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Interview Rencontre

Jeenarain Soobagrah : «La racine du mal à Air Mauritius est l’ingérence politique»

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Jeenarain Soobagrah : «La racine du mal à Air Mauritius est l’ingérence politique» | business-magazine.mu

Jeenarain Soobagrah, ancien haut cadre d’Air Mauritius (1973 – 1987), ayant occupé le poste de Personnel Manager, et doté d’une longue expérience dans le domaine du tourisme et de l’aérien, ne mâche pas ses mots. Il trouve la situation actuelle très malsaine à Air Mauritius.

BUSINESSMAG. Nouveau coup de tonnerre à la compagnie d’aviation nationale. Comment analysez-vous la situation à l’heure actuelle ?

Air Mauritius a commencé à dégringoler progressivement après le décès d’Amédée Maingard, qui a été le premier Chairman & Managing Director. Quand celui-ci décède en 1981, Harry Tirvengadum le remplace comme Chairman & Managing Director. Mais le gouvernement d’alors a tardé à le nommer, car depuis cette période-là, il envisageait déjà de séparer le poste en deux. Toutefois, le lobby de sir Harry et son entourage étaient devenus très forts, cela malgré les fortes réticences de sir Anerood Jugnauth lors de son arrivée au pouvoir après les élections de 1983. Sir Harry Tirvengadum était perçu comme étant plus proche du MMM, notamment de Jean Claude de l’Estrac, Prem Nababsing et Jayen Cuttaree.

Avec ses connexions politiques nouvellement acquises, sir Harry s’était embarqué dans le scandale de la caisse noire dans lequel il est toujours accusé d’entente délictueuse et de détournement de fonds. En passant, la police devrait faire un tour à Floréal pour savoir si sir Harry peut comparaître en cour… En 1995, Navin Ramgoolam remplace sir Harry par Nash Mallam-Hasham, un professionnel de l’aérien. La question de séparer les deux fonctions, Chairman et Managing Director, s’était posée mais ne s’était pas concrétisée.

BUSINESSMAG. Quand intervient la séparation de pouvoirs ?

La séparation de postes entre Chairman et Managing Director s’est concrétisée en 2001 lorsque Nash Mallam-Hasham quitte le fauteuil. C’est alors qu’un autre nominé politique, en la personne de Vijay Poonoosamy, frère de Rama Poonoosamy, un ancien MMM, prend place comme CEO avec le retour de sir Harry comme Chairman. Ces deux derniers vont se chamailler avec en toile de fond une affaire d’occupation de bureau. Ce conflit atteint son apogée avec l’éclatement du scandale de la caisse noire.

BUSINESSMAG. Faut-il un PDG ou un Chairman et un Managing Director, comme c’est le cas actuellement ?

Les deux options ont leurs bons et mauvais côtés. Il faut à tout prix éviter une concentration de pouvoir entre les mains d’une seule personne au sein d’une compagnie. Pour la bonne gouvernance, on est obligé de «split» le job en deux, comme le stipule d’ailleurs le Code de bonne gouvernance. Il faut un Chairman responsable des policy decisions au niveau du board, et un CEO, responsable de la gestion de la compagnie. Il faut bien séparer les responsabilités, mais à condition, comme Megh Pillay lui-même l’a dit, que chacun joue son rôle correctement et assume ses responsabilités et les vaches seront bien gardées.

Je tiens à saluer la position prise par Bissoon Mungroo qui a su faire la différence entre le bien et le mal lors de la dernière réunion du board et je condamne les absents pour leur lâcheté.

BUSINESSMAG. Hormis cette séparation de pouvoir, le plus gros problème de la compagnie nationale reste l’ingérence politique ?

Malheureusement, oui. On n’a pu trouver de digne remplaçant à Amédée Maingard. À son époque, personne n’osait interférer dans la gestion de la compagnie. Il incarnait la droiture et pratiquait la juste mesure. Il n’était pas un jouet politique.

BUSINESSMAG. Diriez-vous que l’actuel président du board est un jouet politique?

C’est malheureux de le constater. Amédée Maingard était respecté car non seulement il était à la base de la création d’Air Mauritius mais encore, il avait su se faire respecter par tout le monde. Personne n’osait intervenir pour lui dire comment gérer la compagnie. Même pas sir Seewoosagur Ramgoolam.

BUSINESSMAG. Diriez-vous aujourd’hui qu’il manque des gestionnaires de la trempe d’Amédée Maingard à la tête d’Air Mauritius ?

À son époque, il n’y avait pas de Code de bonne gouvernance, mais il cumulait les deux postes, Chairman & Managing Director en pratiquant la bonne gouvernance à la tête d’Air Mauritius. Il avait un Deputy en la personne de sir Harry. Malheureusement, ce dernier était vidé de ses bons principes quand il a succédé à Amédée Maingard.

De par sa proximité avec le Premier ministre et de certains ministres, le terrain était fertile pour cultiver de mauvaises herbes. Il avait un prix à payer, surtout après avoir été récompensé par le titre de ‘Sir’. Lui et son autre compagnon – qui se reconnaîtra – avaient eu la même décoration. Ils formaient un tandem d’intouchables. Pour répondre directement à votre question, Air Mauritius peut facilement trouver un CEO qualifié et compétent parmi les Mauriciens, ici ou ailleurs. Mais le laissera-t-on travailler ?

