d’un pays dépend aussi de ses institutions qui peuvent et doivent contribuer à accélérer la croissance.

Le Premier ministre a entièrement raison d’annoncer un «tsunami » dans les corps paraétatiques parce que le succès du pays est tributaire de l’efficacité des institutions qui opèrent dans des secteurs clefs. Il nous faut « the right man or the right woman in the right place ».

Avec la publication du rapport du Pay Research Bureau, nous devons maintenant nous pencher sur des réformes institutionnelles. Il y a des efforts à faire tant au niveau de la fonction publique que dans le secteur privé. Il est important de souligner que rien ne remplace l’effort et la productivité. Si la Chine et la Corée du Sud sont là où elles sont aujourd’hui, c’est parce que ces pays ont une Hard Working Population. Autrement dit, la culture du travail bien fait est cruciale.

Le prochain Budget se penchera sur les moyens à mettre en place pour que nous ayons des institutions dignes d’un pays qui aspire à devenir une référence dans cette partie du monde.

BUSINESSMAG. Est-ce que le pire est à venir avec la récession en Europe, notre principal marché pour les biens et services ?

Notre économie fait face à une crise de la demande. La récession en France, en Italie et en Espagne, la très faible croissance en Angleterre, les 12 % de chômeurs en Europe, tous ces facteurs ont des effets néfastes sur notre industrie d’exportation. Comment et quand vont reprendre ces marchés? C’est là toute la question.

Cela dit, nous avons des arguments à faire valoir par rapport à la concurrence. Par exemple, les salaires ont augmenté en Chine au point qu’aujourd’hui son industrie du textile devient de moins en moins compétitive. D’un autre côté, les problèmes qui ont frappé l’industrie manufacturière au Bangladesh ont donné lieu à une crise d’éthique. Les marchés commencent à s’interroger sur les conditions de travail des Bangladais et se demandent s’ils peuvent porter des tee-shirts qui sont produits dans ce pays. De tels facteurs peuvent permettre à Maurice et à l’Afrique de bien se positionner.

La crise en Europe nous force à sortir de notre zone de confort et nous oblige à prospecter d’autres marchés. Avec une reprise éventuelle en Europe, nous serons prêts à tirer efficacement avantage d’un positionnement multiple. Notre croissance est tributaire de la croissance mondiale et plus particulièrement de la situation en Europe.

BUSINESSMAG. Justement, où en sommes-nous avec notre politique africaine ?

Maurice se trouve pour la première fois de son histoire dans une région qui se développe à grande vitesse. On parlera bientôt du miracle africain. Cela n’arrive pas seulement grâce aux exportations de matières premières, mais aussi avec la découverte de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, la gouvernance qui s’améliore, ainsi qu’une meilleure gestion économique. Sans compter le potentiel  des terres arables non cultivées et une classe moyenne en expansion. À Maurice, nous avons une stratégie africaine qui consiste à rapprocher les pays africains. Nous sommes à l’avant-garde des Etats voulant réduire les barrières non tarifaires entre nos différents pays.

Le Premier ministre a récemment exonéré une cinquantaine de pays des formalités de visas. Cela ouvre d’énormes possibilités au pays, notamment pour se positionner comme un lieu de rencontre entre Africains, Asiatiques et Européens. Nous  allons nommer bientôt des consuls honoraires dans les grandes villes africaines, nous sommes aussi en discussions avec une grande chaîne de télévision régionale qui va nous assurer une visibilité quasi quotidienne en Afrique. Nous abritons de plus en plus de bureaux régionaux. La PTA Bank sera bientôt présente ici. Notre objectif est de faire de Maurice un acteur essentiel du développement africain, le vecteur de croissance du continent. Nous signons à une vitesse accélérée les traités de non-double imposition aussi bien que les traités pour la protection et promotion des investissements. Le Nigeria, le Rwanda et l’Egypte sont les derniers en date.

Mais il y a aussi la possibilité de développer ici un Petroleum Hub pour le ravitaillement des navires car Maurice est au centre du triangle d’or liant l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique.

BUSINESSMAG. Il y a tout de même un problème de connectivité…

Vous avez raison, les liaisons aériennes et maritimes sont inadéquates. Toutefois, notre nouvel aéroport peut servir de hub pour connecter l’Afrique au reste du monde. Le port a aussi de gros projets.

BUSINESSMAG. Vous avez certainement dû prendre connaissance de l’analyse de la Chambre de Commerce sur la croissance potentielle…

Ils ont toujours été plus pessimistes que la réalité.

BUSINESSMAG. Un des points évoqués par la Chambre méritent toutefois d’être souligné. Au lieu de faire de l’austérité en contrôlant le déficit budgétaire dans la conjoncture actuelle, ne faudrait-il pas plutôt investir pour relancer la croissance ?

