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Édito

La boussole pointe vers la croissance, mais qu’en est-il de l’inflation ?

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Richard Le Bon

Le Budget 2022-2023 a le mérite d’avoir un directionnel. Confronté à une inflation galopante, le ministre des Finances a sorti l’artillerie lourde en proposant un paquet de mesures au coût de Rs 15 milliards pour rétablir le pouvoir d’achat. L’objectif est double : permettre aux ménages de joindre les deux bouts, mais aussi de favoriser la relance de l’économie en stimulant la demande. Mais le revers de la médaille, c’est que cette politique assumée de la part du gouvernement comporte un inconvénient majeur : elle est inflationniste. Le remède utilisé pour guérir le mal pourrait en fin de compte l’aggraver. Et cela, Renganaden Padayachy, docteur ès économie, le sait fort bien.

Depuis la présentation du Budget, le 7 juin dernier, des observateurs économiques ont attiré l’attention sur le fait que l’injection massive de cash pour donner du pouvoir d’achat au consommateur n’est au fait qu’un mirage, une illusion monétaire. Autrement dit, la valeur nominale générée par les Rs 15 milliards qui passeront dans la poche du consommateur sera diluée et corrigée par les effets combinés de l’inflation et de la dépréciation de la roupie. Un scénario qui pourrait se matérialiser si l’on n’actionne pas le bon levier pour contrebalancer ces mesures budgétaires pro-croissance et pro-pouvoir d’achat, mais qui sont manifestement inflationnistes. Ce levier, c’est bien évidemment la politique monétaire. Ainsi, un alignement de la politique budgétaire et de la politique monétaire semble plus que jamais nécessaire si l’on veut éviter d’être pris dans l’engrenage d’une situation inflationniste hors de contrôle. Alors que l’on va bientôt aborder le second semestre, les perturbations des chaînes d’approvisionnement provoquées par la guerre en Ukraine et la politique zéro-Covid de la Chine conjuguées à l’accélération de la politique de tapering des États-Unis risquent de faire de sacrés dégâts en accentuant la flambée des prix des produits alimentaires et des hydrocarbures et en faisant plonger la roupie.

Un alignement de la politique budgétaire et de la

politique monétaire semble plus que jamais nécessaire si

l’on veut éviter d’être pris dans l’engrenage d’une

situation inflationniste hors de contrôle.

Les analystes le disent : le processus de normalisation du taux repo par la Banque de Maurice a été beaucoup trop lent. Certes, depuis le 9 mars dernier, le comité de politique monétaire a relevé le taux directeur de 40 points de base, mais le différentiel entre l’inflation globale, calculée à 7,7 % au mois de mai, et le taux directeur, qui est à 2,25 %, reste trop important pour que le mécanisme de transmission monétaire ait l’effet escompté sur la consommation/demande.

Comme on l’a souligné, le coup de semonce de la Réserve fédérale (Fed) ne doit pas être pris à la légère. Mercredi dernier, la Banque centrale américaine a une nouvelle fois relevé ses taux directeurs, cette fois-ci à un niveau historique de 75 points de base. Les Fed funds grimpent ainsi à 1,50 % – 1,75 %. Le président de la Fed, Jerome Powell, a réitéré que l’inflation est cet hydre qu’il faut étêter à tout prix. Au mois de mai, l’inflation s’élevait à 8,6 % contre 2 % douze mois plus tôt. Les Américains ne s’arrêteront pas là et prévoient d’augmenter leurs taux directeurs jusqu’à 3,25 % – 3,50 %. La Banque d’Angleterre n’a pas tardé à réagir en relevant également son taux directeur de 25 points, le portant à 1,25 %. Une décision motivée par le fait que l’inflation pourrait grimper jusqu’à 11 % durant l’année. Plus timorée et craignant l’impact d’un tour de vis monétaire sur la croissance et l’emploi dans la zone euro, la Banque centrale européenne va, de son côté, enclencher la machinerie avec l’objectif de sortir graduellement d’une situation de taux d’intérêt négatif, soit à -0,50 %. Une première hausse de 0,25 % interviendra dès le mois de juillet et la seconde plus importante, de 0,50 %, aura lieu en septembre. Selon Eurostat, l’inflation était à 8,1 % dans la zone euro en mai dernier.

