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Interview Rencontre

Nitin Collapen – Maurice est la juridiction privilégiée pour investir en Afrique

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Nitin Collapen - Maurice est la juridiction privilégiée pour investir en Afrique | business-magazine.mu

Dans le sillage de la révision de la convention fiscale avec l’Inde en 2016, ils étaient nombreux à prédire le déclin du secteur financier. Or, malgré les turbulences, nous avons tenu bon. Cette année encore, le secteur croîtra de 5,4 %. Qu’est-ce qui explique notre résilience ?

La révision du traité avec l’Inde est évidemment un sujet d’actualité et d’impact puisque le secteur du global business s’est construit autour de ce traité. Pour mettre les choses en contexte, outre la révision de cette convention, le secteur des services financiers a été confronté à un certain nombre de défis depuis plusieurs années. Des vents forts ont soufflé de tous les côtés, mettant à l’épreuve la solidité et les fondations du secteur financier.

S’adapter (dans certains cas, l’adaptation est imposée) ou périr : ceci résume le dilemme auquel le pays a été confronté. Faisons une petite rétrospective des principaux changements que le secteur a connus au cours de ces dernières années. Il y a d’abord la Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA). En 2013, Maurice et les États-Unis ont signé un accord permettant l’échange de renseignements fiscaux pour la mise en œuvre de la FATCA.

Ensuite, il y a eu la Norme Commune de Déclaration (Common Reporting Standard). À ce propos, Maurice a signé la convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale en juin 2015 et la première déclaration a été faite en 2018.

En 2016, l’Inde et Maurice ont signé le protocole modifiant le traité Inde-Maurice, donnant à l’Inde le droit d’imposer les plus-values sur la cession d’actions d’une société indienne.

En 2017, Maurice a signé la convention multilatérale BEPS (Base Erosion Profit Shifting) pour lutter contre l’évasion fiscale.

Au 1er janvier 2019, les sociétés GBC1 ont été rebaptisées Global Business Licence (GBL). Elles sont imposées au taux de 15 % et peuvent bénéficier d’un régime d’exonération partielle de 80 % pour certaines catégories de revenus. Les sociétés de global business dont la licence date d’avant le 16 octobre 2017, bénéficient d’une clause d’antériorité jusqu’au 30 juin 2021.

Je crois que la croissance du secteur ne peut être attribuée à une seule raison ou à un seul facteur, et le respect des normes internationales de conformité et les modifications nécessaires de nos lois nationales ont été essentiels. De grands progrès ont été réalisés sur le continent africain, notamment en ciblant de nouveaux marchés, mais surtout en desservant nos marchés existants avec de nouveaux produits.

Il reste de nombreux défis, notamment la nouvelle réglementation du SEBI (Securities Exchange Board of India) qui, si elle est maintenue, aura un impact sur nos activités centrées sur l’Inde. Cependant, le mérite en revient à tous les acteurs qui ont décidé sans relâche de ne pas abandonner le secteur et de le faire progresser.

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Depuis le 1er avril, le global business a basculé dans une nouvelle ère avec l’imposition sur les plus-values devenant pleinement effective en Inde. Comment s’est fait la transition ?

La façon dont le protocole modifiant les dispositions du traité a été rédigé signifie que l’intention était, dans la mesure du possible, d’avoir un changement et un impact progressifs. Pour mettre les choses en perspective, avant les changements apportés au traité, les investisseurs utilisaient Maurice pour investir en Inde et, à leur sortie, ils économisaient des millions de dollars en cédant leurs investissements, ce qui n’est plus le cas en vertu du traité révisé. Les droits d’imposition sont passés de la résidence à la source, c’est-à-dire de Maurice à l’Inde.

