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Madagascar – Tanjaniaina Julio Razafindramaro : «La ZES aura des retombées considérables pour Anôsy»

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Madagascar - Tanjaniaina Julio Razafindramaro : «La ZES aura des retombées considérables pour Anôsy» | business-magazine.mu

Chef de la région Anôsy et économiste, Tanjaniaina Julio Razafindramaro jette un regard éclairé sur les perspectives de développement dans le sud-est de Madagascar qui abritera une zone économique spéciale.

BUSINESSMAG. Quel a été votre parcours jusqu’à présent ?

Économiste, j’ai été formé à Clermont-Ferrand en économie du développement et analyse de projet. Cela après avoir eu mon diplôme de maîtrise en sciences économiques à l’Université de Tamatave. Ensuite, j’ai exercé dans le domaine de la microfinance en tant que coordonnateur de projets dans différentes régions de la Grande île.

Mon entrée en politique remonte à 2002 en tant que commissaire général chargé des affaires économiques et financières de la province autonome de Tuléar. Je suis devenu directeur administratif et financier en 2003. Ma nomination en tant que chef de région Anôsy date de décembre 2015.

BUSINESSMAG. Quelles sont les qualités essentielles pour devenir politicien ?

Il faut du professionnalisme! Un politicien – surtout s’il est dans l’exécutif – doit avoir différents savoir-faire. La capacité d’organisation et de gestion est d’une importance capitale. Des expériences sont nécessaires car une meilleure connaissance des réalités du terrain aide à la prise de décision.

Hormis la technique, le sens de l’écoute est de mise. Autrement dit, avoir la capacité de faire une bonne lecture de la situation et de ce que la masse populaire attend. Et, finalement, un politicien doit être accessible pour permettre l’échange.

Être politicien, c’est servir la nation, avoir le pouvoir d’amorcer le changement. Être chef de Région, par exemple, c’est avoir la responsabilité de développer la région. De plus, c’est un métier noble et passionnant.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il des inconvénients ?

Ce sont surtout les pressions. Celles-ci viennent généralement des habitants de la région et non de la hiérarchie, qui ne fait que transmettre des directives et des consignes. Par contre, à la base, les attentes de la population sont énormes. Et le comble, c’est qu’on ne peut pas satisfaire en même temps tous ses besoins. Il y a ceux que l’on ne peut répondre qu’à long terme ou à moyen terme. Prenons l’exemple du chômage des jeunes. La solution, on le sait, passe par la création d’emplois. Pour ce faire, on doit attirer les investisseurs. Toutefois, leurs décisions ne dépendent pas des autorités politiques, mais d’autres paramètres.

BUSINESSMAG. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes qui veulent se lancer dans la politique ?

Tout d’abord, il faut étudier et acquérir des diplômes. Cependant, avoir un diplôme ne suffit pas pour servir le pays. Il est nécessaire d’acquérir des expériences diverses. Il ne s’agit pas ici d’une condition stricte, mais c’est avantageux pour le pays d’avoir des politiciens intellectuels.

BUSINESSMAG. Quel bilan dressez-vous pour la région Anôsy ?

Permettez-moi de diviser le bilan en deux grandes parties: celle du bureau et celle de l’espace géographique. Concernant le bureau de la région, j’ai fait un état des lieux et un diagnostic de la situation après ma nomination. En ce temps, hormis le manque de matériel, force était de constater que la région n’avait pas de visibilité au niveau national. Un manque d’organisation se faisait sentir, comme l’inexistence d’un plan de travail annuel. Je me suis d’abord attaqué à ces problèmes. Comment peut-on changer une région tout entière s’il n’y a pas de changement palpable sur le lieu de travail ? À ce jour, l’équipe produit des rapports. Des suivis et évaluations se font de manière ponctuelle.

Il faut admettre qu’il y a un manque de coordination au niveau des projets de développement dans la région. J’ai fait de mon mieux pour multiplier les échanges autour de ces projets. Nous avons essayé d’améliorer la collaboration avec les bailleurs de fonds en répondant à des critères comme la protection de l’environnement. Il est encore difficile pour Madagascar en général et la région Anôsy en particulier de rompre avec les bailleurs de fonds.

Aujourd’hui, le bilan est positif : la région Anôsy entame son décollage appuyé par une bonne coordination des projets. En fait, les projets ne peuvent être lancés sans validation en amont de la région.

BUSINESSMAG. Comment voyez-vous se développer la région Anôsy ?

C’est une région qui regorge de richesses dans tous les domaines, que ce soit en agriculture, élevage, ressource minière, pêche et tourisme. En agriculture, plusieurs filières possèdent du potentiel comme le riz, le manioc, le haricot, la baie rose. Côté pêche, la région possède 194 km de littoral et des lacs pour la pisciculture qui, soit dit en passant, doit être redynamisée. S’agissant du tourisme, la région abrite d’innombrables sites touristiques avec des biodiversités étonnantes comme les parcs nationaux. Mieux encore, le miel devient depuis quelques années une filière porteuse pour la région et fait vivre des milliers de ménages.

