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Interview Rencontre

François Eynaud: «Au niveau des tarifs, la basse saison fait toujours mal»

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François Eynaud: «Au niveau des tarifs

François Eynaud, CEO du groupe VLH, évoque les grands enjeux dans l’industrie touristique, notamment les défis liés à la communication digitale. Il parle aussi de l’avenir du groupe et de la nécessité de redonner confiance au business.

BUSINESMAG. Le secteur touristique connaît une embellie ces derniers mois. Est-il maintenant sur la voie d’une croissance robuste ?

Nous constatons, en effet, une belle reprise de notre industrie touristique depuis 2015 avec une croissance des arrivées à double chiffre en 2015 et sans doute en 2016. Cette croissance est facilitée par des facteurs externes comme l’insécurité dans certains pays et le dollar fort qui rend certaines destinations moins compétitives. Les facteurs internes qui expliquent cette reprise sont le nouveau dynamisme insufflé par le ministère du Tourisme et la Mauritius Tourism Promotion Authority, ainsi que l’amélioration de l’accès aérien avec de nombreuses nouvelles compagnies aériennes desservant Maurice. On peut dire également que cette reprise est un rattrapage de la faible croissance touristique entre 2009 et 2014.

BUSINESMAG. Il y a quelques années, on disait que Maurice avait un problème de visibilité à l’étranger. La situation a-t-elle évolué ?

La visibilité de Maurice est définitivement en train d’évoluer dans le bon sens. La MTPA a été restructurée. Elle travaille maintenant avec beaucoup plus de rigueur et de planification, notamment pour les campagnes de promotion sur les marchés et avec l’utilisation des outils digitaux. Les hôteliers se sont également mis à la communication digitale, notamment sur les réseaux sociaux et cela améliore notre visibilité.

BUSINESMAG. À quel point les outils technologiques ont-ils modifié l’industrie du voyage ?

Les nouveaux outils technologiques ont modifié totalement la relation que les hôteliers entretiennent avec les voyageurs et vice versa. Internet aide les voyageurs à avoir accès à une multitude d’informations qui ne leur étaient pas accessibles autrefois : sites Web avec toutes les informations et contacts nécessaires pour se renseigner ou réserver, sites de commentaires clients avec des avis indépendants d’autres voyageurs, comparateurs de tarifs en ligne qui permettent de rechercher les meilleures offres sur plusieurs sites en même temps, sites Web regroupant les opérateurs «non officiels» comme Airbnb ou Homelidays qui leur donnent accès à de nouveaux types d’hébergements informels... Les hôteliers doivent se réinventer pour prendre toute la mesure de ces changements et savoir structurer leur approche commerciale pour intégrer ces éléments. Ce nouvel environnement a créé toute une série de nouveaux métiers qui participent justement à la professionnalisation de cette relation directe entre l’hôtelier et le voyageur: gestionnaire Web, expertise en e-commerce, responsable de Social media, administrateur des bases de données e-mail, responsable de la réputation en ligne, etc.

BUSINESMAG. Sommes-nous en retard par rapport à nos concurrents sur le plan de la communication digitale ?

Effectivement, Maurice a encore besoin d’investir dans le domaine de la communication digitale. Aujourd’hui, la grande majorité des destinations touristiques investissent la majorité de leurs ressources dans le marketing digital. Ce type d’investissement permet de toucher un public beaucoup plus large qu’autrefois tout en jouant sur des contenus beaucoup plus interactifs, multimédias et adaptés à des publics spécifiques. Maurice dans son ensemble doit investir davantage dans le digital pour promouvoir la destination, inspirer les voyageurs et les fidéliser à travers leurs comptes Social medias ou des campagnes CRM (Customer Relationship Management).

Il nous faut une stratégie marketing beaucoup plus pointue car tous ces outils nous permettent un meilleur ciblage des segments et sous-segments des marchés.

BUSINESMAG. Quelle sera la stratégie future de VLH et comment voyez-vous l’avenir du groupe ?

Tout d’abord, VLH a réalisé de belles performances pour son année financière se terminant le 30 juin 2016. Notre chiffre d’affaires a progressé de 15 % pour atteindre Rs 2 milliards. Alors que le taux de remplissage des hôtels Veranda et Heritage a atteint 85 %, soit 7 points de plus que l’année dernière et le prix moyen des chambres a progressé de 10 %. En conséquence, la profitabilité de VLH a plus que doublé pour atteindre Rs 200 millions avant taxes.

