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Raju Jaddoo: « 2014 sera une bonne année… si la politique ne prime pas sur l’économie »

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Raju Jaddoo: « 2014 sera une bonne année… si la politique ne prime pas sur l’économie » | business-magazine.mu

Que nous réserve 2014 sur le plan économique ? Allons-nous renouer avec une croissance soutenue ? Comment venir à bout des problèmes structurels qui minent l’économie mauricienne ? Autant de questions qui sont abordées par le secrétaire général de la Chambre de Commerce dans cet entretien exclusif à Business Magazine.

BUSINESSMAG. Les dernières prévisions de la Chambre laissent entrevoir une reprise cette année. Sur quelle base ces estimations sont-elles faites ?

La Chambre ne se prête pas à un jeu de pronostic. Ces estimations sont le fruit d’un travail assidu et très technique élaboré à partir de modèles économétriques que nous avons développés. Elles prennent aussi en considération toutes les études que nous avons menées ces deux ou trois dernières années. Il s’agit d’un travail scientifique réalisé d’après des méthodologies bien établies. En 2012, la Chambre avait fait une prévision de 2,9 % pour 2013. Nombre d’observateurs s’étaient demandé si cela était réalisable ou pas car on avait avancé un chiffre beaucoup plus élevé dans d’autres sphères.

La réalité est beaucoup plus cruelle, mais c’est celle des chiffres. Nous sommes beaucoup plus près de ce diagnostic. Ce n’est pas que cela nous plaît d’être proches de ce que nous avions prévu, mais il faut pouvoir donner des indications pour provoquer des Policy Responses. Comme chaque Mauricien, j’aimerais qu’on réalise un taux de croissance de 4,5 %, voire de 6 % pour pouvoir résorber le chômage car c’est le problème le plus important du moment. La Chambre est en train de faire ses prévisions pour 2014 en se basant sur un tableau macroéconomique et ce que le Budget a prévu.

Mais il y a aussi des imprévus. Le comportement des investisseurs, la consommation et la confiance sont des éléments très importants qui peuvent nous permettre d’accroître notre potentiel. C’est un peu cela que nous venons dire dans notre perspective économique pour 2014.

En 2005, nous étions effectivement dans une situation où la croissance tournait autour de 2,5 % à 2,6 %. Il y a eu un regain important. Des politiques ont été mises en place pour favoriser l’investissement. Tout cela a contribué à une augmentation du potentiel de croissance. Nous avons vu qu’il y a eu une augmentation dans le seuil. Nous sommes passés à 5,5 %. Nous avions souligné le même fait dans notre Budget Memo. Il aurait pu y avoir plus de mesures pour relancer l’économie dans le Budget. Nous pouvons changer la donne. Nous ne sommes pas condamnés à faire 3,2 %, mais il faut que nous ayons l’aspiration d’aller au-delà de ce taux.

Les choses sont appelées à évoluer. Est-ce qu’on doit avoir une politique sur l’économie uniquement une fois par an ? Il faut peut-être, avec l’évolution, trouver les moyens d’ajuster le tir chaque trimestre. On pourrait à ce moment-là se donner une flexibilité et plus de moyens pour atteindre ces objectifs. Ce n’est pas que des mesures concrètes n’ont pas été annoncées dans le Budget, mais nous pensons qu’il y a moyen de faire encore plus. On ne peut pas passer tout notre temps sur un Budget qui est déjà passé. Aujourd’hui, quand on parle de 3,4 % pour 2014, cela implique une période de stabilisation de l’économie. Si on a des mesures de facilitation importantes, on peut aisément faire encore plus. On l’a fait dans le passé et on peut toujours le faire à l’avenir. 

BUSINESSMAG. Quels sont les critères que vous avez pris en considération pour annoncer la reprise ?

Nous nous sommes basés sur une analyse sectorielle et en regardant l’évolution et l’investissement dans les secteurs économiques. Par exemple, nous avons annoncé une croissance d’environ 7,5 % dans les Tic. Nous réalisons que la croissance est plus élevée dans le secteur des Tic que dans l’industrie manufacturière – où l’on s’attend à une croissance de 2,5 % –, car il n’y a pas suffisamment d’investissement dans ce secteur. Si dans les Tic, il y a eu pas mal d’investissements, en revanche, ce secteur fait face à un problème de main-d’œuvre.

Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en jeu dans le calcul de la croissance. Est-ce qu’on est en mesure d’augmenter la croissance de 3,4 % à 4-4,5 % ? Cela dépend de la performance des secteurs. S’il y a davantage de mesures incitatives en faveur du secteur touristique, celui-ci peut rapidement augmenter son taux de croissance. Alors que, dans le secteur manufacturier, cela prendra un peu de temps. A nous d’avoir des politiques qui peuvent changer la donne.

BUSINESSMAG. Vu le niveau d’incertitude qui plane sur l’économie mondiale, ne pensez-vous pas que la prévision de 3,4 % est trop optimiste ?

Je pense, au contraire, qu’il y a des gens qui nous considéraient comme étant pessimistes. Ils diront que dans les économies subsahariennes, un taux de croissance de 5 % à 6 %, c’est très faisable. Il faut toutefois souligner que, dans ces pays, on exporte des matières premières. Ce n’est pas nécessairement un Job led growth, mais plutôt un Mineral and commodities led growth. Je pense que nous sommes réalistes.

Maurice est un peu bloquée en ce moment dans la mesure où notre croissance bouge par centième de pourcentage seulement. Aux États-Unis, une croissance de 2,7 % est attendue cette année. L’Europe a toujours des difficultés. Ce qui est inquiétant, c’est qu’il y a pas mal de problèmes structurels dans ces marchés. La reprise minime dans ces économies sera toutefois insuffisante pour
nous influencer.

BUSINESSMAG. Lors de la présentation du dernier Business Confidence Indicator, vous avez mentionné que le Budget 2014 est passable, mais ne contient pas de mesures pro-croissance. Justement, quelles sont ces mesures qu’on aurait dû introduire pour booster la croissance ?

On a beaucoup parlé de hubs tels que le Petroleum hub ou l’Airport hub. Ce sont des projets qui vont prendre du temps, ont déjà été lancés et sont en phase de mise en application. Ils ne sont pas nouveaux. Par exemple, le bunkering se fait déjà. Le problème réside dans une mise en application rapide de ces projets. Je n’ai pas vraiment vu des mesures qui allaient relancer le secteur manufacturier qui est le plus gros pourvoyeur d’emploi, qu’on le veuille ou non. On est en train d’essayer d’avoir accès à de nouveaux marchés, ce qui est bien. Mais il faut avoir les produits adéquats. Ceux-ci font partie de la chaîne globale car nous ne sommes pas les seuls à produire.

Il fallait donner un nouveau souffle à travers la compétitivité et l’innovation. Nous avions proposé de mettre en place un Competitiveness and Innovation Fund. Je pense que c’est une mauvaise idée de laisser tomber les projets qui n’ont pas abouti. Il faut sauvegarder non seulement les emplois d’aujourd’hui, mais aussi ceux de demain. On peut choisir de créer des hubs qui seront rentables dans 10 ou 20 ans. Mais il faut aussi diversifier les secteurs qui sont rentables.

La consommation à Maurice a baissé. Par contre, nous avons environ 1 million de touristes qui viennent chaque année. Nous avions proposé d’accorder des mesures incitatives pour que les touristes dépensent plus et non de reprendre leurs investissements à travers la détaxe. On a aussi beaucoup entendu parler du Film Rebate Scheme, mais rien sur le tourisme médical qui est, pourtant, très important. Il faut retourner sur les secteurs déjà existants et voir si nous sommes en train de les exploiter à fond.

BUSINESSMAG. Quels seront les principaux moteurs de croissance en 2014 ?

Les Tic vont croître de 7,5 %, alors que le secteur manufacturier connaîtra une expansion de 2,5 %. Seulement le poids des deux dans notre économie est différent. Nous pensons que le tourisme va se stabiliser et que la construction enregistrera une légère contraction avec l’achèvement des gros projets. Je suis tout à fait d’accord avec le Gouverneur de la Banque centrale selon lequel nous avons besoin d’une politique très claire sur le long terme. Il n’est d’ailleurs pas le seul à le dire. Supachai Panitchpakdi, le secrétaire général de l’UNCTAD, l’a d’ailleurs souligné durant son séjour à Maurice. 