BUSINESSMAG. L’ingérence politique a gangrené la compagnie…

La racine du mal à Air Mauritius est l’ingérence politique. La situation est devenue malsaine aussi à cause de certains hauts cadres qui se prosternent devant les locataires de l’Hôtel du gouvernement. Avec ces habitudes, pour récompenser des gens, une multitude de postes sont créés. S’ensuit alors un autre souci majeur qui contribue à plomber les ailes de la compagnie depuis plusieurs années : 10 % des employés sont surnuméraires. C’est clair que des problèmes vont surgir au sein d’une organisation quand il y a des employés en trop et qui se retrouvent à ne rien faire, si ce n’est qu’augmenter la masse salariale et créer une grande frustration chez les autres employés qui sont dévoués à la compagnie. Par ailleurs, je me demande où est passé le rapport McKinsey qui a coûté une fortune à la compagnie.

BUSINESSMAG. Comment avez-vous réagi face à la manière dont Megh Pillay a été renvoyé ?

Je n’étais pas choqué, car avec la gestion actuelle d’Air Mauritius, on peut s’attendre à tout. Mais j’étais en colère. On ne peut traiter le CEO d’une compagnie de cette façon, et surtout un CEO du calibre de Megh Pillay qui avait été recruté pourtant par le même gouvernement. C’est clair qu’il y a eu une machination pour couvrir Mike Seetaramadoo. La seule façon de le couvrir était de «sack the CEO». Ils pensaient qu’ils allaient pouvoir «get away with murder», et le remplacer facilement, en un claquement de doigt, mais tel n’est pas le cas. Il n’y a qu’à voir le choc que leur décision a provoqué dans divers milieux et le soutien général manifesté à Megh Pillay.

Personne ne comprend pourquoi on s’est débarrassé de lui. Le public a besoin d’explications. Son départ est le résultat du copinage, et c’est regrettable de jouer avec l’avenir d’une compagnie cotée en Bourse à ce point. Une compagnie cotée en Bourse ne peut se permettre de faire du copinage. Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse sur l’entrée en Bourse d’Air Mauritius à l’époque d’Harry Tirvengadum. Il y avait une campagne bien orchestrée pour encourager les Mauriciens à acheter les actions, et ce au prix fort de Rs 60 l’action.

La valeur aujourd’hui est en dessous de Rs 13.00 ! Ce qui représente seulement 20 % du prix du lancement. C’est la dégringolade. À l’époque, j’ai connu des employés d’Air Mauritius qui avaient emprunté de l’argent pour acheter des actions à Rs 45, le prix forfaitaire qui leur avait été proposé. Aujourd’hui, ils sont toujours perdants.

BUSINESSMAG. Connaissez-vous Mike Seetaramadoo ? Mérite-il qu’on prenne sa défense en si haut lieu ?

Je l’ai connu. Il avait été recruté comme Accounts Clerk à l’époque. Il avait ses qualifications. C’est tout ! Je ne commenterai pas son parcours qui est déjà connu de vos lecteurs. Megh Pillay a demandé les preuves de ses qualifications et expérience pour le poste d’EVP Commercial. Attendons voir ! Mais je commenterai sa décision d’accorder un rabais de 15 % sur les vols d’Air Mauritius et de signer un accord avec le gouvernement en soulignant que l’émission de ces billets se fera uniquement au comptoir d’Air Mauritius. D’un trait de plume, il n’implique pas la direction de la compagnie – surtout le CEO – et met à dos les agences de voyages du pays. Il fait tout cela dans le dos des principaux partenaires historiques de la compagnie, qui représentent plus de 75 % de la vente de billets de la compagnie. Ce faisant, il fait une entorse aux règlements de la Competition Commission. Heureusement, Megh Pillay a été à l’écoute de ce problème et a immédiatement rétabli les droits de ces agences qui peuvent aussi émettre ces billets avec 15 % de rabais.

BUSINESSMAG. Quelle est la solution pour l’avenir d’Air Mauritius ?

Il n’y aura pas de solution tant que le board sera redevable envers le Prime Minister’s Office. C’est justement là où le bât blesse. Que l’État en soit l’actionnaire principal! Il faut de la bonne gouvernance pour rendre une compagnie crédible et pour qu’elle puisse opérer normalement. Certains du secteur privé souffrent aussi de ce mal. Il n’y a qu’à voir l’exemple de l’absence de certains directeurs à ce fameux board d’Air Mauritius pour limoger Megh Pillay. Ils ne veulent que protéger les intérêts des entreprises qu’ils représentent.

Heureusement, nous avons des exemples où la bonne gouvernance prime. On peut citer le cas du groupe MCB. Aucun actionnaire local ne détient plus de 2 % des actions de la compagnie. Cela évite tout accaparement et empêche les abus et l’émergence de petits empereurs en tout genre. C’est grâce à cela que cette banque résiste à toutes les pressions, parce que son management est en mesure de travailler en toute indépendance.

BUSINESSMAG. Revenons à Air Mauritius, quand un ministre de la République vient dire publiquement que les règles de bonne gouvernance ont été bafouées au niveau du board, son Chairman ne doit-il pas logiquement démissionner ?

Si le ministre dont vous parlez n’est lui-même pas une référence en matière de bonne gouvernance, quel exemple peut-il donner ? A-t-il suivi les règles de bonne gouvernance quand il a, par exemple, fait partie de ceux qui ont nommé son père à la tête d’une banque ? Ou quand il a recruté son conseiller ? Ou quand, au nom de la collégialité, il a endossé toutes les décisions incluant les nominations sans passer par la procédure normale? Ou encore quand il a critiqué le Directeur des poursuites publiques dans des forums à l’étranger ? Ne dit-on pas que l’exemple vient d’en haut ?

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