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Agro-industrie : l’urgence d’une transition vers la durabilité

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Face à l’intensification de la crise climatique, l’adoption de pratiques agricoles durables devient cruciale pour atténuer les impacts négatifs sur l’environnement et améliorer l’efficacité des systèmes alimentaires. une prise de conscience sociétale émerge à l’égard de l’agriculture conventionnelle, caractérisée par une utilisation intensive de produits chimiques, entraînant des maladies, la pollution de l’eau, la perte de biodiversité et des changements climatiques.

L’AGRICULTURE a joué un rôle prépondérant dans l’économie nationale pendant plusieurs décennies. Bien qu’elle ne soit plus le principal contributeur à la production nationale et à la création de richesse, ce secteur demeure une composante significative du PIB, représentant environ 3,9 %. Il contribue également de manière notable aux recettes d’exportation, aux rentrées de devises étrangères et à la création d’emplois. Au fil du temps, le secteur agricole a connu une transformation significative. Par exemple, l’industrie sucrière a évolué vers une industrie de la canne à sucre, englobant la production de sucres raffinés et spéciaux, d’alcool et de rhum. Parallèlement, l’agriculture s’est diversifiée pour inclure des activités à forte valeur ajoutée telles que l’horticulture, la culture de fruits et légumes, ainsi que la production locale d’une variété d’aliments transformés.

Maurice est un importateur net de denrées alimentaires, avec un taux d’autosuffisance global d’environ 25 %. En raison de sa taille limitée, de l’absence d’économies d’échelle et de l’avantage comparatif de la canne à sucre en termes économiques, Maurice importe une grande partie de ses besoins alimentaires essentiels. En 2021, les importations agricoles représentaient 1 milliard de dollars, soit 19,9 % du total des importations mauriciennes. La France était la première source d’importations agricoles mauriciennes avec une part de marché de 13,4 %, suivie par l’Afrique du Sud (10 %), l’Inde (8,2 %), les Seychelles (6,3 %) et la Nouvelle- Zélande (5,7 %). Les produits importés comprennent le riz, la viande et le poisson, certains fruits (oranges, mandarines et raisins), les grains, le lait et les produits laitiers, les légumes frais et congelés, les épices, les céréales, l’huile, les boissons, le blé, les préparations alimentaires, etc.

Ainsi, l’agro-industrie, la sécurité alimentaire, la substitution aux importations et le renforcement des défenses immunitaires sont des sujets essentiels à aborder alors que nous ouvrons la voie à un nouveau paysage économique. En outre, ce secteur contribue à maintenir la stabilité de la balance extérieure, les recettes provenant du sucre représentant toujours des entrées de devises importantes. Le gouvernement avait mis en place un programme de développement agroalimentairequi vise à encourager les investisseurs/agriculteurs locaux à gravir la chaîne de valeur pour assurer la sécurité alimentaire et réduire la dépendance du pays vis-à-vis des importations grâce à l’introduction du concept «de la ferme à la table».

«Ces dernières années, le secteur de l’agro-industrie à Maurice s’est bien développé, mais il peut toujours se renforcer, notamment dans une logique visant l’autosuffisance alimentaire. Le pays a maintenu certaines cultures, comme celles de la pomme de terre, de l’oignon, de la pomme d’amour ainsi que la production de fruits : mangues, letchis, etc. Ce secteur est plus que jamais crucial pour le pays et la population. Il y a définitivement eu, pendant la Covid-19 et les confinements, une réelle prise de conscience quant à l’importance de développer tout un écosystème», indique Sébastien Mamet, directeur général de Terragri (Agriculture) et Terra Milling.

Certains observateurs estiment qu’une réforme substantielle de l’ensemble du secteur alimentaire est nécessaire. Cela implique de mettre en place rapidement un secteur agricole primaire et une agro-industrie moderne, bien structurés, respectueux de l’environnement et de la santé humaine, munis des outils essentiels pour permettre aux agriculteurs et aux entrepreneurs de travailler, de produire et de gagner leur vie de manière durable. Cela vise également à garantir aux Mauriciens l’accès à des produits locaux répondant à leurs attentes en termes de compétitivité, de qualité sanitaire et d’innovation. Par ailleurs, il est impératif que la production primaire prenne en considération, dans la mesure du possible, les besoins en matières premières de l’agro-industrie.

Comme le souligne Sébastien Mamet, il pourrait être intéressant de repenser le modèle actuel et ainsi contribuer à limiter nos importations sur certains types de produits alimentaires. D’ailleurs, Maurice bénéficie d’un climat exceptionnel, ce qui favorise la culture de plantes, de légumes et de fruits. Il note que nous assistons également à la réémergence de certains types de produits «d’antan» comme le manioc, le jaque ou encore le fruit à pain qui pourraient être des alternatives intéressantes pour le pays.

