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JACQUELINE SAUZIER : «NOUS VOULONS FAIRE SAVOIR QU’IL Y A DU TRAVAIL DANS LE SECTEUR AGRICOLE ET POURQUOI PAS CRÉER DE NOUVELLES VOCATIONS»

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La Chambre d’Agriculture a fêté ses 170 ans en 2023. Elle demeure une instance fédératrice qui assure le lien entre les acteurs du secteur agricole et le gouvernement. Elle a su aider à l’amortissement des effets des différentes crises durant ces 170 ans : le protocole sucre, le manque de main-d’œuvre, la diminution des cultures, la gestion et le besoin des ressources en eau, entre autres. Sans compter la crise climatique qui touche directement les acteurs. Jacqueline Sauzier, sa Secrétaire générale, souligne que le secteur a évolué sous les yeux bienveillants de la Chambre d’Agriculture, qui a accompagné la mutation et la diversification de cette industrie.

Depuis 170 ans, la Chambre d’Agriculture de Maurice travaille sans relâche pour le progrès du secteur agricole. Pouvez-vous retracer l’historique de la Chambre et de la manière dont elle sert la communauté agricole ?

Le 16 novembre 1853, trois cents représentants de la communauté agricole de l’île Maurice se sont réunis pour fonder une Société agricole. Celle-ci devint officiellement en 1893 la Chambre d’Agriculture de l’île Maurice. L’objectif de cette société était de «chercher par tous les moyens légitimes à promouvoir le bien-être et le progrès de l’agriculture (…)». Vu l’importance économique croissante du secteur sucrier à l’époque, il était essentiel pour les planteurs et les producteurs de sucre de créer une telle association.

Après 170 ans, la Chambre d’Agriculture de l’île Maurice est la plus ancienne institution du secteur privé représentant la communauté agricole à Maurice. Aujourd’hui, elle compte parmi ses membres plus de 70 entreprises, producteurs et individus qui ont un intérêt direct ou indirect dans la production agricole et le développement de ce secteur à l’île Maurice. L’organisation a été à l’avant-garde de la construction et de la diversification du secteur sucrier local, et reste un partenaire privilégié dans diverses initiatives visant à développer l’agriculture à Maurice.

La Chambre a été au sein des discussions sur la problématique de la main-d’œuvre dans le secteur agricole, de la réforme sucrière, au sein des négociations concernant le protocole sucre, sur les rémunérations des produits et sous-produits de la canne, entre autres. La Chambre d’Agriculture siège aussi sur différents conseils et comités, et travaille en collaboration avec des organismes publics, parapublics et privés, notamment : la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA), le Mauritius Sugarcane Industry Research Institute (MSIRI), l’Agricultural Marketing Board (AMB), Business Mauritius, le Food and Agricultural Research and Extension Institute (FAREI), le Sugar Insurance Fund Board, le Sugar Industry Pension Fund (SIPF), le Syndicat des sucres, pour ne citer que quelques-uns et ceci pour faire avancer et améliorer la cause agricole dans le pays.

Comment la Chambre d’Agriculture collabore-t-elle avec les agences gouvernementales et les décideurs politiques pour influencer les politiques agricoles qui ont un impact sur la communauté agricole ?

La Chambre d’Agriculture est active sur différents conseils et comités des organismes publics et parapublics. En effet, ce sont ces organismes qui implémentent les directives nationales et ainsi, la Chambre d’Agriculture participe et influence l’implémentation. Et pour influencer ou agir sur ces directives nationales, la Chambre d’Agriculture garde également un dialogue permanent et ouvert avec les différents ministères qui influent sur la communauté agricole, permettant ainsi des discussions pour l’avancée de tous. Le dialogue est aussi important avec la communauté agricole dans son ensemble car il est important de bien connaître les besoins de tous pour les défendre au mieux. De plus, dans le cadre des consultations pré-budgétaires menées par le gouvernement, la Chambre soumet un mémorandum qui propose et recommande un certain nombre d’actions et projets qui correspondent aux aspirations de ses membres et de la communauté agricole. Pour finir, son lobby passe aussi par la publication des Position Papers sur des sujets précis pour partager et faire évoluer une contrainte bien précise.

De quelle manière soutenez-vous les agriculteurs en termes d’éducation, de formation et d’accès aux ressources pour améliorer leurs pratiques agricoles ?

Dans le secteur cannier, nous sommes des partenaires du Mauritius Sugarcane Industry Research Institute (MSIRI) et du Regional Training Centre (RTC) qui œuvrent tous les deux pour la recherche et la dissémination des résultats pour une amélioration des pratiques agricoles des planteurs.

Dans le secteur de la diversification agricole, nous soutenons les planteurs et éleveurs de plusieurs manières. Tout d’abord au niveau de nos membres et à leur demande, nous pouvons les accompagner lors de l’élaboration de leurs projets de développement pour identifier les aspects techniques et recherches de financement. Nous implémentons également des projets qui viennent répondre à des problématiques communes tels que récemment Smart Agriculture et Karo Natirel.