De manière concrète, les chiffres publiés en juin 2019 montrent que pour l’exercice 2018-2019, les flux d’investissement vers l’Inde en provenance de Singapour ont été estimés à USD 16,2 milliards contre USD 8,1 milliards pour Maurice. C’est la troisième fois seulement que les flux d’investissement en provenance de Singapour sont supérieurs à ceux de Maurice, et cela est largement attribué aux modifications apportées au traité. Une façon simple d’interpréter ces chiffres est que nous sommes clairement en train de perdre de nouvelles affaires.

Alors que la parenthèse indienne se referme, Maurice se repositionne avec un certain succès sur l’Afrique avec près de 50 % des nouvelles structures offshore qui font du business sur le continent. Notre centre financier peut-il devenir la porte d’entrée pour les flux d’investissement sur le continent ?

Depuis un certain temps déjà, Maurice est la juridiction privilégiée pour le déploiement des investissements en Afrique, et ce, à travers deux principaux modèles. D’une part, les investisseurs basés en Afrique et faisant des affaires dans d’autres pays africains utilisent déjà Maurice comme un centre d’affaires pour développer leurs activités à travers le continent. D’autre part, les investisseurs internationaux utilisent Maurice comme centre financier international pour investir en Afrique par le biais de diverses structures.

Nous avons tiré des leçons de l’épisode du traité fiscal avec l’Inde et de la mauvaise publicité. Ainsi, Maurice est une juridiction conforme, de substance et de renom, qui n’est pas axée sur les aspects fiscaux. L’adoption de certaines mesures fiscales et de dispositions anti-abus, en vigueur depuis le 1er janvier 2019, démontrent une fois de plus que Maurice est une juridiction transparente.

Nitin

Le secteur financier se positionne dans des activités à forte valeur ajoutée où une expertise internationale est primordiale. Faut-il aller plus loin dans la politique d’ouverture vis-à-vis des compétences étrangères ?

Concernant l’ouverture de nos portes aux compétences étrangères, nous avons besoin de programmes spéciaux pour les expatriés ayant une expertise en matière de services financiers afin de les encourager, eux et leur famille, à s’installer à Maurice. Il faut également agir vite auprès de la diaspora mauricienne hautement qualifiée et l’encourager à revenir au pays. Le développement des compétences et le transfert des connaissances sont essentiels pour faire passer le centre financier de Maurice à un niveau supérieur.

Que ce soit dans le secteur financier bancaire et non bancaire, on opère dans un environnement sur-réglementé. On fait ici référence aux pratiques fiscales plus transparentes (BEPS) ou aux nouvelles normes comptables (IFRS 9). Dans quelle mesure cela impacte-t-il la compétitivité des opérateurs ?

La réalité est que le monde a changé drastiquement au cours des dernières années. Nous sommes passés d’une ère de confidentialité à celle de divulgation – dans un cadre légal spécifique – et de protection des données. Les pays doivent revoir leur souveraineté s’ils pensent qu’ils peuvent faire partie de l’écosystème financier international sans respecter les lois et règlements internationaux.

Le principe est celui de l’équité pour empêcher l’utilisation excessive et agressive de l’arbitrage fiscal entre les juridictions. 

Les 15 actions du BEPS énoncent des mesures visant à lutter contre l’évasion fiscale et à faire en sorte que les bénéfices soient imposés là où les activités économiques sont menées et où la valeur est créée.

L’IFRS 9 a remplacé la norme IAS 39 sur les instruments financiers et est en vigueur depuis le 1er janvier 2018. La principale différence entre les deux normes comptables est que la nouvelle norme (IFRS 9) exige la comptabilisation de provisions pour pertes de crédit lors de la comptabilisation initiale des actifs financiers, alors qu’auparavant, selon l’IAS 39, la dépréciation n’est comptabilisée qu’à un stade ultérieur, lorsqu’un événement de perte de crédit s’est produit.

Les conséquences possibles de l’IFRS 9 incluent une plus grande volatilité du compte de résultat. Davantage d’actifs doivent être évalués à leur juste valeur (fair value). Encore une fois, toutes les entreprises qui adoptent les normes internationales seront touchées, ce qui permettra l’analyse comparative.

