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Édito

Aligner la politique monétaire sur la politique fiscale

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La politique monétaire n’est pas une panacée. Alors que nous sommes entrés dans un cycle de crise permanente et que les économistes les plus aguerris arrivent difficilement à prédire les conséquences des événements qui s’enchaînent depuis ces trois dernières années, l’instrument monétaire a montré ses limites quant à sa capacité à stabiliser les prix. Car cette crise multiforme, qui a pris naissance durant la pandémie et s’est renforcée avec la guerre en Ukraine, est tel un cancer qui résiste aux traitements de choc. En vue de combattre une inflation persistante découlant des perturbations aux chaînes d’approvisionnement et de l’envolée des prix de l’énergie et de l’alimentaire, la Réserve fédérale a, depuis mars 2022, foncé tête baissée dans une stratégie folle de désinflation, en enchaînant le relèvement de ses taux directeurs.

En l’espace de 14 mois, il y a eu dix hausses successives des Fed Funds, qui sont passés de 0 % – 0,25 % à 5 % – 5,25 %. Une stratégie qui a semé la pagaille sur les marchés financiers ; a mis en péril les marchés émergents et les économies en développement, comme le souligne d’ailleurs le dernier Global Economic Prospects de la Banque mondiale ; et a fragilisé les petites et moyennes banques américaines, avec trois institutions, la Silicon Valley Bank, la Signature Bank et la First Republic Bank, forcées de déposer leur bilan.

Si aux États-Unis l’inflation a fini par chuter à 4 % au mois d’avril, après avoir atteint son niveau le plus élevé en 40 ans, à savoir 9,1 % en juin 2022, il est difficile de dire dans quelle proportion le resserrement des conditions de crédit a contribué à la décrue de l’inflation. Car d’autres facteurs comme le retour à la normale des tarifs du fret maritime participent aussi au recul de l’inflation.

À Maurice, on a eu d’autre choix que de suivre la même tendance que la Fed et la plupart des banques centrales au monde. Ainsi, la Banque de Maurice a procédé à six hausses de son taux directeur qui, de 1,85 % en mars 2022, a été catapulté à 4,5 %. Toutefois, depuis le mois de décembre, la Banque centrale est revenue à une administration plus conservatrice de sa politique monétaire. Alors que les banques centrales donnaient encore quelques tours de vis monétaires en début d’année, la Banque de Maurice n’a pas suivi docilement la cohorte. Du reste, elle n’a convoqué aucune réunion du comité de politique monétaire avant celle de mercredi dernier. Pour stabiliser les prix, elle a préféré tabler sur l’efficacité de son nouveau cadre de politique monétaire, soit le Key Rate, et l’utilisation du 7-Day BoM Bill pour les opérations de mise en pension de titres, afin de mieux ancrer les pressions inflationnistes.

Cette posture de la Banque de Maurice de jouer la montre et de ne pas prendre de décision qui pourrait casser la mécanique de la croissance et faire creuser le problème d’endettement des agents économiques n’a pas été sans risque. À cause de cette inaction, la roupie aurait pu se déprécier un peu plus face aux principales devises, alors que l’inflation était susceptible de se creuser davantage. Fort heureusement, la monnaie locale s’est stabilisée. Ainsi, comme l’indique le Mauritius Exchange Rate Index (MERI), indice qui est basé sur la répartition par devise des recettes du commerce de marchandises et du tourisme, la roupie s’est légèrement appréciée durant cette période, reculant de 125,421 à 125,115 points. Or, cette relative stabilité de la roupie sur une période donnée ne doit pas nous faire oublier sa forte dépréciation au plus fort de la pandémie, avec la monnaie cédant près de 25 % face au dollar depuis mars 2020. Certains analystes, à l’instar d’Amit Bakhirta, le CEO d’Anneau, préconisent, à terme, un relèvement du Key Rate jusqu’à 5,5 % pour renforcer la roupie et la défendre contre toute volatilité future.

Mais les dernières indications donnent à penser que la Banque de Maurice devrait plutôt mettre une pause à la normalisation de sa politique monétaire. Primo, l’institution monétaire qui a institué cette ère de resserrement monétaire, à savoir la Fed, a finalement lâché du lest durant la semaine écoulée en optant pour le statu quo après la dernière réunion de son Foreign Open Market Committee. Donc, il y a moins d’urgence du côté de la Banque de Maurice de défendre la roupie contre toute fluctuation défavorable sur le marché des changes découlant du relèvement des taux d’intérêt par la Fed ou d’autres banques centrales. À ce sujet, il convient de faire ressortir que depuis mars dernier, 77 banques centrales n’ont pas augmenté leurs taux d’intérêt après les réunions de leurs comités de politique monétaire respectifs.

Secundo, il y a un besoin d’alignement entre la politique budgétaire et la politique fiscale. Le Budget 2023-2024 fait le pari d’une solide croissance de 8 % pour la prochaine année fiscale. Que cette performance soit atteignable ou pas, il s’agit d’une déclaration d’intention forte de la part du ministre des Finances. De par son mandat, la Banque de Maurice a également le devoir, à travers la politique monétaire et la gestion du taux de change de la roupie, de veiller au bon équilibre du développement économique. Ce qui implique qu’elle est appelée à participer activement à cette stratégie axée sur la croissance. Parlant du Budget, la décision du gouvernement de verser une allocation de Rs 1 000 à quelque 70 000 emprunteurs ayant contracté un prêt logement est une autre indication que le Trésor public et la BoM Tower ont déjà accordé leurs violons pour mettre une pause à la hausse des taux d’intérêt.

De même, la déclaration du Gouverneur de la Banque de Maurice après la réunion du comité de politique monétaire mercredi, où le Key Rate a été maintenu à 4,5 %, atteste de l’hypothèse que le fauconisme appartient au passé. Abordant les prévisions économiques, Harvesh Seegolam dit s’attendre à un taux d’inflation de 6,8 % en 2023 grâce à l’atténuation des perturbations à la logistique mondiales, ce qui, selon lui, permettra une normalisation des prix mondiaux des produits de base et un ajustement ultérieur à la baisse des prix des denrées alimentaires et des carburants. De plus, l’assouplissement des exigences en matière d’importation de main-d’œuvre devrait contribuer à réduire les pressions exercées par les coûts sur l’inflation. Tous ces facteurs conjugués à la normalisation progressive de la politique monétaire devraient se répercuter sur l’économie et maintenir l’inflation de base (Core inflation) sous contrôle.

À moyen terme, Harvesh Seegolam se montre encore plus optimiste, anticipant une inflation se situant dans une fourchette de 2 % à 5 %.

Est-ce que le scénario brossé par le Gouverneur de la Banque de Maurice se matérialisera ? Pour l’heure, il serait hasardeux de faire des prévisions autant cette permacrise nous réserve des surprises peu plaisantes. Mais ce qui est sûr, c’est que cette pause de la politique restrictive des taux d’intérêt devrait soulager les agents économiques et créer un environnement plus propice à la croissance.

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