Pour faire cela, nous collaborons avec un certain nombre de partenaires techniques et financiers locaux tels que le Regional Training Centre (RTC), le Food Agricultural Research and Extension Institute (FAREI), le Human Resources and Development Council (HRDC) ou le Mauritius Research and Innovation Council (MRIC) pour ne citer que quelques-uns, mais aussi au niveau régional tels que la Région Réunion, Forma’Terra Réunion, le Réseau des Établissements Agricoles Professionnel (REAP-AAOI) et le Centre de Coopération International en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) avec lequel nous venons de renouveler un accord de partenariat pour une période de cinq ans. Pour arriver à ces actions, nos financements sont aussi internationaux avec ceux obtenus de l’Union européenne et la Haute Commission australienne.

Ces partenaires nous permettent de proposer des programmes de recherche ciblés sur des problématiques identifiés par les planteurs, de proposer des accompagnements financiers pour l’achat de matériel qui permettent d’alléger la prise de risque vers la transition agroécologique, de proposer des formations répondant aux besoins de connaissance exprimés par les agriculteurs ou même, tout simplement, nous permettent d’être présents sur le terrain pour écouter et accompagner les planteurs.

À titre d’exemple, sur la durée d’implémentation du projet Smart Agriculture, nous avons mené 245 visites aux champs, 20 programmes de formation, 12 ateliers thématiques, mis à la disposition des bénéficiaires du matériel d’une valeur de Rs 4,7 millions, 21 expertises techniques menées par le FAREI et le CIRAD, publié 63 vidéos et 140 publications disponibles sur les réseaux sociaux du projet. Avec ces actions, la Chambre accompagne, guide et forme des agriculteurs dans la transition de l’agriculture conventionnelle vers l’agriculture raisonnée et la certification des produits issus de ces pratiques agricoles saines.

En collaboration avec le RTC et le financement du HRDC, une centaine d’aspirants agriculteurs et éleveurs ont été sensibilisés aux pratiques agricoles sous le programme Starting your journey in Agriculture, Ces personnes ont aujourd’hui les bases pour prendre une décision réfléchie pour se lancer plus loin.

Avec le changement climatique et les avancées technologiques, comment la Chambre d’Agriculture adapte-t-elle ses stratégies pour répondre aux besoins évolutifs du secteur agricole ?

Il est important de faire ressortir que dès le départ, les stratégies que nous préconisons sont déjà des actions d’adaptation et de mitigation pour lutter contre les effets du changement climatique. En fait, il n’y a rien d’absolument nouveau, mais nous mettons un éclairage plus important sur ces solutions et aidons les agriculteurs à cette prise de risque vers la transition. Il est vrai que pour le moment, nos actions sont plutôt axées vers les agriculteurs déjà en opération et qui ont besoin de solutions. Et il existe encore une foultitude d’autres techniques innovantes, orientées vers des pratiques culturales différentes comme la culture en conteneur ou verticale, aquaponie et d’autres.

Des agricultures hors sol dans des univers totalement contrôlés. Ces nouvelles technologies répondraient plutôt à un besoin de souveraineté alimentaire, d’avoir des légumes disponibles quelles que soient les intempéries, mais ne résolvent pas les enjeux d’adaptation de nos planteurs actuels. Il est important de voir toutes les facettes de nos productions. Du côté du secteur cannier, la recherche s’adapte aux besoins du secteur. Actuellement, l’enjeu le plus important est la fertilité des sols et la surveillance aux champs rapide avec l’utilisation de drones.

Comment abordez-vous les questions liées à l’agriculture durable, à la conservation et à la gestion de l’environnement au sein de la communauté agricole ?

Les enjeux de la durabilité agricole dans le secteur cannier ont toujours été au cœur de nos préoccupations car plus de 90 % de nos sucres sont exportés et en sus de cela, nous nous devons d’y répondre pour accéder à certains marchés. Une grande majorité de nos sucres ont la certification Bonsucro, Fairtrade et d’autres. Ces certifications sont possibles grâce à des collaborations entre planteurs, usiniers, vendeurs et acheteurs.

Concernant le secteur de la production vivrière, l’implication de la Chambre d’Agriculture est plus marquée depuis 2015 avec la mise en place du projet Smart Agriculture que nous connaissons tous aujourd’hui. Nous avons d’abord commencé par comprendre ce qui se passe sur le terrain par une enquête de terrain. Ce sont les résultats de cette enquête qui ont façonné les actions qui ont suivi autour des enjeux de développement durable : soit de l’accompagnement technique et financier par de la donation de matériel, de la formation pour répondre à la soif de connaissances des planteurs, de la recherche appliquée pour faire de la démonstration pour accélérer le changement.

