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Aurélien Daubaire (directeur régional de l’Insee Réunion-Mayotte) – «L’emploi est moins productif à La Réunion qu’en métropole»

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Aurélien Daubaire (directeur régional de l’Insee Réunion-Mayotte) - «L’emploi est moins productif à La Réunion qu’en métropole» | business-magazine.mu

L’économie réunionnaise est sur une bonne dynamique. Outre une progression des secteurs à valeur ajoutée, l’on note une croissance significative de jeunes diplômés sur le territoire, observe le directeur régional de l’Insee Réunion-Mayotte. 

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BUSINESS MAGAZINE. Quelles sont les fonctions que vous avez occupées avant de prendre la direction régionale de l’Insee Réunion-Mayotte ?

J’ai travaillé à l’Insee et à la direction générale du Trésor. À l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques Réunion-Mayotte (Insee), je m’occupais de macro-économie avant d’être nommé chef d’un service d’études et de diffusion en direction régionale à Lille, puis responsable de la communication externe de l’Insee. J’ai également occupé le poste de directeur régional de l’Insee Lorraine. Au Trésor, j’ai exercé en tant qu’économiste ; je supervisais les équipes en charge de l’économie de l’environnement et de l’économie agricole, puis des prévisions macroéconomiques.


BUSINESS MAGAZINE. La devise de l’Insee est : «Mesurer pour comprendre». Comment cela se traduit-il ?

Notre première mission est de produire des statistiques. Pour ce faire, nous collectons des informations sur le terrain en vue d’établir le recensement, l’indice des prix, de mener des enquêtes auprès des ménages et des entreprises. Nous utilisons aussi les données fiscales, dans le respect du secret des statistiques, bien évidemment. C’est ce qui correspond à la partie «Mesurer» de la devise. Nous mesurons ainsi l’activité économique et sociale. L’autre aspect, le «Comprendre», c’est la valorisation de ces données. C’est une activité essentielle. À partir des données collectées, nous analysons les chiffres et interprétons les résultats. 


BUSINESS MAGAZINE. Ce sont ces résultats que vous communiquez ensuite ?

La diffusion des résultats entre aussi dans le cadre de nos missions. Il faut rappeler que tous les résultats sont publiés. Tout un chacun doit pouvoir s’appuyer sur les chiffres communiqués par l’Insee. Nous invitons ainsi les médias lors de conférences de presse pour relayer auprès du grand public les résultats de nos enquêtes. Au-delà de la simple communication des résultats, nous organisons régulièrement des rencontres ouvertes au grand public, les «Rendezvous de l’Insee». L’objectif est de présenter un panorama de la société locale et des enjeux qu’elle rencontre. La présentation donne lieu à des débats et des échanges sur des sujets comme «Le portrait économique et social de La Réunion» ou encore «La population réunionnaise à l’horizon 2050. Autant de seniors que de jeunes». On peut aussi suivre notre actualité sur notre compte Twitter (@InseeOI), sur lequel on peut consulter les dernières publications régionales et nationales de l’Insee, mais aussi mieux comprendre le fonctionnement de l’institution. De courtes vidéos, des infographies ou des schémas expliquent, par exemple, à quoi sert l’indice des prix à la consommation ou la manière dont l’Insee calcule le produit intérieur brut (Pib).


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BUSINESS MAGAZINE. Il faut aussi rappeler que l’Insee est un organisme public…

Oui, et c’est ce qui, selon moi, fait notre valeur ajoutée : notre indépendance. Et l’Insee ne s’autosaisit pas pour faire des statistiques sur un sujet : c’est le Conseil National de l’Information Statistique (CNIS) qui valide l’opportunité de réaliser une enquête sur un sujet donné en fonction des besoins exprimés par les acteurs publics, les partenaires sociaux, les universitaires. Enfin, nous publions les résultats sans parti pris.