Le montant du déficit budgétaire n’est pas le seul indicateur de l’effort fiscal de l’Etat. Enormément de travaux sont effectués directement par les corps paraétatiques comme la Central Water Authority, le Central Electricity Board, la Wastewater Management Authority, Airports of Mauritius, Airport Terminal Operations et la Mauritius Ports Authority. Tout cela est indiqué dans le Public Sector Investment Programme.

BUSINESSMAG. L’argument de la Chambre repose sur le fait que l’investissement vabooster la croissance…

Elle se trompe car le programme d’investissement de l’Etat est très étoffé. Il nous faut toutefois suivre les procédures de bonne gouvernance car il s’agit de l’argent En plus, c’est la qualité de l’investissement qui doit primer et non la quantité. Investir dans des facteurs de production n’aura pas les mêmes effets sur l’emploi, la création de richesses que d’investir dans des bâtiments. Il y a un enjeu concernant les investissements de qualité, et cela mérite un débat éclairé.

BUSINESSMAG. Cela dit, la question se pose. Comment remonter la pente ?

L’année dernière, nous avons réussi à attirer les investissements directs étrangers grâce à notre stabilité politique d’abord, mais aussi et surtout à notre stabilité économique. Non seulement nous avons été upgraded par l’agence de notation Moody’s, mais encore nous avons aujourd’hui un niveau de déficit budgétaire qui est un exemple pour bon nombre de pays. Tout cela amène une certaine confiance. Ce n’est pas comme si l’économie mauricienne était au bord du précipice ou de la faillite. La Barclays Bank, par exemple, a investi plus de Rs 3 milliards dans le pays parce qu’elle a confiance dans notre stabilité économique.

Nous devons donc poursuivre dans cette voie tout en investissant dans des projets qui sont économiquement viables. Au gouvernement, nous sommes avant tout les gardiens des deniers publics.

BUSINESSMAG. Dans la conjoncture actuelle, est-ce qu’il y a des indicateurs économiques comme le chômage, par exemple, qu’il faudrait placer sous surveillance ?

Au ministère des Finances, nous nous basons sur les prévisions de Statistics Mauritius concernant le chômage. Certes, nous avons des pressions à la baisse sur la croissance, mais nous notons que les prévisions pour le chômage sont stables pour cette année. Les Mauriciens doivent comprendre que la hausse du taux du chômage, l’année dernière, était due à une augmentation de la main-d’œuvre, car nous avons créé plus d’emplois qu’en 2011.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il du taux de change qui semblait vous inquiéter à un certain moment ?

Il y a eu un débat concernant la croissance et le mauvais alignement de la roupie. Certes, nous avons constaté une certaine correction à ce niveau et aujourd’hui la situation s’est améliorée. La question ne doit pas être vue de notre perspective uniquement.

Il est important de voir ce que nos compétiteurs dans le monde sont également en train de faire. Il est tout à fait exact de dire que, pour un pays, le prix le plus important est le prix de sa monnaie, c’est-à-dire le taux de change, car il influence tout. II y a eu un faux débat mené par de faux gurus à la recherche de publicité aux dépens des intérêts de la nation.

Mais ce que je peux vous dire avec certitude, c’est que l’inflation, du moins jusqu’à présent, est sous contrôle. Elle est en nette baisse, comparé à l’année dernière. En revanche, le problème se pose pour la croissance.

BUSINESSMAG. Vous remettez en question le ciblage de l’inflation ?

Tout à fait ! Le ciblage pur et simple de l’inflation est remis en question, partout dans le monde, au Japon, en Amérique, au Canada, en Europe et même en Russie. Et surtout durant cette période exceptionnelle que nous traversons. À Maurice, la question est de savoir si nous devons continuer avec le ciblage de l’inflation ou s’il faut opter pour le ciblage d’un Produit Intérieur Brut nominal.

BUSINESSMAG. Quelle est la solution ?

Une étude du Fonds monétaire international est en cours et elle va nous éclairer sur la question. Car nous pouvons faire autant d’efforts que nous voulons sur la productivité, mais si le mouvement de la monnaie joue contre les entreprises, les recettes d’exportation vont s’effriter.

Nous devons cependant souligner qu’il y a eu des efforts de la part de la Banque de Maurice à travers l’opération de reconstruction de nos réserves pour ramener la roupie en ligne avec les fondamentaux.

BUSINESSMAG. Nous avons eu depuis un certain temps une stabilité sur le plan du taux directeur, mais à l’issue de la dernière réunion du MPC, certains membres ont clairement pris position en faveur d’un tour de vis monétaire. Quelle est votre position ?