D’un autre côté, notre situation insulaire nous expose à des fluctuations extrêmes imputables au changement climatique. À cet égard, des mesures d’adaptation sont déjà en cours de mise en oeuvre. La rapide expansion des techniques de culture en environnement contrôlé en est une illustration concrète. Dans le domaine de l’agriculture en plein champ, les deux extrêmes auxquels nous pouvons faire face grâce à des solutions palliatives sont principalement liés à la pluviométrie (sécheresse et inondation). Pour faire face à la sécheresse, différentes méthodes de stockage de l’eau d’irrigation sont envisagées. Quant aux inondations des cultures, des canalisations sont établies dans les régions sujettes aux accumulations d’eau. L’intervention de l’État revêt une importance cruciale dans les deux cas.

Changement de paradigme

D’un autre côté, compte tenu de la limitation du marché intérieur combinée au faible potentiel d’exportation, les producteurs locaux font face à une concurrence intense. Pour se démarquer, ils peuvent adopter diverses stratégies, telles que la création d’une marque ou d’une enseigne distinctive, l’utilisation de packagings innovants, l’obtention de certifications en agriculture raisonnée (comme la certification MauriGAP) ou biologique (comme Ecocert), l’investissement dans la recherche variétale, la formation de partenariats stratégiques, l’utilisation de techniques de culture novatrices (telles que les green factories), l’engagement dans la transformation agroalimentaire (qu’elle soit artisanale ou industrielle) et, bien entendu, la mise en avant de la reconnaissance régionale (par le biais du terroir).

L’enjeu aujourd’hui, c’est l’adoption de nouvelles pratiques agricoles visant à régénérer nos sols qui s’appauvrissent en raison de l’intensification de nos cultures. L’agroforesterie est l’un des projets soutenus par la Chambre d’Agriculture, offrant des retombées économiques significatives tant pour le producteur que pour le pays. Cela s’exprime à travers la diversification des revenus par unité de surface, sur le plan social grâce à la collaboration potentielle induite par ce type d’initiative, et sur le plan environnemental en favorisant la régénération des sols et en apportant des réponses aux impacts du changement climatique.

Dans le changement de paradigme qui doit s’opérer, le réchauffement climatique constitue un élément qui nécessite une transformation dans la manière d’investir et de produire, en particulier dans le secteur agroalimentaire. Il devient essentiel d’incorporer une quantité croissante de données dans un contexte mondial souvent instable, tout en réussissant à concrétiser des investissements alignés sur une vision à long terme. À ce sujet, plus qu’une tendance, l’agroécologie représente aujourd’hui la technique du futur pour les systèmes agricoles. Elle prend soin des écosystèmes qui, à leur tour, récompensent les ‘agripreneurs’ avec un meilleur rendement et davantage de ressources.

Récemment, dans le cadre de son projet Smart Agriculture, la Chambre d’Agriculture de l’île Maurice a présenté la restitution des résultats des actions menées pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires chez les 13 planteurs bénéficiaires du projet depuis 2017. La phase 1 du projet a été initiée en 2015 avec le soutien financier de l’Agence Française de Développement (AFD) et la collaboration du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de l’île de La Réunion. La phase 2, qui a débuté en 2017, a été financée par le Mauritius Research and Innovation Council (MRIC), l’Union européenne sous l’initiative de financement de l’Alliance Mondiale contre le Changement Climatique avec le soutien technique et scientifique du Food and Agricultural Research and Extension Institute (FAREI) et du CIRAD, et la mise à dispositionde deux Volontaires de Solidarité Internationale (VSI) par Région Réunion. Le projet a également été soutenu par le Human Resource and Development Council (HRDC) qui, sous le Sectoral Skills Development Scheme, a financé des formations capitales pour la communauté des planteurs.

Selon Jacqueline Sauzier, Secrétaire Général de la Chambre d’Agriculture de l’île Maurice, les données collectées depuis le début du projet et sur les trois dernières années démontrent des résultats qui sont très encourageants. «Nous pouvons confortablement dire que la transition vers l’agroécologie est réalisable. Mais il faut se donner les moyens. Il est important de comprendre que la situation globale des planteurs locaux est critique, avec ou sans changement de posture agricole, notre sécurité alimentaire est en cause.»

La formation est un facteur important de ce processus. Comme le précise Jacqueline Sauzier, la formation et l’accompagnement ont été des éléments déterminants pour le changement de posture des planteurs bénéficiaires. Les différentes formations apportées sur la durée du projet ont permis de démontrer plusieurs aspects importants. Jacqueline Sauzier cite les collaborations de la Chambre d’Agriculture avec le Regional Training Centre (RTC) sous le financement du HRDC et le National Training and Reskilling Scheme qui a formé une centaine de Mauriciens aux bases de l’agriculture à travers le programme Starting your Journey in Agriculture. «Des vocations agricoles ont été ouvertes et la suite est nécessaire. C’est ainsi que la Chambre d’Agriculture oeuvre pour la création d’une École Technique Agricole pour rendre ces formations simples et disponibles à un plus grand nombre», indique Jacqueline Sauzier.