À La Réunion, ce sont 30 enquêteurs qui interviennent sur le terrain, auprès de la population, afin de recueillir les données et 80 statisticiens qui travaillent dans nos bureaux pour établir les échantillonnages, conduire la collecte d’informations, analyser les données statistiques et organiser l’ensemble. À Mayotte, 15 enquêteurs sont sur le terrain et 10 statisticiens en bureau. Les statistiques de Mayotte étant en pleine expansion, nos effectifs vont bientôt augmenter en proportion du travail à accomplir. Il faut savoir également que le traitement de certaines données est centralisé pour l’ensemble des régions.


BUSINESS MAGAZINE. L’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) aura-telle une incidence sur les activités de l’Insee?

L’Insee applique le RGPD. Mais celui-ci ne change rien à la méthodologie de l’Insee, qui est déjà respectueuse de la protection des données individuelles des personnes et des entreprises et ne porte pas atteinte à la vie privée des personnes et aux libertés individuelles. Nos enquêtes sont validées par un Comité qui leur attribue un label d’intérêt général et de qualité statistique. De plus, nous exerçons de longue date nos missions en conformité avec les règles de la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) qui garantissent le respect de la confidentialité des données et de la vie privée.


BUSINESS MAGAZINE. Qui peut être amené à solliciter les ressources de l’Insee?

Nous pouvons mener des études approfondies sur des problématiques qui concernent l’ensemble des acteurs publics : les services de l’État, les collectivités territoriales, les conseils économiques, sociaux et environnementaux de Mayotte et de La Réunion. Ces études ont vocation à être utiles également aux entreprises privées, aux chercheurs, aux citoyens.


BUSINESS MAGAZINE. En quoi consiste votre partenariat avec la Région Réunion et quelle est votre implication dans le SRDEII ?

Le Conseil Régional est effectivement l’un de nos partenaires et nous avons l’occasion de collaborer pour établir nos statistiques. La Région a mis en place un Schéma Régional de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) pour définir les orientations économiques du territoire réunionnais. Dans le cadre du suivi de ce schéma, l’Insee s’est engagé avec la Région et Nexa, l’agence régionale de développement, d’investissement et d’innovation, pour réaliser une étude de diagnostic approfondi pour mettre en évidence les perspectives de développement pour l’économie réunionnaise.


BUSINESS MAGAZINE. Comment sont réalisées les enquêtes sur le terrain auprès de la population?

Il s’agit d’une interview en face à face avec la ou les personnes interrogées. Muni de sa carte professionnelle, l’enquêteur se rend au domicile de la personne et lui propose de répondre à un questionnaire qui peut durer en moyenne entre plusieurs minutes et une heure.


BUSINESS MAGAZINE. En général, le travail de vos enquêteurs est-il bien accepté ? 

Nos enquêtes se veulent les plus neutres possibles et prennent en considération les échantillons les plus représentatifs. Les personnes que l’on interroge sont choisies de manière aléatoire. Dans la très grande majorité, nous constatons un très bon taux de réponse à nos enquêtes. Le travail des enquêteurs sur le terrain est exigeant. Les personnes sont prévenues à l’avance du passage de l’enquêteur. Parfois, un enquêteur peut être amené à se déplacer dans des zones réputées difficiles. Dans tous les cas, le terrain, les rencontres, le face-à-face nécessitent de la part de l’enquêteur une implication forte.

Quand certaines personnes ne comprennent pas l’intérêt de la démarche, il s’agit avant tout de convaincre, de montrer l’utilité et le caractère obligatoire des statistiques et de montrer que le travail de l’Insee est de produire des chiffres utiles à tous. Au passage, c’est aussi la raison pour laquelle le travail de communication des travaux de l’Insee dans les médias est très important. On rappelle enfin aux personnes interrogées que leurs données restent anonymes et confidentielles.


