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Interview Rencontre

Sen Ramsamy (Head of Hotel, Leisure and Tourism chez KPMG) « Le tourisme tourne en rond »

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Sen Ramsamy (Head of Hotel

BUSINESSMAG. Après une longue carrière dans l’industrie touristique, au ministère de tutelle, comme CEO de l’AHRIM et consultant à Dubaï, vous revenez à Maurice pour diriger un département dédié au tourisme chez KPMG. Quelle sera votre mission ?

KPMG a créé un nouveau département spécialisé en Hôtellerie, Tourisme et Loisirs, avec une posture géostratégique couvrant l’Afrique et les îles de l’océan Indien. C’est une plate-forme au service des pays et de la communauté des affaires qui souhaiteraient consolider ou diversifier leurs plans de développement touristiques en marge des perspectives de croissance en Afrique. L’Afrique sub-saharienne regorge d’un immense potentiel, avec une croissance record de 7 % dans les arrivées touristiques en 2011. Une accélération du développement touristique est encore à prévoir vu l’intérêt grandissant des pays industrialisés et émergents pour le continent.

L’investissement, le mouvement des capitaux et des personnes, le trafic aérien et maritime, les activités commerciales, entre autres, prendront de l’essor et stimuleront les opportunités d’affaires dans le tourisme en passant par d’autres piliers de développement : les infrastructures, les services portuaires et aéroportuaires, le transport, les télécommunications, l’agriculture et surtout le pétrole. Notre mission est d’accompagner nos clients et de les faire profiter de nos compétences et du réseau de KPMG au niveau mondial.

BUSINESSMAG. Comment Maurice peut-elle capitaliser sur la région océan Indien et l’Afrique ?

Une nouvelle Afrique est en position de décollage économique. L’île Maurice voisine doit agir dans le concret. Le savoir-faire mauricien dans le tourisme est reconnu. Le pays peut apporter son expertise professionnelle aux investisseurs pour le développement et la gestion des infrastructures hôtelières et des IRS qui porteraient une belle signature mauricienne. Maurice, pépinière de recherche, services, conceptualisation et, pourquoi pas, véhicule de financement pour les projets en Afrique, c’est jouable. Une belle récolte touristique se profile à l’horizon africaine.

KPMG est déjà au front et nous sommes prêts à aider Maurice à reprendre sa vitesse de croisière dans le tourisme. Maurice peut devenir un carrefour géostratégique pour l’investissement en Afrique. Elle peut se forger un meilleur destin en jouant dans ce grand concert qui a lieu dans le cadre du shift in global balance of power, avec les pays émergents comme acteurs principaux.

« Notre produit touristique et notre marketing n’ont pas évolué par rapport à une clientèle exigeante, sophistiquée et diversifiée. La nouvelle génération recherche plus que le soleil, la mer et la plage. »

BUSINESSMAG. Vous avez présidé le Steering Committee sur la classification hôtelière. On a l’impression que ce projet a été mis en oeuvre dans la confusion la plus totale. Il est d’ailleurs contesté par nombreux opérateurs…

Le Steering Committee, que j’ai présidé avec la participation des représentants des institutions publiques et privées, y compris des grands groupes hôteliers, n’a pas classifié un seul hôtel à Maurice.

Nous avions adopté une approche professionnelle à commencer par l’élaboration de critères adaptés au contexte mauricien, la création d’un cadre légal et des mécanismes appropriés pour une classification réussie. La création d’un hôtel coûte extrêmement cher. Sa classification ne peut être simpliste.

Notre démarche comprenait des propositions pour l’utilisation de la technologie pour un audit qualitatif des hôtels, une formation technique des assesseurs et des mesures d’accompagnement des hôtels afin que la classification se fasse comme il se doit et dans la concertation. Une classification se fait après plusieurs exercices d’évaluation technique bien ficelée et certifiée. Un hôtelier qui serait en désaccord avec la classification de son hôtel aurait l’option de faire appel à travers un système transparent. Nous avions un Roadmap bien défini. Nous étions sur la bonne voie jusqu’au jour où la MTPA a décidé de classifier certains hôtels.

J’imagine qu’elle l’a fait de façon structurée dans un cadre légal et après des audits qualitatifs dûment validés par des spécialistes. Devant cette situation imprévue, j’ai arrêté le travail du Steering Committee pour bien comprendre les intentions des autorités. J’ai soumis un rapport qui a été très bien reçu par le ministère et dans les milieux professionnels. Ce rapport n’a rien à voir avec la classification hôtelière actuellement en vigueur.

BUSINESSMAG. Le gouvernement a annoncé son intention de revoir le rôle et le fonctionnement de la MTPA. Que peut-on attendre d’un tel exercice ?

Le marketing est une activité hautement sophistiquée sur un marché mondial complexe. Avec l’Internet et les réseaux sociaux, nous vivons dans deux mondes parallèles. L’information et la communication sont instantanées et elles influencent directement la prise de décisions des voyageurs. Pour survivre, il faut des actions intelligentes, audacieuses. Aujourd’hui, le marketing ne peut se faire par trial and error. Les Seychelles, les Maldives et la Réunion avancent leurs pions de manière réfléchie. Gardons un oeil sur le Sri Lanka qui pourrait être la destination 2013.

