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Jeux comptables

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Jeux comptables | business-magazine.mu

Ouvrez le manuel Macroeconomics du professeur Gregory Mankiw, et vous apprendrez que « la macroéconomie est l’étude de l’économie dans son ensemble, notamment quant à des phénomènes tels que la croissance du revenu, l’inflation et le taux de chômage ». Les finances publiques ne constituent que 5 % du contenu de cet ouvrage, donc 5 % de ce qu’un macroéconomiste doit savoir. Alors, quand nos porte-paroles du secteur privé qualifient un bas niveau de déficit budgétaire de « bonne gestion macroéconomique », on ose croire que c’est pour dissimuler leur embarras devant un Budget qui ne les satisfait pas. On a certainement une bonne gestion des finances publiques, mais à quel prix ? Le solde budgétaire de l’État n’est qu’un indicateur de la performance économique.

Nos analystes économiques et financiers confirment dans le présent baromètre ce qui se dit dans les conversations privées : le Budget de 2013 n’est pas bon dans le contexte économique actuel. Il ne répond que très partiellement à la crise qui secoue nos principaux marchés d’exportation. La zone euro tombe de nouveau dans la récession, ayant régressé de 0,2 % et de 0,1 % aux deuxième et troisième trimestres respectivement. Elle devrait croître de seulement 0,2 % pour l’année 2013, selon le Fonds monétaire international (FMI). Les États-Unis feraient mieux avec une croissance de 2,1 %, mais ils pourraient trébucher sur leur « fiscal cliff » (plus d’impôts et moins de dépenses publiques).

Justement, alors que le débat sur la rigueur budgétaire fait rage dans les pays développés, notre ministre des Finances, sans crier gare, revoit à la baisse le déficit budgétaire à 2,5 % du produit intérieur brut (PIB) pour 2012 et à 2,2% pour 2013. Sur ce plan, l’absence d’un débat pré-budgétaire est à déplorer. Désormais, on ne se laissera plus prendre par le Grand argentier : quoi qu’il dise, il a une grande marge de manoeuvre pour son prochain Budget de 2014. Pour l’heure, malgré la crise, il envoie le signal d’un resserrement de sa politique budgétaire. Mais tel n’est pas vraiment le cas, car les dépenses augmentent.

Tous les macroéconomistes diront que les dépenses en capital sont plus utiles au développement du pays que les dépenses courantes qui, elles, ont trait à la consommation publique. Or, celles-ci vont s’accroître de Rs 8 milliards en 2013, une hausse qui dépasse largement l’enveloppe salariale du Pay Research Bureau. Vu que les dépenses courantes sont généralement incompressibles, on imagine toute la difficulté de les contrôler à l’avenir.

Pour sa part, le Budget de développement n’augmentera que de Rs 1,3 milliard en 2013 pour s’élever à Rs 11,7 milliards, l’équivalent de 3,1 % du PIB. Toutefois, il était prévu de dépenser en 2012 Rs 14,3 milliards, soit 4,1% du PIB. Le manque de capacité du gouvernement à exécuter des projets lui a permis d’économiser près de Rs 4 milliards et d’afficher ainsi un déficit budgétaire plus bas. C’est une simple opération comptable qui n’a rien à voir avec la macroéconomie. Une bonne gestion macroéconomique aurait été de pallier la faiblesse de l’investissement privé par un plus grand investissement

Certes, on a dépensé Rs 3,6 milliards à partir des fonds extrabudgétaires en 2012. Mais là aussi, on n’a pas utilisé ces ressources à bon escient. Ainsi, le National Resilience Fund (NRF) n’a décaissé que Rs 777 millions sur un montant de Rs 3,3 milliards initialement prévu. Et encore que Rs 249 millions ont été consacrées à des campagnes de promotion à l’étranger, lesquelles ne sont pas réellement des dépenses d’investissement.

Le NRF semble perdre de son importance alors même que la situation économique risque de se détériorer dans les années à venir. Ainsi, un transfert de Rs 1,2 milliard sera effectué du NRF au Budget en 2013, et un autre de Rs 3 milliards en 2014. Un nouveau plan de relance budgétaire est pourtant nécessaire pour donner une impulsion à notre économie.

Dans un rapport sur Maurice, le FMI souligne que les fonds spéciaux hors-budget sont « macroeconomically important ». Le solde budgétaire se définit, en principe, comme la différence entre toutes les dépenses et tous les revenus. Si l’on ramène les dépenses et les revenus extra-budgétaires dans le Budget, le déficit budgétaire consolidé sera de 2,9 % du PIB en 2012 et de 3,2 % en 2013. Ces taux sont encore flatteurs mais, paraît-il, Maurice doit se mettre au même niveau que ses pairs afin de préserver sa notation auprès de Moody's.

Il convient d’arrêter ces jeux comptables au nom de la transparence des chiffres. D’abord, il est grand temps que le ministère des Finances innove en publiant les données réelles des finances publiques après chaque trimestre, au lieu de les révéler une seule fois par an à l’occasion de la présentation du Budget. Ensuite, comme le préconise le FMI, tous les fonds spéciaux doivent être inclus dans le Budget. Les marchés évalueront alors correctement les prix des titres publics.

Par ailleurs, l’objectif d’avoir un déficit budgétaire de 2,2 % du PIB en 2013 repose sur des hypothèses qui ne sont pas raisonnables. Il est fort peu probable que notre économie réalise une croissance de 4 %, que les arrivées touristiques augmentent de 5 % à 8 %, que les mesures budgétaires soient appliquées à 100 %, et que les recettes fiscales s’approchent des estimations. On sera encore heureux qu’une partie du Budget de développement ne soit pas dépensée...

Une autre hypothèse à retenir, c’est celle d’une dépréciation annuelle de 3,5 % de la roupie. Cela surprend de la part d’un ministère des Finances dont les exportateurs disent qu’il serait en faveur d’une correction importante du taux de change. Si la roupie était si surévaluée, elle le resterait l’année prochaine avec une inflation de 6 % qui rendrait pratiquement stable le taux de change réel de la roupie. Imaginez ce que serait le taux d’inflation s’il fallait dévaluer la roupie par plus de 3,5%... Du comité de politique monétaire, on attend un signal cohérent.

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