Je laisse aux membres du MPC le soin de décider de la question en toute indépendance. Nous avons nommé sur ce comité des gens de très grande valeur, dont un professeur de Harvard et un autre de la London School of Economics. Je suis certain qu’ils sauront prendre la bonne décision. Le ministère des Finances soumet désormais un rapport formel au MPC pour le mettre au courant de son point de vue.

BUSINESSMAG. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de venir avec des réformes économiques ?

La vraie réforme, c’est celle qui saura améliorer la productivité et modifier l’attitude au travail. Cela dit, je suis d’accord que nous devons revoir la capacité de nos institutions d'amener le pays sur la voie d’une High Income Economy.

BUSINESSMAG. Ces derniers temps, il a aussi été beaucoup question de vos relations avec le Premier ministre.

Je m’entends très bien avec le Premier ministre. Il y a toujours eu des tentatives pour créer des divergences, mais c’est le jeu politique, et nous l’acceptons. Bien sûr, chacun a son point de vue sur certaines questions. Il n’empêche que nous arrivons à nous entendre.

BUSINESSMAG. Sur le plan de la politique économique non plus, n’y a-t-il pas de divergences ?    

Comme je viens de vous dire, chacun a son point de vue sur certaines questions, mais nous nous entendons bien. Est-il nécessaire de vous rappeler qu’un Budget national, par exemple, c’est le Budget d’un ministre des Finances et d’un Premier ministre.

BUSINESSMAG. Vous avez commencé à travailler sur le prochain Budget ?

Tout à fait !

BUSINESSMAG. Cela va faire pratiquement deux ans que vous êtes ministre des Finances. Qu’avez-vous accompli durant cette période ?

Les élections générales sont en 2015. Donc, nous avons encore du temps devant nous avant de faire un bilan. Mais en attendant, beaucoup de choses ont été accomplies et beaucoup d’autres vont arriver à maturité. Je suis confiant que les Mauriciens sauront apprécier le travail qui a été fait par le gouvernement alors que le monde et nos principaux marchés traversent une période de grande crise économique.

Les Mauriciens sauront surtout apprécier à quel point nous avons augmenté les prestations sociales, surtout pour les plus démunis, ainsi que les salaires des travailleurs et celui des employés de la fonction publique. Les infrastructures publiques ont été grandement améliorées. Nous avons de nouvelles routes, de nouvelles structures dans le port, nous aurons bientôt un nouvel aéroport. Bref, pendant que nos marchés tournaient au ralenti, nous avons su garder le cap contre vents et marées.

BUSINESSMAG. Le pays a vécu ces dernières semaines au rythme du scandale financier des Ponzi Schemes. Est-ce qu’il y a des leçons à tirer de toute cette affaire ?

Il faut dire que nous ne sommes pas là pour protéger quiconque, que ce soit les malfaiteurs ou ceux qui se trouvent dans les institutions régulatrices. Nous devons nous assurer que les actions qui sont prises soient justes et mesurées. Après avoir noté la réactivité de nos institutions, nous avons demandé au FMI de nous aider à apporter des réformes légales nécessaires pour consolider davantage notre secteur financier.

BUSINESSMAG. Les chiffres de Statistics Mauritius sur la pauvreté ont été publiés récemment. La situation ne vous inquiète-t-elle pas ?

Il y a une confusion sur cette question. La pauvreté, c’est la capacité d’une famille à se procurer des biens et services nécessaires. Quand elle ne peut pas le faire pour mener une vie décente, nous disons qu’elle est dans la pauvreté ou même la pauvreté absolue. En revanche, la pauvreté relative et le coefficient Gini ne sont pas des indices de pauvreté, mais des indicateurs de la distribution de revenus par famille. Plus le pays s’enrichit, plus le niveau de pauvreté relative peut augmenter car bien que le niveau de vie de ces personnes s’améliore, l’écart peut se creuser.

Les chiffres que nous avons démontrent que les salaires ont augmenté beaucoup plus que le taux d’inflation. En tout cas, j’ai toujours veillé à cela. Pour moi, l’élément fondamental démontré par les analyses de Statistics Mauritius, c’est que les familles pauvres représentaient 8,5 % de la population en 2007 et ne représentent plus que 6,9 % en 2012.

Même lorsque vous prenez en considération ces familles pauvres, vous allez vous rendre compte que 86 % d’entre elles ont un téléviseur, 71 % un réfrigérateur et 26 % une machine à laver. Donc, c’est de la pauvreté mais non pas de la pauvreté absolue. Il n’empêche que notre devoir, c’est de constamment améliorer le sort de ceux qui sont au bas de l’échelle sociale – ce que nous n’avons jamais cessé de faire.

BUSINESSMAG. Prévoyez-vous un impact du PRB sur l’économie ?

J’espère que le PRB boostera la consommation car comme je vous l’ai dit plus tôt, nous faisons face à une crise de la demande.

}]
Tags:

You Might also Like