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Réunion – Jean-Pierre Rodzinka : un petit producteur de canard gras qui voit grand

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Réunion - Jean-Pierre Rodzinka : un petit producteur de canard gras qui voit grand | business-magazine.mu

Amoureux du canard gras qui fait le bonheur des papilles des épicuriens de son restaurant, Jean-Pierre Rodzinka n’a aujourd’hui qu’un projet en tête : développer la première filière canard gras de La Réunion.

Depuis 2013, Jean-Pierre Rodzinka et son épouse Isabelle, chef cuisinière depuis 14 ans, tiennent le restaurant Le Canard Bourbon au Tampon. Leur spécialité : le canard gras sous toutes ses formes.

Le canard gras, pour les néophytes, est un hybride spécialement conçu pour produire du foie gras. Plus exactement, c’est un croisement entre des canards de Barbarie et des cannes de Pékin. Ces femelles sont de très bonnes pondeuses et ont entre 12 et 15 petits par portée. Et tous les poussins issus de ces accouplements sont de fait stériles. Cependant, il faut savoir qu’il n’existe pas de reproduction de canard gras à La Réunion, les poussins sont donc importés de métropole: environ 150 par mois. «Ils arrivent à deux jours dans l’île. Ils sont ensuite placés en nurserie durant trois semaines, puis élevés en plein air au minimum trois mois, placés durant 15 jours en pré-gavage alternant maïs-herbe, et 15 jours en gavage. Ces canards bio, aptes à la transformation au bout de cinq mois environ, sont abattus à la Petite Ferme à la Plaine des Cafres par un éleveur, Yannice Lallemand, que nous avons aidé à se lancer dans le canard gras en 2015», précise Jean-Pierre Rodzinka.

À la base, Le Canard Bourbon s’approvisionnait en canard dans une ferme à la Plaine des Cafres. Jean-Pierre Rodzinka se rappelle que le 23 décembre 2014, il est tombé des nues en apprenant qu’il n’y avait plus de canard (vendu à 35 euros) disponible. C’était la panique ! Il allait se retrouver sans matière première à la veille des fêtes. Finalement, il s’est rendu à l’abattoir de Trois Bassins – une structure agréée mise à disposition des éleveurs de l’île par l’ancien maire de la commune pour 1 euro par mois – où il a pu s’approvisionner… Et c’est là que l’idée de produire lui-même ses propres canards lui est venue. C’est ainsi que sa femme et lui ont approché un éleveur, M. Lallemand. Depuis, celui-ci livre 15 à 20 canards vidés et plumés aux restaurateurs, originaires du Gers, qui transforment l’intégralité des volailles (exceptées les pattes et la tête) en rillettes, aiguillettes, magrets, saucisses, côtelettes… L’année dernière, les Rodzinka ont ainsi transformé 950 canards, soit environ quatre canards par jour.

Cependant, Jean-Pierre Rodzinka veut aller plus loin et nourrit le projet de développer une filière canard gras locale.

«À La Réunion, il est dommageable d’importer beaucoup de canards venant de Madagascar. Avec l’altitude qu’on a, on est capable de faire du canard gras. En métropole, du fait que les canards sont cardiaques, on ne fait de gavage qu’en hiver, de septembre à décembre. Il est donc remarquable que de grandes marques arrivent à fournir toutes les centrales d’achats pour les fêtes en produits canard labellisés Sud-Ouest… On fonctionne là avec des élevages de 3 000 canards par semaine. Alors imaginez la nature du produit présent dans votre assiette… Ce sont des canards dits d’Épinal, élevés en cage», fait-il ressortir.

Il y a un réel savoir-faire à La Réunion selon le restaurateur. L’avantage de produire à La Réunion est de créer une filière produit «péi», une image de marque à laquelle les Réunionnais sont attachés.

«On n’a plus besoin de mâles car tout passe par une insémination artificielle, évitant ainsi tout problème de consanguinité. Il faudrait ainsi stocker la semence des mâles et avoir environ 200 femelles, soit des naissances de 3 000 petits. Ensuite, il faut bien sûr assumer la transformation et l’écoulement des stocks… La transformation du canard est faite dans des normes draconiennes; il n’y a aucun doute sur la qualité des marchandises, il n’y aura donc aucun souci d’écoulement», souligne Jean-Pierre Rodzinka.

Les très gros clients potentiels restent les collectivités. Une loi écologiste sur le manger local a, en effet, été adoptée, les obligeant à avoir au moins 40 % de produits issus de l’alimentation durable, locaux ou de saison en restauration collective publique d’ici à 2020. Soit environ 40 % de production locale.

Cependant, le constat est que le canard n’est pas une viande très consommée à La Réunion. «Le canard n’est pas encore entré dans les mœurs des Réunionnais. C’est pratiquement une viande de fête. C’est un problème culturel, tout comme pour le pigeon, quasiment pas consommé», indique le restaurateur. Le canard gras est donc un produit noble, mais il a son «Des chefs d’entreprise, des personnalités politiques, des commerçants et des professions libérales viennent déguster le canard gras dans mon restaurant», soutient Jean-Pierre Rodzinka. Et d’ajouter qu’il faut démystifier le produit canard et l’image du gavage cruel… «Il faut savoir que physiquement, un canard peut manger 2 kg d’aliment en une fois et quand on gave un canard, c’est deux fois par jour, et à 350 g les deux premiers gavages. On est très loin de l’échelle de tolérance… Ce sont des canards faits pour ça !»

Mais Jean-Pierre Rodzinka n’est pas découragé en se positionnant sur un marché de niche. Il s’est déjà rapproché de quelques producteurs, mais aussi de la Chambre d’Agriculture. «Une exploitation demande de l’espace. Il faut partir du principe que si vous avez 100 femelles qui font 1 500 canards, cela correspond largement au marché réunionnais. Il existe beaucoup de structures au niveau abattoir, mais aucune au niveau élevage. C’est cette partie qu’on va essayer de développer. Il faut environ 200 000 euros au minimum pour lancer une exploitation», révèle-t-il par ailleurs.

D’ici à fin 2016, la filière canard gras devrait être concrétisée et structurée, pour qu’à terme, La Réunion ne soit plus tributaire de la métropole, mais complètement autonome. Quant à Jean-Pierre Rodzinka, il compte bien être de l’aventure.