Compte tenu des dysfonctionnements propres à l’économie mauricienne (on pense ici à la sécurité alimentaire et à la sécurité énergétique) qui ne seront résolus que sur le long terme, il est aujourd’hui clair qu’il y a un choix à faire. Déjà, la politique agressive de la Fed pour contrer l’inflation occasionne une remontée du billet vert. Un euro s’échange désormais autour de 1,04 à 1,05 dollar. Le dollar s’apprécie également face à la roupie et, à lundi, se vendait autour de Rs 44,80. Si cette tendance persiste et qu’il n’y a pas de rééquilibrage par le biais de la politique monétaire, l’impact risque d’être significatif sur notre balance commerciale lourdement déficitaire. À ce sujet, les nouvelles ne sont pas bonnes. La semaine dernière, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a concédé que la guerre en Ukraine pourrait durer plusieurs années. Pour le petit État insulaire qu’est Maurice fortement dépendant de l’importation de produits alimentaires et des hydrocarbures, c’est le pire des scénarios possibles.

Les derniers chiffres sur les Trade Statistics pour le mois d’avril montrent à quel point la situation est critique. La facture pétrolière s’élevait alors à Rs 6,4 milliards contre Rs 2 milliards en avril 2021. Pour 2022, le déficit commercial gonflera à Rs 170 milliards contre Rs 133 milliards l’année dernière.

On ne sait pas quand le conflit russo-ukrainien se résoudra. Mais il y a une certitude : aussi longtemps que la guerre durera, Maurice sera dans une situation d’extrême vulnérabilité. Au vu de la posture des banques centrales à travers le monde, la logique veut que la Banque de Maurice poursuive sa politique de normalisation des taux. Mais restera-t-elle timide dans son approche ? Là est toute la question. Une politique de désinflation n’est jamais sans conséquence. Il n’y a pas de désinflation immaculée, disent les analystes. Chaque décision de la Banque de Maurice devra être mûrement réfléchie. Oui, il est primordial de contrer la tendance inflationniste qui sera accentuée par le Budget, mais il s’agit aussi de ne pas casser les ressorts de la croissance.

À Maurice, les entreprises comme les ménages sont lourdement endettés. Leurs dettes (en comptabilisant celles du secteur du global business) s’élevaient à Rs 403 milliards à fin avril. Parmi les secteurs les plus endettés, on retrouve, dans l’ordre, le tourisme et la restauration avec Rs 50,8 milliards de dettes, suivis de l’immobilier (Rs 24,3 milliards), des activités de gros et de détail ainsi que la réparation des véhicules et des deux-roues (Rs 22,1 milliards), de l’industrie manufacturière (Rs 18,9 milliards) et de la construction (Rs 16,6 milliards). Ainsi, toute décision de resserrement monétaire trop agressive impactera lourdement les entreprises endettées, alourdissant leurs coûts et limitant leur capacité à créer de la richesse et des emplois et à investir dans la recherche et le développement.

Aux États-Unis, l’administration Biden est déterminée à privilégier le combat contre l’inflation aux dépens de la croissance. À Maurice, on n’est pas dans cette perspective. Le Trésor public et la Banque de Maurice sauront-ils trouver la bonne formule pour accorder la politique budgétaire et la politique monétaire et trouver le meilleur équilibre entre la croissance et l’inflation ? Tout en gardant le cap sur la croissance, la boussole doit pointer vers l’autre objectif tout aussi important qui est de contrôler l’inflation, dont le taux devrait grimper à 11,9 % en 2022, selon le dernier rapport du Fonds monétaire international suivant la consultation sur l’Article IV sur l’économie mauricienne.

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