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Ava Eschwège : «Le ‘brand journalism’ ne parle pas d’une marque mais de son univers»

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Ava Eschwège : «Le ‘brand journalism’ ne parle pas d’une marque mais de son univers» | business-magazine.mu

Concept largement répandu en Europe et aux États-Unis, le «brand journalism» transforme les marques en médias. Ava Eschwège, journaliste spécialisée en marketing de contenu et fondatrice d’AdC (Agence de Contenu) à Paris, décrypte cette tendance pour Business Magazine.

BUSINESSMAG. Comment définiriez-vous le «brand journalism» ? Quelle en est l’importance ?

Le brand journalism (ou contenu de marque) peut être défini comme du journalisme appliqué aux marques. Pour créer une stratégie éditoriale et un contenu éditorial récurrent, unique, destiné à être lu par une audience, mieux vaut, en effet, être aidé par des journalistes qui ont eux-mêmes l’expertise du lecteur et du secteur concerné. C’est un métier. Les journalistes dont je vous parle savent non seulement écrire mais ont surtout la capacité de détecter les sujets porteurs, en lien avec le média, les tendances à suivre, les personnes intéressantes à interviewer. Bref, un journaliste sait analyser, décrypter et peut percevoir facilement quel contenu éditorial convient le mieux à un site Internet de marque. Le brand journalism permet donc de rendre une stratégie éditoriale vivante et cohérente.

BUSINESSMAG. Comment le distinguez-vous du publireportage?

Le publireportage est un produit hybride, rédigé pour la marque et publié dans un média. Il porte à confusion. Par contre, le brand journalism permet à une marque de publier son propre contenu sur son site, son blog, dans son magazine, et traite de sujets liés à l’univers de la marque sans citer celle-ci. Il met en avant des avis d’experts, des décryptages, des conseils. Ces deux outils sont donc complémentaires.

BUSINESSMAG. S’éloigne-t-on de la publicité classique ? Peut-on dire que le «brand journalism» est l’avenir de la publicité ?

Il ne faut pas confondre brand journalism et publicité. Bien sûr, ces deux outils peuvent accroître la notoriété d’une marque mais ils n’utilisent pas les mêmes ressorts. La publicité mettra en avant la marque, le produit ou le service d’une compagnie alors que le brand journalism ne parlera pas de la marque mais de son univers.

Par exemple, en publicité, une marque de cosmétique vantera les mérites d’une crème solaire tandis que le brand journalism donnera la parole à un dermatologue. En sa qualité de spécialiste, il éclairera le public sur les conséquences d’une exposition prolongée au soleil en termes de vieillissement de la peau, notamment. De la même façon, un groupe hôtelier présentera l’un de ses resorts dans une publicité mais utilisera le brand journalism pour publier un guide sur les sorties insolites autour de cet hôtel. Pour en revenir à votre question, l’on ne peut pas dire que le brand journalism est l’avenir de la publicité puisqu’il n’a pas la même mission.

Cela me gêne quand on parle de brand journalism ou de contenu de marque en tant que support publicitaire. Le brand journalism permet à la marque de créer son propre média et de construire une vraie ligne éditoriale autour de son positionnement. Cela sert à la stratégie de communication de la marque mais ce n’est pas de la publicité. Ce type de journalisme n’a pas pour vocation de convaincre mais de créer du lien, d’informer, de fidéliser.

BUSINESSMAG. Est-il devenu un impératif du marketing pour l’entreprise moderne ?

Le brand journalism est, en effet, devenu impératif car le digital a pris son envol et est aujourd’hui simplement incontournable. Or, pour exister sur Internet, une marque a besoin d’un contenu intelligent, qui fait sens, qui animera une communauté. Ce contenu permettra à la marque de conquérir de nouveaux clients, de les fidéliser et créera du lien. Le brand journalism a également tout son sens car grâce à lui, la marque peut informer sur son univers et, de ce fait, se positionner en experte.