Notre plan stratégique est de croître l’inventaire du groupe sous la marque Veranda Resorts en 3 et 4 étoiles à Maurice et dans la région. Nous avons des marques fortes, des promesses de marque claires, un taux de satisfaction client élevé et donc une forte demande pour nos produits. Notre croissance d’inventaire se fera selon plusieurs formules : acquisition, partenariat, contrat de gestion. Nous venons d’annoncer l’acquisition de l’Hôtel Tamarin. Cet hôtel situé à l’emblématique Baie de Tamarin vient se rajouter à la gamme d’hôtels Veranda Resorts.

Nous avons un réseau commercial très étendu aussi bien sur les marchés traditionnels que sur les marchés émergents, des bureaux de vente à l’étranger et des partenariats de distribution très solides.

Nous continuerons à mettre l’accent sur les nouvelles technologies pour le e-business, les outils de gestion internes et l’expérience client. Nos priorités sont la consolidation de nos marques Veranda et Heritage Resorts, l’enrichissement des expériences clients à travers l’innovation (surtout dans l’espace unique du Domaine de Bel Ombre), la formation et la croissance de nos équipes, un engagement très fort pour le développement durable et, enfin, un ancrage solide de notre culture de l’excellence.

En 2017, nous allons rénover les hôtels Heritage Le Telfair et Veranda Paul et Virginie, et prévoyons l’acquisition d’un cinquième hôtel Veranda.

BUSINESMAG. Quelle est votre contribution au chiffre d’affaires du groupe Rogers ?

VLH contribue environ 25 % au chiffre d’affaire de Rogers.

BUSINESMAG. Rogers a évoqué des projets pour la région de Bel Ombre. Pouvez-vous nous donner un avant-goût de la seconde phase de développement dans cette région ?

Comme vous l’avez écrit dans Business Magazine en mai dernier, la destination touristique de Bel Ombre est un pari réussi avec Rs 15 milliards investies en 15 ans. Les hôtels Heritage Awali, Heritage Le Telfair et les Heritage Villas ont comme promesse de marque «2 500 hectares d’expérience» dans un des lieux les plus préservés de Maurice. Cela est en totale adéquation avec ce que recherchent aujourd’hui les touristes. Nous allons donc continuer à enrichir les expériences, les activités et le calendrier événementiel dans le Domaine de Bel Ombre. Nous prévoyons un deuxième Championship Golf Course à l’horizon fin 2018. Cela consolidera la réputation maintenant mondiale de l’Heritage Golf Club, reconnu comme le meilleur golf de l’océan Indien ces dernières années. En 2017, l’AfrAsia Bank Mauritius Open revient à l’Heritage Golf Club avec un plateau de joueurs professionnels encore plus relevé.

Nous avons en projet à Bel Ombre des Ecolodges, un Integrated Land & Marine Centre, afin de faire découvrir à nos visiteurs la riche biodiversité côtière de l’île, de nombreuses nouvelles activités mer et nature, ainsi que l’embellissement des jardins tropicaux. Le développement immobilier continuera tout en respectant l’aspect préservé de la destination.

BUSINESMAG. Ces dernières années ont vu un développement croissant des facilités d’hébergement hors hôtels. En quoi cela a-t-il modifié la donne pour les hôteliers ?

C’est vrai, le parc de chambres hors hôtels a connu une croissance beaucoup plus rapide que les chambres d’hôtels ces dernières années, à tel point qu’à ce jour, le parc hôtelier ne pèse qu’environ 65 % de l’hébergement disponible. Le développement et l’impact d’Airbnb à Maurice sont certains, même si cela n’a pas encore été évalué.

La donne change effectivement pour les hôteliers car la concurrence s’amplifie, mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose pour la destination. Une plus grande diversité de l’offre d’hébergement traduit le caractère vivant de la destination, avec notamment beaucoup de séjours répétés de nos touristes et une panoplie d’expériences qui enrichissent l’hospitalité mauricienne. Mais cette diversité ne doit pas se faire avec une baisse de la qualité de nos prestations. Et c’est bien cela qui nous inquiète. D’où nos appels réguliers aux autorités pour que les proportions hôtels / non hôtels soient gérées stratégiquement, avec une certaine idée du positionnement exclusif de notre destination et un maintien de la qualité qui demeure la priorité de nos autorités touristiques.

BUSINESMAG. L’hôtellerie est un des secteurs les plus endettés, à plus de Rs 44 milliards. Comment expliquer cela ?