La décision du gouvernement depuis l’année dernière de restructurer la MTPA est une démarche sage. Une restructuration en profondeur lui donnera l’occasion de prendre une nouvelle allure, avec une nouvelle culture de travail : structures décisionnelles et organisationnelles, orientation professionnelle, market intelligence, actions stratégiques, représentations, formation du personnel, planification, recherche, technologie, innovation. La restructuration doit prendre en compte des actions de promotion mesurables en Key Performance Indicators, la présentation des bilans annuels et mettre l’accent sur le retour sur investissement.

BUSINESSMAG. L’industrie touristique est en fâcheuse posture. Elle va reculer de 0,5 % cette année, selon les prévisions de Statistics Mauritius. Quelles sont les clés pour faire redécoller le secteur ?

La posture est celle-ci : décroissance des marchés traditionnels, croissance des marchés émergents, manque de places d’avion et augmentation de l’offre. Avec pour résultat, la stagnation. L’accès aérien est fondamental dans l’équation. Cependant, le déséquilibre entre la capacité de sièges d’avion et la capacité de chambres est un phénomène qui a toujours existé. Apporter 500 000 sièges additionnels résoudrait le problème des hôteliers dans l’immédiat, mais avec des risques énormes pour l’aérien.

Après deux ou trois ans, on se retrouvera à la case départ vu la tendance de l’offre hôtelière. C’est un cercle vicieux. Il faut voir au-delà d’une simple équation sièges/chambres. Plusieurs compagnies aériennes ont des droits de trafic mais ne les utilisent pas. Même les fly-by-nights ont disparu. Il faut stimuler la demande par de meilleures offres à des prix raisonnables.

D’une part, les chaînes hôtelières internationales ont une posture relativement confortable à Maurice. D’autre part, notre produit touristique et notre marketing n’ont pas évolué par rapport à une clientèle exigeante, sophistiquée et diversifiée.

La nouvelle génération recherche plus que le soleil, la mer et la plage. Elle en trouve mieux ailleurs pour moins cher. La qualité des services est à la dérive. La sécurité est un luxe. Et notre sourire coûte cher aujourd’hui. Beaucoup d’hôtels à Maurice se ressemblent comme deux gouttes d’eau.

Sans une différenciation de l’offre, le client se retrouve souvent avec du more of the same. Un fort pourcentage de fidélisation des clients, c’est bien, mais c’est mauvais signal pour le marketing. Un bon rapport qualité/prix, l’innovation dans l’offre hôtelière, la créativité au niveau réceptif, l’hygiène dans la restauration dans l’île, la rigueur et la discipline sur le frontline sont autant de clés nécessaires pour nous ouvrir de nouvelles opportunités dans le tourisme.

Avec de l’imagination, Maurice pourrait mettre en valeur ses atouts pour se distinguer comme une destination « chic » ayant un art de vivre, une finesse. Nous sommes prêts à apporter notre contribution pour que le tourisme mauricien puisse retrouver ses années glorieuses. Le tourisme a besoin d’une nouvelle vision et d’un nouveau business model. Ce qui requiert un leadership fort et un ‘sense of direction’.

BUSINESSMAG. La baisse en gamme de la destination inquiète les observateurs depuis ces cinq dernières années. Le CEO de NMH a affirmé que nous sommes dans une spirale dangereuse. Partagez-vous son inquiétude ?

Je reviens à Maurice après cinq ans pour retrouver un tourisme qui a perdu de son éclat. Je partage l’inquiétude de mon ami Herbert. J’entends aussi beaucoup de débats intellectuels autour de tables rondes sur les difficultés du tourisme mauricien. Le tourisme tourne en rond. Ce n’est pas ainsi qu’on sortira de cette spirale. L’heure est à l’action concrète et non pas à la superficialité. Et la solution ne se trouve pas qu’à l’Hôtel du gouvernement. Chacun a sa part de responsabilité.

Le secteur a besoin de visionnaires, de gens qui savent mettre la main à la pâte pour réussir. Ma grande inquiétude est l’emploi dans le tourisme si la croissance reste faible. Chez KPMG, nous travaillons déjà avec des opérateurs pour une optimisation de leurs ressources et une transformation de leur business model afin de réduire les charges et stimuler la créativité dans l’offre et l’innovation dans le marketing. Le but ultime étant une meilleure profitabilité de l’entreprise et la préservation de l’emploi productif.

BUSINESSMAG. À quoi doit s’attendre le secteur touristique en 2013 ? Le pire est-il encore à venir, selon vous ?

J’espère que la stagnation du tourisme mauricien n’est que conjoncturelle et que ce dernier trimestre nous sauvera la mise. Pour une vraie relance du tourisme, il nous faut un nouvel élan et des offres qui font vraiment rêver.

Notre stratégie marketing doit s’ouvrir vers le grand large. Certains commencent à pénétrer les marchés émergents. C’est bon signe mais pas assez. Pour le succès du tourisme mauricien, il faut voir loin dans le temps, au-delà de 2013. Le tourisme 2030 se prépare aujourd’hui.

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