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Portrait Rencontre

Eddy Balancy – Un chef juge à visage humain

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Eddy Balancy - Un chef juge à visage humain | business-magazine.mu

Sa journée a été longue, mais le chef juge est un homme qui tient parole et qui respecte la valeur du travail bien accompli. Prévenant, il s’assure de pouvoir consacrer le temps qu’il faut à l’entretien qu’il m’accorde avant la date annoncée de son «hibernation médiatique».

«Ainsi, vous voulez faire mon portrait… Mais quel titre allez-vous donner à votre article ?» m’interroge-t-il d’emblée. Prise de court, je bégaie quelques excuses confuses. Ce n’est pas tous les jours qu’on doit répondre à un chef juge. Me délivrant de ce moment d’embarras, Eddy Balancy sourit avec gentillesse et déroule le fil de sa vie émaillée d’anecdotes, les unes plus poignantes que les autres.

«J’avais démarré une autobiographie en l’an 2000, lors du changement de millénaire et le titre que j’avais choisi était : «Un juge à cœur ouvert.» Quand je prendrai ma retraite, je m’y pencherai à nouveau», dit-il. Le téléphone sonne et c’est Madame qui appelle pour s’enquérir de son retour. La secrétaire passe la tête par la porte pour souffler : «Monsieur, le chauffeur est arrivé.» Eddy Balancy répond à chacune avec bienveillance, reconnaissant les efforts de son entourage pour veiller à l’équilibre de sa vie qui semble rythmée de rendez-vous et de coups de fil incessants.

Il marque une pause et poursuit : «Ma belle-sœur était infirmière à la prison pour femmes et y rencontra une Africaine que j’avais condam - née à vie pour trafic de drogue. Sans savoir nos liens de parenté, elle lui confia qu’elle acceptait la sentence pour avoir fauté, et elle gardait néanmoins une source de satisfaction, celle d’avoir été jugée par ‘un juge humain’». Songeur, l’homme à la tête de la Cour suprême de Maurice regarde au loin et commente, un peu à luimême : «Oui, c’est bien ainsi que je souhaiterai qu’on se souvienne de moi.»

L’instant solennel est fugace. À peine quelques secondes après, le chef juge retrouve cet allant et cette joie de vivre qui semblent constamment l’habiter et se remet à discuter à bâtons rompus. D’ailleurs, ce qui fait d’Eddy Balancy une personnalité mauricienne connue et porteuse d’un fort capital sympathie, c’est sa qualité d’humilité. C’est l’homme qui reste accessible malgré son statut et qui reste à l’écoute des citoyens. «C’est vrai que je parle à tout le monde, qu’on soit à la boutique, sur la rue, au cimetière», acquiesce Eddy Balancy. «Cela vient peut-être du fait que j’ai commencé, dès l’âge de treize ans à enseigner aux autres. Le déclic est venu d’un ami de classe auquel je réexpliquais les leçons pendant la récréation. Il s’exclamait que mes explications lui faisaient comprendre les sujets complexes de façon limpide. Cet ami a encouragé ses proches à m’approcher et de fil en aiguille, j’ai commencé à donner des leçons particulières à des personnes d’horizons très divers. Mais c’est aussi le métier de juge qui nous fait côtoyer toutes les couches de la société.»

Eddy Balancy partage quelques paroles de l’écrivain et chirurgien Georges Duhamel qui avait opéré nombre de blessés pendant la Première Guerre mondiale. Se référant aux dernières inno - vations technologiques dans le secteur médical, ce dernier écrivait : «La civilisation n’est pas dans toute cette pacotille terrible ; et, si elle n’est pas dans le cœur des hommes, eh bien ! elle n’est nulle part.» Pour le Chef Juge, c’est cela une valeur fondamentale. Faisant le parallèle avec l’époque moderne, Eddy Balancy pointe vers Son smartphone et commente : «La technologie aide à communiquer mais l’important réside dans la ca - pacité d’empathie que l’individu développe au fil des années.» Connu pour la justesse de ses jugements, le chef juge Eddy Balancy est aussi un homme à principes avec qui on ne souhaiterait pas croiser le fer. Je lui demande d’où lui vient ce côté exigeant et perfectionniste. D’ailleurs, les rédactions des différentes presses sont rompues à l’exigence de ce juge : «Si vous changez ne serait-ce qu’une virgule du texte, ne le publiez pas. Renvoyez le-moi pour valider avant. Sinon vous êtes rayé de ma liste.» Pourtant, elles lui sont toutes reconnaissantes car Eddy Balancy a de tout temps été l’un des seuls juges à ne jamais rechigner à commenter sur les sujets d’actualité les plus sensibles.

GRANDE INDÉPENDANCE D’ESPRIT

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«Maman incarnait la discipline et papa, la tolérance, dans le bon sens du terme. Mélangez ces deux-là et c’est un peu moi !» confie-t-il, les yeux brillants et remplis de fierté. Eddy Balancy s’estime chanceux d’avoir hérité très tôt du sens pragmatique transmis par sa mère. «Quand on me dit qu’on fera quelque chose dans deux semaines, je demande immédiatement, ‘pourquoi pas maintenant ?» raconte-t-il. 