BUSINESSMAG. Dans quelle mesure la création d’une zone économique spéciale (ZES) profitera-t-elle à la région Anôsy ?

En tant qu’économiste, je pense que cette zone économique spéciale qui sera installée dans la cité dauphine apportera certainement des retombées considérables pour la région Anôsy en particulier et Madagascar en général.

La situation, c’est que le chômage frappe de plein fouet les jeunes Malgaches et il est plus qu’urgent de créer de l’emploi. La ZES facilitera l’implantation des investisseurs étrangers ou bien des investisseurs nationaux grâce aux différentes mesures d’incitation. Une augmentation des investissements implique l’accroissement des revenus des agents économiques et de la production, donc de la croissance économique.

Il est fort probable que les industries de traitement et de transformation des produits locaux se multiplient. Dans une optique de minimisation des coûts, elles vont opter pour la délocalisation afin de profiter du port Ehoala au lieu de subir les frais de transport vers Tamatave.

À cela s’ajoute l’appréciation de la monnaie nationale avec les rentrées en devises. Dans le même temps, l’on a constaté une multiplication des échanges internationaux.

Par ailleurs, cette zone touchera de manière positive les revenus des paysans. En ce moment, certaines cultures tardent à se développer en raison des débouchés. Avec la ZES, il y aura des débouchés dans la région. Les produits agricoles et de l’élevage seront valorisés.

BUSINESSMAG. Quelles sont les conditions nécessaires à l’efficacité de cette ZES ?

Il y a d’abord le désenclavement. La construction de routes doit être une priorité pour faciliter la circulation des produits. Même si la ZES sera mise sur pied, l’acheminement des produits vers Taolagnaro demeure difficile. Fort heureusement, la réhabilitation des routes est sur la bonne voie avec celle vers Vaingandrano et Amboasary. Nous militons pour la construction de toutes les routes comme Ihosy-Taolagnaro. Dès lors, les produits venant de Haute Matsiatra, par exemple, pourraient être exportés via le port Ehoala.

Deuxièmement, c’est la sécurisation foncière. Les communes doivent avoir des schémas d’aménagement communal afin de repérer les espaces disponibles. Ensuite, on se doit d’alléger l’accès au foncier pour permettre une augmentation de la production.

Et finalement, il faut un changement de comportement des paysans. Nous devrons faire preuve d’ouverture d’esprit et accepter les méthodes modernes de production pour avoir des gains de productivité. Les paysans ont de plus en plus besoin d’accompagnement et d’encadrement en ce moment. Dans ce cadre, le renforcement des structures comme les coopératives et les plateformes sera nécessaire pour que la ZES ait un impact sur la majorité des habitants dans l’Anôsy.

BUSINESSMAG. Anôsy est-elle prête en termes de capital humain pour cette ZES ?

La région a une politique précise sur les formations. Actuellement, nous cherchons des informations sur les types d’emplois demandés par les entreprises qui vont s’y installer. Tout cela afin de permettre l’adéquation entre l’offre et la demande pour le travail. Dans cette perspective, nous entamons des négociations avec des instituts de formation à Antananarivo pour qu’ils se délocalisent à Fort-Dauphin.

En outre, nous visons le développement de compétences des jeunes de la région avec notre stratégie de formation professionnelle. Sur ce point, les partenaires techniques et financiers ont déjà manifesté leur volonté d’aider la région.

BUSINESSMAG. Quelle est votre vision pour Madagascar ?

Je reste positif : Madagascar va se développer. Cependant, il importe que les Malgaches changent leurs façons d’agir et de penser. On doit s’adapter à la situation présente et changer nos comportements pour que l’on puisse avancer.

Avec certitude, je pense que cette génération entamera les bases du développement de cette grande île. C’est décevant de voir qu’en Afrique, certains pays arrivent à avoir un rendement de six tonnes par hectare en culture de riz, alors que nous sommes encore à 1 tonne par hectare avec plus de 70 % de la population qui vit dans le monde rural.

De même, on doit inculquer aux paysans la culture entrepreneuriale. Dépasser le comportement atypique est de mise, c’est-à-dire le fait de cultiver seulement pour survivre et subvenir aux besoins essentiels. Les paysans doivent se lancer maintenant dans l’agribusiness, chercher des débouchés et augmenter les valeurs ajoutées pour pouvoir améliorer leur niveau de vie. Dans cette ligne de pensée, il est temps d’inciter les jeunes à se lancer dans le secteur agricole.

Nous sommes tous responsables de la destinée de ce pays. Madagascar a besoin de l’effort de tout un chacun. En outre,
j’invite les Malgaches à se retrousser les manches et à travailler. Il faut casser le paradoxe de ce pays qui dispose de ressources considérables, mais est peuplé de pauvres.