BUSINESS MAGAZINE. Intéressons-nous à vos chiffres sur La Réunion, en commençant par ceux de l’emploi et du chômage…

Les résultats de l’enquête Emploi montrent qu’en 2017, la part des actifs était de 62 %, en baisse depuis deux ans. 47 % sont en situation d’emploi et 23 % au chômage. Ce taux se stabilise après trois années de forte baisse. Concernant l’économie locale, nous venons de publier avec l’aide de Nexa et de La Région un diagnostic macroéconomique de La Réunion. Nous en avons tiré plusieurs résultats qui nous éclairent sur plusieurs aspects comme la place de l’économie réunionnaise par rapport à la métropole et à l’océan Indien ou la répartition des salariés.


BUSINESS MAGAZINE. Qu’en est-il du Pib par habitant ?

Le Pib par habitant est bien plus faible que celui de la métropole. Mais en même temps, il est proche des autres régions ultrapériphériques et élevé par rapport aux pays de la zone océan Indien.


BUSINESS MAGAZINE. Il y a donc encore un écart important avec la métropole ? 

En moyenne, chaque emploi existant est moins productif (moins de recherche et développement, moins d’industries) à La Réunion qu’en métropole et la valeur ajoutée rapportée à l’emploi reste inférieure. L’écart est encore important, mais il faut nuancer. Les données conjoncturelles sont certes importantes. 

Mais il faut aussi savoir prendre du recul et s’appuyer sur les résultats des études structurantes. Elles nous montrent que la dynamique réunionnaise est positive avec une démographie dynamique, une hausse du taux d’activité par rapport au passé (notamment celui des femmes entre 2000 et 2010) et une forte augmentation des qualifications. Au début des années 2000, moins de la moitié des jeunes adultes sortant du système scolaire étaient diplômés. Aujourd’hui, ce sont deux tiers des jeunes qui quittent l’école avec un diplôme. De plus, les secteurs à valeur ajoutée (métiers qualifiés voire très qualifiés) progressent à La Réunion.


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BUSINESS MAGAZINE. Quel est l’état actuel le tissu productif réunionnais ?

On constate que le tissu productif se renouvelle. On assiste encore à des créations d’emplois et d’entreprises. L’autre fait intéressant est l’implantation des groupes : en 2015, 3 530 établissements réunionnais appartenaient à un groupe, ce qui représente 54 000 employés en équivalent temps plein.


BUSINESS MAGAZINE. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous attendez de la première enquête SRCV que vous avez lancée à La Réunion cette année?

L’enquête SRCV (Statistiques sur les Ressources et Conditions de Vie), menée jusqu’à présent uniquement en France métropolitaine a été étendue cette année à La Martinique, La Guadeloupe, La Guyane et La Réunion. Cette enquête met en relation le revenu des personnes avec leurs conditions de vie (le logement, la situation familiale et professionnelle, le sentiment de bien-être…). Elle permet une autre approche du taux de pauvreté, habituellement considéré uniquement du point de vue monétaire. Cette déclinaison française d’un dispositif européen offre une vision plus complète et circonstanciée des situations d’inégalités. 

Le recueil des données a commencé en mai et se terminera en décembre prochain. Il s’agit d’une opération d’envergure, puisque, au total, ce sont 2 000 ménages qui seront interrogés à La Réunion. Les résultats de l’enquête, qui seront disponibles dans les années à venir, seront utiles aux décideurs publics pour estimer l’ampleur de phénomènes comme la pauvreté et l’exclusion sociale.


BUSINESS MAGAZINE. Vous avez aussi mené des études sur les entreprises réunionnaises qui touchent notamment la parité. Quels en sont les enseignements ?

Nos études nous ont appris que la parité gagne du terrain à La Réunion, même si elle n’est pas encore entièrement acquise. En 2014, elles occupaient 47 % des emplois (117 000 femmes). Nous comptons plus de femmes cadres, même si peu d’entre elles sont à des postes de dirigeantes (seulement un quart au sein de la fonction publique dirigeante, par exemple).


