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Édito

Désinflation: un processus necessaire.

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À quelques semaines de la présentation du Budget 2022-2023, l’environnement socio-économique est très crispant. La guerre en Ukraine risque de sérieusement compromettre la reprise de l’économie mauricienne. Face à la cascade d’augmentations des prix du carburant, des produits alimentaires et des transports en commun, contre lesquelles ils sont visiblement impuissants, nos gouvernants se retrouvent au pied du mur : jusqu’où faut-il pousser la politique de désinflation, sachant que celle-ci aura un impact indéniable sur la croissance et l’emploi ? Trancher sur la question est une manœuvre extrêmement délicate. Entre-temps, la situation empire.

Les derniers chiffres de Statistics Mauritius indiquent que l’inflation en glissement annuel était à 11 % le mois dernier. Alors que l’inflation globale affichait un taux de 7 % pour les 12 mois se terminant en avril. Il faut savoir que depuis la crise de 2008, le Trésor public et la Banque de Maurice ont, avec raison, opté pour une politique d’assouplissement monétaire pour donner du tonus à l’économie.

À 9,25 % en novembre 2007, le taux repo a été ramené à 3,35 % en novembre 2019. Durant cette période, le taux de croissance a été modeste, soit en dessous des 4 %. Alors que l’inflation est restée modérée. Mais aujourd’hui, la conjoncture est tout autre. Le conflit russoukrainien est à l’origine de l’escalade des cours des céréales et des hydrocarbures et n’a fait qu’accentuer les perturbations aux chaînes d’approvisionnement.

Étant un importateur net et ayant prôné une politique de roupie faible, Maurice se retrouve aujourd’hui pris au piège dans l’étau d’une inflation persistante qui pourrait bien se diffuser dans l’ensemble du système des prix. Les autorités auraient tort de sous-estimer la menace, sous peine de vivre les mêmes affres que la Turquie où l’inflation est devenue structurelle. Les derniers chiffres montrent une envolée de 70 % du taux d’inflation sur un an à fin avril.

Alors que la livre turque s’est fortement décrochée, perdant 44 % de sa valeur face au dollar en 2021. Depuis le début de l’année, elle s’est dépréciée de près de 11 % vis-à-vis du billet vert. Cette inflation galopante est intenable économiquement et socialement parlant. Jusqu’ici, elle a poussé le président Recep Tayyip Erdoğan à limoger trois gouverneurs de banque centrale et à se réconcilier avec la famille royale saoudienne avec laquelle il s’était brouillé depuis l’assassinat de Jamal Khashoggi.

L’inflation représente le plus gros danger pour l’économie mondiale. Aux États-Unis, l’on est déterminé à ne pas faire les choses à moitié. Après un premier relèvement des FED Funds à la mi-mars, la Réserve fédérale est
revenue à la charge le mercredi 4 mai, en procédant à la plus importante hausse de ses taux directeurs depuis 22 ans. Ainsi, les fonds fédéraux sont portés entre 0,75 % et 1 %. Par la force des forces, l’on devient forcément plus faucon que colombe..

Le président de la FED, Jerome Powell, a d’ailleurs fait comprendre que l’institution sortira l’artillerie lourde. Loin
d’être transitoire, l’inflation est persistante. Pour endiguer le mal, la FED est résolue à remonter ses taux directeurs jusqu’à 3 % sur les 12 prochains mois. L’objectif étant de ramener l’inflation autour de 2 % d’ici à trois ans, contre 8,5 % à fin mars. Une politique monétaire austère qui rappelle la stratégie de désinflation de l’ancien président de la FED, Paul Volcker, qui, au début des années 80, avait relevé les taux directeurs à court terme jusqu’à 20 % pour
résorber l’inflation, qui avait connu un pic de 14,8 % en mars 1980. Le revers de la médaille, c’est que cette approche extrême avait fait grimper le taux de chômage à 11 %.

Face à la stratégie agressive de la FED, la Banque centrale européenne n’aura d’autre choix que de réajuster ses taux d’intérêt qui sont négatifs, soit à -0,50 %. D’autant plus que le dollar est à son plus haut niveau depuis 20 ans et que l’on se rapproche de a parité avec l’euro. L’euro vaut actuellement autour de 1,05 dollar contre 1,14 dollar en débutd’année. Pour l’heure, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, reste assez vague sur le calendrier pour la normalisation des taux qui sera déterminé lors de la prochaine réunion en juin prochain.

À Maurice, l’on a vu une amorce de la normalisation du taux repo. Mais la Banque centrale a été relativement timide en relevant le taux de référence de seulement 15 points de base le 9 mars dernier. Pour freiner la dépréciation de la roupie, qui avait perdu 25 % de sa valeur de janvier 2019 à décembre 2021 selon le Mauritius Exchange Rate Index (MERI), la Banque de Maurice a procédé à la vente de 265 millions de dollars lors de quatre interventions entre les
et 25 avril. La dernière opération portait sur la vente de dollars au taux de Rs 42,90.

Ces interventions ont allégé la pression sur la roupie, celle-ci s’étant appréciée d’environ4 % face aux principales devises. Alors que les pressions demeurent fortes sur les prix, quelle sera la stratégie de la Banque de Maurice ? De prime abord, il paraît manifeste que celle-ci suivra davantage l’approche prudente de la BCE plutôt que la politique de désinflation plus poussée de la FED. Si l’inflation demeure élevée et qu’il faut agir avec promptitude
pour éviter qu’elle ne devienne structurelle, il est tout aussi important de mesurer l’impact de toute intervention au niveau de la politique monétaire sur la croissance et l’emploi.

En cette période de perturbation sur les marchés internationaux, il est difficile de prédire jusqu’à quand le monde restera dans une spirale inflationniste. Il est vrai que la politique monétaire est une arme pour juguler l’inflation, mais
elle n’est pas une panacée. Une politique budgétaire tournée vers la croissance est tout aussi vitale. Tout comme il faut maîtriser l’inflation pour calmer la colère légitime de la rue et soutenir les catégories socio-économiques les
plus vulnérables face à la flambée des prix, il est essentiel que les pouvoirs publics adoptent des mesures fiscales et conjoncturelles pour créer un environnement propice aux affaires et limiter les pertes de productivité.

Dans le même temps, il faudra accélérer le développement de l’industrie locale pour diminuer notre dépendance
des produits importés, qui sont la source majeure de l’inflation. Ces dernières semaines, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a multiplié les réunions de travail avec les opérateurs économiques.

Attendons voir quelle sera sa stratégie pour relancer l’économie et protéger le pouvoir d’achat !

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