D’ailleurs, dit-il, c’est cette rigueur de raisonnement qu’il applique face aux professionnels de la cour. Pour Eddy Balancy, le travail incomplet ou le manque de professionnalisme n’est guère acceptable. Surtout que les retards et renvois se font au détriment des plaideurs, qui sont nombreux à s’endetter jusqu’à ce que le jugement se fasse. Eddy Balancy ne mâche pas ses mots quand il s’agit de redresser une situation qui lui paraît inacceptable. «J’ai toujours défendu l’indépendance judiciaire le plus farouchement possible», affirme-t-il.

Ce trait de caractère, confie-t-il, l’a toujours habité et, refusant les contraintes scolaires, il raconte avoir toujours accompli les tâches et appris dans un ordre qui satisfaisait d’abord à son indépendance d’esprit. «J’encourage toujours les enfants à avoir une grande indépendance d’esprit et à développer leur esprit créatif», explique-t-il. Et c’est d’ailleurs au cours de son enfance que le déclic est venu : «Je regardais les aventures de Perry Mason et j’ai eu cette révélation : “Un jour je serai avocat”».

Or, sachant que sa famille n’avait pas les moyens de financer des études en Angleterre, le jeune Eddy travaillera d’arrache-pied pour décrocher la Bourse d’Angleterre. Et lors de l’épreuve du General Paper, portant sur «What is your favourite form of Art ?», il éblouira l’examinateur en déclarant sa passion pour la poésie, n’hésitant pas à parsemer sa feuille de nombreuses citations en anglais, mais aussi en latin et en grec. Il citera ainsi des passages de l’Énéide de Virgile et des extraits de poèmes de Keats. Par la suite, lorsqu’il sera lauréat, le cordonnier du quartier lui écrira une lettre prophétique annonçant qu’il «n’y a aucun doute qu’Eddy Balancy deviendra un jour chef juge».

Eddy Balancy se remémore toutes les personnes qui ont aujourd’hui disparu et qui auraient été si fières de le voir réaliser ce rêve. «Mon beaupère France, qui m’aimait tellement que ma femme en était presque jalouse. Mon oncle Jules, qui m’avait appris les mathématiques. Ma sœur Daisy, partie trop tôt ainsi que sa fille. Et l’un de mes plus grands chagrins, qui est l’absence de ma grand-mère maternelle, si spirituelle qui citait toujours son défunt Gaby, mon grand-père Gabriel Ginette», égrène-t-il.

Reconnaissant envers tous ceux qui l’ont inspiré, Eddy Balancy a une pensée remplie de gratitude envers Paul Bancillon, le professeur qui, dit-il, lui a transmis «les valeurs de la tolérance, de la compassion, l’empathie envers les laissés-pour-compte» et surtout l’amour de la littérature. «Literature is life», conclut le chef juge Eddy Balancy, citant volontiers les auteurs qui l’inspirent à chaque moment : Keats, Milton, Shakespeare, Coleridge, Camus…

«JeUn chef juge président par intérim

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Eddy Balancy a prêté serment en tant que président par intérim le vendredi 24 mai. En l’absence de l’Acting President, il a occupé ce poste jusqu’au mardi 28 mai. Ci-après, un extrait de l’entretien du 19 avril qu’Eddy Balancy a accordé à Business Magazine.

En tant que chef Juge, vous pouvez être amené à assumer la fonction de président par intérim du pays. Comment envisagez-vous cette éventualité ?

En effet, je peux être amené – je dirais même que je serai probablement amené, durant mon mandat comme chef juge – à assumer l’intérim à la fonction de président de la République de Maurice. Cela, en vertu de la section 28 (7) de la Constitution (qui prévoit, entre autres, que c’est le chef juge qui assume les fonctions du président en l’absence d’un vice-président quand le président n’est pas au pays) et de la probabilité d’un séjour éventuel de l’Acting President à l’étranger.

Comment j’envisage cette éventualité ?

Eh bien, ce serait un très grand honneur pour moi d’être, le temps d’un intérim, le chef de l’État. Vu ma passion pour la découverte sur le terrain et mon perfectionnisme, rien ne m’arrêterait dans mon exploration, même pas les fantômes du château, s’il en existait. Enfin tout ce que j’ai lu sur les fonctions du président se traduirait dans la réalité. Je serais, pour utiliser le jargon des American Realists, au cœur de the law in action qu’ils opposent à the law in the books par rapport au rôle du président de la République. Il est prévu dans le texte de la prestation de serment d’un président par intérim, qu’il doit défendre la Constitution et les institutions assurant la démocratie, mais aussi assurer la protection des droits fondamentaux des citoyens dans toute leur diversité. Ces paroles ne peuvent que résonner avec toute la portée de leur signification pour un chef juge. 

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