BUSINESS MAGAZINE. Peuton comparer la croissance actuelle de Mayotte à celle de La Réunion au début de sa départementalisation ? 

La Réunion comme Mayotte sont des territoires qui présentent une forte croissance démographique et économique et font face à des difficultés sociales importantes. Cela a trait à des phénomènes de grande ampleur : la difficulté de s’insérer dans le marché du travail, le chômage, la pauvreté, entre autres. 

Dans ces deux territoires, nous constatons des attentes fortes de la part des acteurs publics et privés. Toutefois, il est presque impossible de faire un strict parallèle pour expliquer le développement des deux économies. En 70 ans de départementalisation, La Réunion s’est beaucoup développée, passant d’une économie fortement marquée par l’agriculture à une économie davantage tournée vers les services. Et cette évolution s’est faite par étapes. À Mayotte, l’évolution promet d’être très rapide. La croissance de l’île va très vite depuis 2011. Il est difficile de rapprocher les évolutions que connaît actuellement Mayotte avec celles de La Réunion 70 ou 50 ans auparavant. En premier lieu, le contexte n’est pas le même. Pour La Réunion, la départementalisation faisait suite à une période de crise profonde, celle de la Seconde guerre mondiale qui avait épuisé l’économie française et mondiale; le contexte politique français n’était pas, non plus, le même qu’aujourd’hui. La départementalisation de Mayotte s’inscrit dans un autre cadre, celui d’une mondialisation de l’économie. 


BUSINESS MAGAZINE. Malgré ces évolutions qui se mettent en place de manière rapide, certains Mahorais trouvent, paradoxalement, que les choses n’avancent pas suffisamment vite…

C’est justement l’ampleur de ce qui reste à accomplir qui explique l’impatience des acteurs publics et de la société à Mayotte. Les évolutions actuelles de Mayotte sont le début d’un processus. Du point de vue des statistiques, nous avons encore beaucoup de projets à développer. À titre d’illustration, il faut savoir, par exemple, que l’on vient de publier les données relatives aux décès. Auparavant, ces données n’étaient pas suffisamment fiables. Notre objectif a été de fournir des données validées après avoir mené des recherches pour recueillir les informations. À l’aide de ces données, nous sommes ainsi en mesure de mesurer le taux de mortalité infantile au sein de la population. Et à partir de ces données, l’Agence Régionale de la Santé (ARS) a pu établir des statistiques sur les causes de décès. 


BUSINESS MAGAZINE. Peuton dire que la départementalisation de Mayotte a influé sur la collecte des données statistiques ?

À Mayotte, deux phénomènes sont à prendre en considération. La départementalisation proclamée en 2011 a, bien entendu, changé le visage économique de l’île. Au niveau des statistiques, cette départementalisation a entraîné des obligations statistiques à remplir pour aligner le système administratif mahorais avec le droit commun qui régit tous les départements français. Déclarée région ultrapériphérique de l’océan Indien (au même titre que La Réunion) depuis 2014, Mayotte bénéficie également de financements de la part de l’Union européenne pour des actions. Ces deux phénomènes ouvrent des perspectives pour plusieurs projets d’études statistiques, même si les statistiques à Mayotte n’ont pas attendu 2011 pour commencer.


BUSINESS MAGAZINE. Quels sont les aspects à développer dans les statistiques mahoraises ?

Les statistiques de Mayotte sont amenées à s’étoffer. Nous nous tournons vers des sources nouvelles, qui n’étaient pas encore accessibles avant la départementalisation, pour produire des statistiques nouvelles. Ces sources nouvelles, ce sont celles communiquées par la sécurité sociale par exemple. Nous travaillons ainsi pour établir des statistiques sur les salaires. D’un autre côté, les statistiques d’entreprises se construisent. Il reste de nombreuses études économiques à mener. Ces nouveaux chiffres et ces études nous aideront à avoir une bonne vision, un bon panorama, de ce que sont l’économie et la société mahoraise d’aujourd’hui. 

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