Les résultats affichés lors de la clôture de la phase 2 du projet Smart Agriculture sont clairs : une réduction moyenne de 57 % de l’utilisation de produits phytosanitaires sur sept cultures confondues entre 2020 et 2022. Le rapport complet sera circulé prochainement. Les données collectées sur ces cinq dernières années sont loin de nous avoir tout divulgué et nous sommes à les analyser pour partager encore plus d’informations sous la forme de fiches techniques ou de guide agroécologique. De manière plus globale, nous militons aussi pour que les enjeux liés autour de la biodiversité soient compris de tous et pleinement pris en compte dans les décisions politiques. Cela est un plus vaste programme de lobby qui nécessite la collaboration de tous.

Pouvez-vous nous donner un aperçu des efforts déployés par la Chambre d’Agriculture pour encourager la collaboration entre les agriculteurs, les entreprises agricoles et les instituts de recherche afin de renforcer l’ensemble de l’écosystème agricole ?

C’est là que le projet Karo Natirel entre en jeu. Mis sur pied en 2022, il s’agit de la suite logique du projet Smart Agriculture. Karo Natirel accompagne les agriculteurs vers une certification (agriculture raisonnée) tout en maintenant la traçabilité des produits. Donc, pour cela, nous engageons les planteurs, distributeurs et revendeurs. D’ailleurs, nous avons déjà engagé des consultations entre consommateurs, planteurs et distributeurs en 2023. Les consultations de ces «focus groups» ont été compilées dans un rapport qui nous aidera à tracer les lignes de la phase 2 du projet. Cette collaboration existe depuis plus longtemps dans le secteur cannier avec le Research and Development Committee au sein du MSIRI, comité sur lequel siège la Chambre d’Agriculture mais aussi d’autres acteurs de la chaîne de production, comité sur lequel les besoins et enjeux des producteurs sont discutés.

Le secteur agricole fait face à un manque de main-d’œuvre. Comment adressez-vous ce problème et où en êtes-vous avec votre école de formation ?

Ce problème autour du manque de main-d’œuvre dans le secteur agricole n’est pas nouveau. Cela fait plus de dix ans que la sonnette d’alarme est tirée pour le secteur cannier. Et depuis la crise de la Covid-19, cette précarité se voit aussi dans le secteur non-sucre mais aussi sur d’autres secteurs de l’économie mauricienne. Les entreprises locales peinent à recruter. Il y a urgence à faire une analyse approfondie de tous nos programmes de formation et de la faire évoluer avec les réalités des producteurs locaux et de valoriser les divers métiers agricoles qui ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans.

Pour essayer d’avancer sur cela, la Chambre d’Agriculture entame en 2024 une série d’interventions dans les écoles de l’île pour mettre l’agriculture et les métiers associés sur la liste des options d’études possibles de ces jeunes. Nous voulons ainsi faire savoir qu’il y a du travail dans le secteur agricole et, pourquoi pas, créer de nouvelles vocations. Nous continuons à offrir des formations courtes avec le Regional Training Centre (RTC) et les discussions autour la création de l’École Technique Agricole avancent sereinement, mais effectivement pas aussi rapidement que nous l’aurions souhaité.

En attendant, il est souvent mentionné d’avoir recours à de la maind’œuvre étrangère. C’est effectivement une solution temporaire pour laquelle il y a encore beaucoup de barrières administratives pour que cette option profite à tous. Mais surtout, il faut aussi être conscient que cette main-d’œuvre coûtera plus cher que la main-d’œuvre locale. Et dans ce cas, est-ce que le planteur pourra payer et le consommateur sera-t-il aussi d’accord de payer plus cher ? La question reste posée.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’accord-cadre de coopération scientifique entre la Chambre d’Agriculture et le Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) ?

Cet accord-cadre de coopération technique et scientifique signé entre la Chambre d’Agriculture et le CIRAD le 28 novembre 2023, lors de la célébration des 170 ans de la Chambre d’Agriculture, est la concrétisation d’un travail collaboratif existant depuis plusieurs années entre nos deux institutions. Ce document confirme que nous sommes tous les deux d’accord de coopérer sur des enjeux qui visent à produire et à valoriser des connaissances, des savoirs et des savoirfaire, de créer des partenariats sous forme de réseaux ou de plateformes d’innovation et de développer des compétences. Il y a des sujets techniques et scientifiques sur lesquels nous nous engageons à identifier des ressources financières et humaines.

Ceux-ci sont la réduction des intrants et la durabilité des exploitations par la mise en œuvre de pratiques et de systèmes de culture innovants, basés sur les principes de l’agroécologie, visant le double objectif de réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques et d’améliorer la fertilité et la santé des sols ; la labellisation des produits issus de pratiques agroécologiques à travers la formation et le renforcement des acteurs aux différents systèmes de certification et ce, en tenant compte du cadre réglementaire ; la valorisation de l’agro-biodiversité ; d’œuvrer vers le partage de connaissances sur la diversité des exploitations agricoles, une évaluation de leurs performances socioéconomiques et environnementales à différentes échelles. Cet accordcadre nous permettra de travailler plus facilement ensemble, mais il nous faudra encore identifier des ressources humaines et financières de notre côté.

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