Il faut aussi que les bailleurs de fonds aient une politique montrant où ils seront dans 5 à 10 ans. Par exemple, s’agissant de la politique énergétique, on attend toujours un régulateur dans ce secteur important. En 1999, on a parlé d’une Mauritius Utility Regulatory Authority. On avait notamment évoqué la restructuration du CEB et la concurrence dans le secteur énergétique. Il ne faut pas que le calendrier politique prenne le dessus sur l’agenda économique du pays car c’est effectivement cet agenda qui pourrait nous apporter des dividendes sociaux.

BUSINESSMAG. Le Business Confidence Indicator a évolué en dessous de la moyenne de 100 points de base depuis 2010. Qu’est-ce qui fait que la confiance sera de retour en 2014 ?

Les Mauriciens sont toujours des battants. Nous avons vu que le taux d’investissement est en baisse. Cela se reflète d’une certaine façon sur le Business Confidence Indicator. Les gens se sont dit que, pendant 1 an ou 2 ans, ils ne feraient pas des investissements majeurs. Une partie des entrepreneurs ont intériorisé le fait que la situation macroéconomique sera plus ou moins stable.

Des signaux conflictuels ont émané de deux écoles de pouvoir. La première concerne la maîtrise de l’inflation et l’autre une agenda pro-croissance. Les entrepreneurs ont donc préféré attendre pour voir où cela mène avant de prendre une décision à long terme.

Maintenant qu’il y a une certaine convergence, pas d’incertitude au niveau du risque du taux d’intérêt et de la fiscalité, ils se disent qu’ils peuvent désormais diversifier leurs marchés et qu’il est temps d’essayer de faire autre chose.

BUSINESSMAG. Bien souvent, les opérateurs qui ont été sondés dans le cadre de la préparation de l’indicateur de confiance ont déploré un manque de soutien de l’administration publique. Qu’entendez-vous par là ?

La réponse est dans le Budget. Quand on parle de l’amélioration du climat des affaires et de « backlog » de projets, cela veut dire qu’il y a eu un manque de décisions. Une des recommandations du Budget était d’activer un Fast Track Committee avec le Board of Investment, sous la supervision du Secrétaire financier et d’autres ministères. Si les choses avaient fonctionné comme prévu, plus de huit ans après le lancement de la Business Facilitation Act, nous n’aurions pas dû nous retrouver avec un comité pour assurer qu’on est en train de faciliter le climat des affaires. C’est dommage qu’on en soit arrivé là. Cela veut dire que nous avons un gros souci avec la mise en application même de la législation.

BUSINESSMAG. La balance du compte courant se trouve toujours dans une zone négative, avec la valeur des importations qui demeure plus élevée que les exportations. Craignez-vous un creusement de ce déficit et quel pourrait être l’impact sur l’économie ?

Chaque année, nous nous posons les mêmes questions. Aujourd’hui, nous sommes un pays connecté avec le reste du monde qui veut participer à la chaîne globale de la valeur grâce à l’exportation. Bien sûr, pour exporter, il faut avoir une stratégie d’exportation efficiente. Nous importons beaucoup de matières premières pour pouvoir produire des articles destinés à l’exportation.

Analysons la croissance réelle de l’exportation ces dernières années. Avons-nous une National Export Development Strategy ? Si nous voulons que le secteur du Seafood croisse davantage, sommes-nous équipés pour le faire ? Sapmer est présente à Maurice, mais quant à nous, avons-nous pu développer nos propres installations depuis le temps qu’on en parle ?

On a beaucoup évoqué les difficultés entourant le secteur du textile. Pourtant, il y a d’autres pays qui se portent très bien. Il faut exploiter de nouveaux créneaux si on veut être « global centric ». Cela dépend de l’effort de tout un chacun. Il faudra s’attaquer à d’autres problèmes tels que la connectivité et le coût du fret. Cela a été abordé en partie dans le Budget. Toutefois, il faut pour cela toute une logistique.

