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Souveraineté sur les Chagos : la dimension économique

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Souveraineté sur les Chagos : la dimension économique | business-magazine.mu

Il y a 51 ans, les Chagos étaient excisés du territoire mauricien. Depuis, l’État veut récupérer sa souveraineté sur l’archipel. S’il remporte sa bataille légale, les retombées économiques seront considérables.

En 1965, à la veille de l’Indépendance, les Chagos étaient cédés au gouvernement britannique. Depuis, Maurice n’a cessé de revendiquer sa souveraineté sur l’archipel. Au-delà de la question d’intégrité territoriale et d’un retour probable sur l’archipel, le dossier des Chagos représente un enjeu économique de taille pour Maurice. Cet aspect touche notamment la location par le gouvernement britannique de Diego Garcia, qui fait partie de l’archipel, aux Américains pour l’implantation de leur base militaire dans le bassin de l’océan Indien. En contrepartie, la Grande-Bretagne avait obtenu un discount de 11 millions de dollars (environ 200 millions de dollars aujourd’hui) sur les missiles nucléaires Polaris. L’ultimatum du 30 juin lancé par le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, au gouvernement britannique a été repoussé en raison du Brexit, la priorité du moment au Royaume-Uni.

La restitution de la souveraineté sur les Chagos revêt une dimension économique considérable pour Maurice, avance Robin Mardemootoo, avocat du Groupe Refugiés Chagos. Avec les îles viennent les zones maritimes qui représentent autant d’opportunités d’exploitation pourla pêche, la recherche et le développement, voire l’exploration pétrolière, souligne-t-il.

L’utilisation actuelle de Diego Garcia comme base navale par les Américains pourrait constituer une source de revenus importante sur le bail de cette île. Avec la souveraineté des Chagos restaurée, Maurice pourrait non seulement bénéficier du loyer sur Diego Garcia, mais aussi de plusieurs accords préférentiels avec les États-Unis, dont le Royaume-Uni est en train de jouir, avance-t-il. Par exemple, il existe des accords favorables pour le commerce entre les deux pays.

Développement du tourisme et l’agriculture

Si la souveraineté des Chagos était restaurée, Maurice pourrait également développer une industrie touristique là-bas. Il faut savoir que l’archipel suscite beaucoup d’intérêt à l’international depuis l’engagement d’Amal Clooney, épouse de George Clooney, en faveur du retour des Chagossiens sur leur terre natale.

«Pourquoi pas le tourisme écologique ? L’industrie agricole comporte aussi du potentiel car les Chagos sont connus comme étant propices pour la culture du copra, dont est dérivée l’huile de coco», indique Robin Mardemootoo. Et d’insister qu’il est crucial d’effectuer une étude sur le potentiel économique que représentent les Chagos.

«La zone économique exclusive des Chagos représente un manque à gagner de 636 600 m2 pour Maurice. Au niveau des îles, il y a des milliers de soldats sur Diego Garcia qui ont besoin de services. On peut ainsi développer des hôtels, des restaurants et de petits commerces. Ce sont des prestations que les Chagossiens peuvent offrir», étaye Robin Mardemootoo.

Le géopoliticien Shafick Osman abonde dans le même sens. La zone économique exclusive, estime-t-il, recèle une grande richesse marine. Dans le même temps, les îles faisant partie de l’archipel peuvent donner lieu à une industrie d’écotourisme d’élite, car les frais d’un tel développement seraient assez élevés.

Perspectives d’avenir

Un éventuel retour des Chagossiens sur leur île natale est cependant bien plus compliqué qu’un simple acquiescement de la part du Royaume-Uni. Les négociations devraient se complexifier du fait que Maurice aura à réclamer une compensation, ayant été privé de tout ce que l’archipel aurait pu lui rapporter durant ces dernières 48 années, avance Robin Mardemootoo.

Il sera peut-être question, notamment, d’une compensation mixte comprenant des accords bilatéraux et l’aménagement des îles de l’archipel en eau, électricité, infrastructures et moyens de transport. «Il reviendra aux autorités – qu’elles soient mauriciennes ou britanniques – de prendre en charge la planification urbaine car les îles de l’archipel devront sans doute être développées si la souveraineté est restituée», observe-t-il. Pour se préparer à un éventuel retour, les descendants des Chagossiens se prêtent à des exercices de «capacity building» pour acquérir les compétences nécessaires pour développer les Chagos.

Shafick Osman estime, par ailleurs, que le «human cost» d’avoir été exilés est énorme pour les Chagossiens. Aujourd’hui encore, nombre de descendants de Chagossiens vivent dans des quartiers pauvres. Alors que ceux qui se sont installés en Grande-Bretagne font toujours face à des difficultés.

Parallèlement à son intérêt de reprendre les Chagos, Maurice doit mettre en œuvre son projet de devenir une économie océanique, fait ressortir le géopoliticien. L’État mauricien devra aussi résoudre le problème du territoire de Tromelin avec la France.

«Avoir le 19e plus grand territoire marin du monde devrait normalement attirer d’autres puissances régionales et mondiales. Notre pouvoir de levier sera différent. Il serait temps de mettre en avant nos réelles capacités. À l’heure actuelle, ils sont nombreux à nous sous-estimer», avance Shafick Osman.

Par ailleurs, le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) pourrait influencer la posture du gouvernement britannique sur le dossier des Chagos. Les Britanniques, souligne Robin Mardemootoo, ne pourront plus puiser du fonds de développement pour les territoires d’outre-mer mis à la disposition des membres de l’UE. «Avec le Brexit, le Royaume-Uni est en train de renoncer à l’utilisation de ce fonds ; ce qui est dommage. Avec les revendications de Maurice, c’est un enjeu qui porte sur plusieurs milliards de livres sterling», soutient Robin Mardemootoo.

Récemment, le haut-commissaire britannique à Maurice, Jonathan Drew, a utilisé l’argument du Brexit pour évoquer la nécessité de nouvelles négociations entre le Royaume-Uni et Maurice, ajoutant que «friends don’t take each other to court». Mais, pour Robin Mardemootoo, Maurice n’aura d’autre choix que de porter l’affaire devant la justice si le gouvernement britannique ne change pas sa posture. «Friends don’t steal from each other either», rétorque-t-il.

Il est encore trop tôt pour juger l’impact futur d’une éventuelle restitution de la souveraineté de Maurice sur les Chagos sur ses relations avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. Selon Shafick Osman, tout dépendra de qui seront nos alliés à ce moment-là. «Maurice sera peut-être moins dépendant du Royaume-Uni et des États-Unis et bénéficiera peut-être de liens plus solides avec des puissances émergentes comme la Turquie, le Brésil ou encore avec des partenaires stratégiques comme l’Inde, la Chine, le Japon et même la Russie ?» expose-t-il. Quoi qu’il en soit, le dossier des Chagos impactera sur la qualité de nos relations avec le Royaume-Uni et les États-Unis.

Les Chagossiens installés aux Seychelles feront appel

Environ 200 Chagossiens ont été exilés sur l’île de Mahé aux Seychelles entre 1967 et 1973 quand celle-ci était toujours une colonie britannique. Ils préparent en ce moment leur appel auprès des instances judiciaires britanniques pour demander un retour aux Chagos. «En cas de victoire de la souveraineté des Chagos par Maurice, on fera sans doute une exception pour leur permettre de retourner sur l’archipel», souligne Robin Mardemootoo.

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