Cependant, la commercialisation de ces productions issues d’une pratique agricole saine à un prix juste est aussi un aspect important. «La réponse la plus simple est effectivement de dire qu’il faut mettre en place de la certification. À travers le projet Karo Natirel, nous avons identifié les aspects des programmes de certification qui sont connus et acceptables par les divers acteurs de la filière ; du planteur au consommateur en passant par le distributeur. Et nous souhaitons remercier la Haute Commission australienne de cet accompagnement financier», ajoute Jacqueline Sauzier

TECHNOLOGIES AGRICOLES

L’industrie agricole s’est radicalement transformée au cours des 50 dernières années. Les progrès réalisés dans le domaine des machines ont permis d’accroître la taille, la vitesse et la productivité des équipements agricoles, ce qui a permis de cultiver plus efficacement davantage de terres. Les semences, l’irrigation et les engrais se sont également beaucoup améliorés, aidant les agriculteurs à améliorer les rendements.

La technologie agroalimentaire est le secteur phare des prochaines décennies. En même temps, laquatrième révolution agricole est en marche, et Maurice ne doit pas rater le coche. Au sein de ce nouveau paradigme, la numérisation, l’automatisation et l’Intelligence Artificielle jouent un rôle majeur dans la production végétale, y compris le désherbage et la lutte contre les parasites. Cette évolution présente bien des opportunités pour Maurice.

Effectivement, les technologies numériques – Internet, les technologies et appareils mobiles, l’analyse des données, l’Intelligence Artificielle, les applications et services fournis par voie numérique – sonten train de transformer l’agriculture et le système alimentaire. Les exemples abondent à différents niveaux de la chaîne de valeur agroalimentaire. L’automatisation des machines agricoles permetun réglage précis des apports en intrants et réduit la demande de main-d’oeuvre, les données de télédétection et télémesure par satellite et les capteurs insitu permettent une surveillance plus précise et moins onéreuse de la croissance des cultures et de la qualité des terres ou des ressources en eau. Et les technologies de traçabilité et services logistiques numériques offrent la possibilité de rationaliser les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires tout en apportant une information fiable aux consommateurs.

L’agriculture d’aujourd’hui utilise couramment des technologies sophistiquées telles que des robots,des capteurs de température et d’humidité, l’imagerie aérienne et le GPS. L’Intelligence Artificielle, l’analytique, les capteurs connectés et d’autres technologies émergentes pourraient permettre de booster les rendements, d’améliorer l’efficacité de l’eau et des autres intrants, et de renforcer la durabilité et la résilience des cultures et de l’élevage.

À titre d’exemple, les drones sont un outil efficace pour le repérage des cultures, permettant aux utilisateurs d’avoir une vue d’ensemble de leurs champs en quelques minutes. Les cas d’utilisation sont nombreux. À l’international, les fermes utilisent de plus en plus les drones pour découvrir la variabilité de leurs champs. Les assureurs agricoles les utilisent après des événements météorologiques, ce qui les aide à évaluer les demandes d’indemnisation pour dommages aux cultures grâce à des cartes précises de ces dégâts.

Les agronomes recueillent, eux, des cartes de haute précision pour créer des prescriptions d’azote et de pesticides. Au lieu de rechercher les problèmes dans l’ensemble du champ, les utilisateurs de drones disposent d’un éclaireur autonome qui leur permet d’obtenir la configuration du terrain. À l’aide d’un drone peu coûteux, ils peuvent cartographier un quart de section complet de terrain en 20 minutes environ, fournissant une carte en temps réel pouvant afficher instantanément la variabilité et leur permettant d’identifier rapidement les zones à problèmes et de déterminer des solutions.

Malheureusement, l’adoption et la transposition à plus grande échelle des innovations dans le secteur agroalimentaire local sont en retard sur les autres secteurs. Mais si Maurice s’embarque sur cette voie, ces progrès technologiques pourraient contribuer au renforcement de la résilience, de la productivité et de la durabilité de notre secteur agricole et alimentaire afin qu’il réponde plus précisément aux besoins des consommateurs.

Soit par la mise en place de modèles de production de chaîne de valeur permettant de créer des liens économiques stables entre les différents partenaires ; par l’utilisation accrue de la technologie et de l’Intelligence Artificielle (drones, capteurs pour l’acquisition et l’analyse rapide de données) pour mieux comprendre certaines situations ; prendre des décisions rapidement et capitaliser de manière optimale sur les phénomènes et les problèmes déjà rencontrés ; créer les facilités pour l’accès à la mécanisation en raison du coût et de la rareté de la main-d’oeuvre.

L’intégration d’outils technologiques en 2021, du type QGIS ou drone chez Terra, en est un autre exemple. Ces outils lui permettent de concevoir des plans d’aménagement. Le but est de minimiser les risques d’érosion amplifiés par les flash floods et la perte de couche arable. Le logiciel QGIS lui permet également d’identifier les bassins versants, ce qui contribue à la conception de passages d’eau dans les champs. Des solutions innovantes pour un aménagement du territoire définitivement plus respectueux de la nature.

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