BUSINESSMAG. À travers quel support (le Web ou la presse papier) le contenu de marque est-il plus à même de toucher les consommateurs ?

Tout dépend de la marque et de sa cible. Chaque stratégie de contenu est différente. Le Web est, bien sûr, incontournable de nos jours. Que ce soit dans les relations business-to-business (B2B) ou business-to-consumer (B2C), Internet est un moyen de s’informer. Dans ce contexte, le contenu devra être publié sur le Web et au-delà de cela, être diffusé. Dans des secteurs comme le luxe, publier un magazine papier a aussi tout son sens parce que ce support sera statutaire. Dans d’autres secteurs, associer les deux sera un plus. Le consommateur s’informe aujourd’hui en priorité sur le Web, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux. C’est la raison pour laquelle la presse écrite et la télévision sont en perte de vitesse. L’explosion du digital et, parallèlement, le besoin de faire partie d’une communauté ont contribué à l’essor du brand journalism.

BUSINESSMAG. Est-ce qu’en ayant recours au «brand journalism», les marques souhaitent informer sur leurs produits sans pour autant donner au consommateur l’impression qu’il est face à un discours commercial ?

Comme je l’ai dit, les marques se servent surtout du brand journalism pour livrer une information sur leur univers, pour décrypter les tendances de leur secteur avec des experts reconnus, pour informer sur des problématiques liées à leur domaine d’activité. Le consommateur n’a ainsi jamais l’impression qu’il est face à un discours commercial pour la simple et bonne raison qu’il n’y en a pas.

BUSINESSMAG. Trop brouiller les pistes entre contenu journalistique et contenu de marque n’amènera-t-il pas le public à ne plus se fier à aucun discours ?

Tout d’abord, remettons les choses à leur place. Le contenu de marque ou brand journalism est simplement un contenu qui utilise les techniques et les compétences du journaliste. Aucune marque ne s’est jamais vantée d’utiliser ou de faire travailler des journalistes. Les marques ont uniquement recours aux techniques journalistiques pour avoir les bonnes idées de sujet, les bons intervenants et créer du contenu.

En 2010, AdC (Agence de Contenu) naissait et avec elle, l’alliance de deux mots que tout pouvait opposer : «brand» et «journalism». Comment une marque peut-elle, en effet, prétendre faire du journalisme ? Que peuvent bien avoir en commun les journalistes et les marques ? Un journaliste peut-il raisonnablement travailler pour une propriété commerciale ? Toutes ces questions ont été plus d’une fois posées. Oxymore ? Exagération? Mariage insensé ? Sept ans après, les marques ont bel et bien compris que cette activité n’est rien d’autre que du journalisme appliqué aux marques. Ces dernières n’ont jamais été accusées de tromper leur client et les journalistes n’ont jamais perdu leur carte de presse.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il de la neutralité du journaliste ?

Si un journaliste continue à réaliser des articles sur l’univers de la marque et ne vante pas les produits, votre question n’a pas sa raison d’être. En quoi le journaliste perd-il sa neutralité quand il rédige un article sur l’avenir de la voiture autonome ou les moyens de réaliser des économies d’énergie ?

BUSINESSMAG. Le consommateur se montre-t-il plus réceptif à un marketing abusif, tapageur, voire mensonger ou à une communication de marque plus subtile, ancrée dans la modernité et qui diffuse des contenus de qualité ?

Le consommateur n’a jamais été aussi informé, expert et connaisseur. Il sait aujourd’hui faire la part des choses. Il appréciera par conséquent autant un marketing bien fait qu’une communication de marque subtile. À condition qu’on ne triche pas.

BUSINESSMAG. Quels sont les enjeux du «brand journalism» ?

Faire du brand journalism, c’est transformer les marques en médias. Les enjeux sont donc de continuer de se mettre à la place des lecteurs en se demandant ce qui les intéresse et comment une marque peut les aider à comprendre les évolutions d’un secteur.