La consommation n’est pas en hausse. C’est peut-être un problème structurel qu’on se doit de résoudre maintenant. Ce n’est pas une question de savoir si le déficit va augmenter ou se creuser. C’est la structure même de l’économie qu’il faut revoir. Il faut qu’on change la composition de notre industrie et la façon dont nous nous engageons dans les chaînes de valeur globales. Il faudra se positionner dans un endroit précis pour pouvoir cibler certains marchés spécifiques afin d’augmenter les exportations.

BUSINESSMAG. La Chambre ne semble pas être très optimiste s’agissant des investissements privés en 2014, avec une prévision de 21,5 %. Pourquoi ?

Ce sont plutôt les opérateurs qui ne sont pas optimistes. Investir, c’est toujours quelque chose qui se fait à long terme. Le retour est souvent sur 4 ou 5 ans minimum. Nous estimons que la crise nous a amputés d’environ 2 % de notre taux de croissance. Mais au-delà de cela, il nous faut faire le bond. La perception que les investisseurs se font de notre politique industrielle est-elle en faveur du secteur manufacturier ?

À un certain moment, il y a même eu un manque de gros projets dans le secteur des Tic. Il n’y a pas eu le déclic nécessaire pour provoquer cette hausse importante de l’investissement. Les investisseurs l’ont senti. D’où leur manque d’engagement.

BUSINESSMAG. Vous avez fait état du risque d’une dépréciation forcée de la roupie en 2014. Expliquez-nous votre analyse.

En fin de compte, ce sera indépendant de notre volonté. Si on enregistre une dépréciation dans les autres économies, on n’aura d’autre choix que d’emboîter le pas pour rester compétitif.

BUSINESSMAG. Les entrepreneurs l’ont compris : la solution pour contrer les effets de la crise économique qui perdure sur le plan mondial se trouve dans la diversification et la recherche et le développement. Etes-vous satisfait des efforts entrepris dans cette direction ?

On a déjà fait un premier pas dans la bonne direction. Nous avions suggéré la création d’un fonds considérable pour le R&D, justement pour que les gens réalisent que c’est la seule porte de sortie pour notre économie. Nous produisons plus de 1 000 produits à Maurice. Il faut les répertorier et les promouvoir.

BUSINESSMAG. Quels sont les principaux indicateurs économiques qu’il faudra surveiller en 2014 ?

Les gens parlent constamment de l’inflation ou du taux directeur. 2014 ne doit pas être une année où ces deux facteurs sont en désaccord. Il faut trouver le bon équilibre entre ces deux indicateurs. Nous ne sommes pas obligés de suivre un seul système. Il peut évoluer.

Il n’y a pas que les mesures budgétaires qui dictent le parcours. Le gouvernement a d’autres moyens à sa disposition. Nous ne sommes pas en mesure de changer le paysage de l’emploi avec le taux d’investissement actuel. C’est donc l’investissement qu’il faut placer sous analyse cette année. Sans investissement, on est mal barré. Il faut aussi regarder la productivité de l’investissement.

BUSINESSMAG. Certains observateurs croient que le déficit budgétaire sera plus élevé que les prévisions du Budget en 2014

Je fais confiance aux techniciens du ministère des Finances, mais bien sûr, ils tablent sur des assomptions que nous connaissons bien. On a beaucoup parlé du Budget, mais rien n’a été dit sur ce qui est fait pour contrôler les dépenses ou ce que nous faisons concernant la rationalisation de nos services et notre efficience en termes de services publics.

BUSINESSMAG. Quelle est votre opinion sur la méthodologie actuelle utilisée pour mesurer la contribution des industries à l’économie ?

Si on utilise une méthodologie basée sur la valeur ajoutée et si on compile les chiffres – similairement à une étude qu’a menée l’Organisation mondiale du Commerce –, on aura une idée claire du poids réel de certains secteurs dans notre économie. Le tourisme, par exemple, contribue bien plus que 7,5 % à notre PIB.

BUSINESSMAG. Avez-vous un message à passer aux opérateurs économiques pour 2014 ?

Our business is you. 2014 sera une bonne année aussi longtemps que le calendrier politique ne prendra pas le dessus sur l’agenda économique.

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