En tant que professionnels de la finance, nous travaillons pour le bénéfice de nos clients et de toutes les parties prenantes car nous adhérons aux normes et règles internationales et les appliquons. Nous ne devrions pas adopter la perspective d’une réglementation excessive au détriment du business, de l’innovation et l’entrepreneuriat, mais plutôt permettre l’uniformité et la comparabilité au niveau international.

Les nouvelles technologies sont en train de révolutionner les services financiers à l’échelle mondiale. Les autorités veulent jeter les bases pour la création d’un Fintech hub notamment en délivrant une licence dédiée à ce type d’activité. Vos commentaires ?

Concernant la Fintech, cette réflexion d’Albert Einstein me vient à l’esprit : «Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes en utilisant le même type de réflexion que nous avons utilisé lorsque nous les avons créés».

Il convient de noter que les technologies financières offrent une façon révolutionnaire d’aborder des aspects tels que l’inclusion financière, ce à quoi les méthodes conventionnelles n’ont pas réussi à remédier. De plus, la Fintech va vraisemblablement bousculer le monopole des plus puissants en rendant l’information, l’accessibilité et l’échange de biens et de services disponibles à tous dans le futur (de la centralisation à la décentralisation).

La partie concernant le cadre de conformité est cruciale pour la pérennité et le développement de la Fintech. Certains pays africains ont adopté les technologies financières dans leur vie quotidienne depuis longtemps et cela fait partie de leur ADN et de leur culture.

Avec la mise en place d’un cadre réglementaire approprié et disposant des ressources en capital humain nécessaires, Maurice est très bien placé pour devenir le hub de la Fintech pour l’Afrique. Comme mentionné plus tôt, nous devons attirer des spécialistes internationaux à Maurice et développer les capacités.

Maurice a fait un véritable bond dans le classement de la Banque mondiale sur la facilitation des affaires, passant de la 20e à la 13e place. Dans quelle mesure cette performance devrait-elle renforcer notre attrait comme une destination d’investissement ?

Le fait d’être 13e au classement Ease of Doing Business nous donne beaucoup de crédibilité et de reconnaissance sur la scène mondiale. Nous devons applaudir les réformes entreprises par les autorités qui ont rendu cela possible. Les différents éléments de ce processus incluent la création d’une entreprise, les permis de construction, l’accès à l’électricité, l’enregistrement des biens, l’accès au financement, la protection des investisseurs minoritaires, le paiement des impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution des contrats et le règlement des cas d’insolvabilité.

Comme le dit un de mes collègues, nous devons monter en puissance, que ce soit en termes de compétences, d’offre de services ou de stratégie. C’est ainsi que nous devenons meilleurs et que nous progressons.

À l’aube d’une nouvelle décennie, comment voyez-vous se développer le secteur financier ?

Les différents défis rencontrés au fil des ans ont confirmé notre résilience en tant que centre financier international et nous sommes là pour rester. De plus, le classement 2019 des principales places financières mondiales nous place au 40e rang. Dans les cinq à dix prochaines années, je ne vois pas de raisons pour lesquelles nous ne pouvons faire mieux et nous hisser dans le top 20 car, en effet, nous nous améliorons chaque année.

Nous consolidons notre expertise existante en matière d’investissement et de services bancaires transfrontaliers. Nous renforçons également notre offre tout en créant de nouveaux produits et services (tels qu’énumérés dans le dernier Budget) pour les nouveaux marchés et ceux existants.

Nous pouvons devenir la Suisse pour cette région du monde. Pendant plus de deux décennies, Maurice était surtout connue pour la structuration des investissements en Inde, et plus récemment en Afrique. À l’avenir, Maurice sera connu comme le hub financier pour l’Afrique, offrant une palette de services haut de gamme au continent.

Avec les bons ingrédients et les autorités comme catalyseurs, le secteur financier ne peut que devenir plus sophistiqué, plus solide et plus attrayant pour les investisseurs et les prestataires de services internationaux.

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