L’hôtellerie est une industrie très Capital intensive pour ceux qui possèdent leurs hôtels. À l’arrivée de la crise en 2008, de nombreux hôteliers étaient engagés dans plusieurs nouveaux projets qui ont été concrétisés, mais dont le retour sur investissement a été retardé par les années difficiles de 2009 à 2014. Cela dit, la plupart des opérateurs ont restructuré leurs dettes, notamment en convertissant certains prêts en euro et livre sterling, et en procédant à des augmentations de capital.

BUSINESMAG. Qu’en est-il de votre stratégie de désendettement ?

VLH a un gearing ratio de 33%, c’est-à-dire une structure financière de 75 % de fonds propres et 25 % de dettes, ce qui est très sain. De plus, une partie de nos emprunts a été convertie en euro et livre sterling, ce qui a réduit drastiquement nos frais financiers. Nous n’avons pas de stratégie de désendettement. Bien au contraire, VLH a la capacité d’emprunter pour financer son développement et ses projets à venir.

BUSINESMAG. La basse saison a-t-elle vraiment disparu, comme l’affirme le ministre du Tourisme ?

Depuis 2015, nous constatons une belle progression de l’occupation en basse saison (mai à septembre), cela grâce aux nouveaux marchés, à l’amélioration du service aérien et aux calendriers d’événements culturels, sportifs, golfiques mis en place par le ministère et les opérateurs. C’est au niveau des prix que la basse saison fait toujours mal. Ils sont de 30 % à 40 % inférieurs à ceux pratiqués lors de la haute saison.

BUSINESMAG. Qu’avez-vous à dire sur la polémique concernant l’accès des chauffeurs de taxi aux hôtels ?

Il y a une certaine confusion autour de la question des taxis et les autorités restent discrètes jusqu’ici car il y a eu une demande de clarification qui a été logée en Cour suprême par divers opérateurs qui ne sont pas des taxis basés à la sortie des hôtels.

En tant qu’opérateurs hôteliers, nous suivons les recommandations de l’AHRIM (Association des hôteliers et des restaurants de l’île Maurice) qui, elle-même, attend depuis plusieurs mois des directives plus claires de ces mêmes autorités, notamment la Tourism Authority et la National Transport Authority. Nous avons également attiré l’attention des autorités sur l’importance du service client, et la liberté de choix, laquelle a été remise en cause par le package préconisé par le comité interministériel tel qu’il est énoncé, et qui demande selon nous une rectification.

Certaines personnes semblent occulter la majorité du contenu de ce même package, qui en fait va dans le sens de l’amélioration de la qualité et des prestations des différents partenaires de l’industrie. Ces personnes font une fixation sur le comptoir pour taxis à aménager dans les hôtels. Or, ce comptoir, dès qu’il est mis en place, sera un résultat de l’ensemble du package. Je me réfère ici aux détails des décisions des Conseils des ministres du 26 février et du 7 avril. On y retrouve notamment la question du surnombre de taxis à résoudre, ainsi que la tarification des prestations des taxis à afficher et la reconnaissance officielle de certains sous-traitants de longue date par les tour-opérateurs.

BUSINESMAG. Comment gérez-vous cette situation chez VLH ?

Chacun de nos hôtels est en discussions avec le représentant des taxis afin de trouver la formule qui convient à tous et nous suivrons les directives de l’AHRIM.

BUSINESMAG. En tant qu’opérateur économique, vous avez certainement un avis sur les mesures annoncées dans le Budget. Avez-vous noté des éléments intéressants qui pourraient contribuer à relancer la croissance ?

La grande réforme des institutions publiques est une décision importante et nous allons soutenir le gouvernement dans cette démarche de rationalisation et de recherche d’efficience du pays. L’investissement public annoncé dans le digital est également une très bonne chose. En tout cas, c’est excellent pour le tourisme. L’amélioration de l’infrastructure et la régénération des villes et villages sont encore des idées fortes qui permettraient une plus grande responsabilisation des collectivités locales. Celles-ci devront s’intéresser davantage au tourisme, local comme étranger, et pourquoi ne pas avoir pour ambition de devenir des points d’ancrage forts dans le pays. Enfin, il faut redonner confiance au business et le discours budgétaire laisse entendre une libération de nos business people des nombreuses contraintes qui, sans que personne puisse expliquer, existent toujours en 2016 et continuent à ralentir la croissance.

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