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Réforme du travail : la productivité en contrepartie

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Réforme du travail : la productivité en contrepartie | business-magazine.mu

Avec l'adoption de la Workers’ Rights Act et de l’Employment Relations Act 2019, c’est une nouvelle ère qui se dessine dans les relations industrielles. Avec ce cadre légal, c’est un nouveau contrat social qui liera l’employeur et l’employé. Il s’agit aussi d’un plaidoyer contre l’emploi précaire reposant sur une philosophie nouvelle dont est porteur le gouvernement du jour. Au vu des aspects techniques liés à sa mise en application, la disposition sur la portabilité de la pension de retraite (Portable Retirement Gratuity Fund - PRGF) ne sera adoptée qu’en janvier. Il s’agit d’un véritable game-changer. Concrètement, le PRGF donne l’assurance aux salariés qu’ils toucheront une pension à leur retraite. Il prévoit la création d’un fonds de gratification pour chaque travailleur. C’est un compte individuel où il ne pourra effectuer de retrait et auquel ses employeurs contribueront un taux mensuel établi selon la rémunération mensuelle de l’employé. Mobile, ce compte est rattaché à l’employé et le suit tout au long de sa carrière même s’il change d’employeur. Toutefois, les employeurs qui souscrivent déjà un plan de retraite privé au nom de leurs employés ne sont pas concernés par la portabilité. Grosso modo, quelque 300 000 salariés sont concernés par le PRGF. 

Thierry

FAVORISER LA MOBILITÉ

En vertu de la loi, l’employeur devra contribuer l’équivalent de 15 jours de salaire par année de service. Autrement dit, la contribution mensuelle doit se situer autour de 4,25 % du salaire. Sur ce point, Business Mauritius réclame plus de flexibilité et préconise un taux de 3,8 %. Son Chief Operating Officer, Pradeep Dursun, fait ressortir que le coût de mise en conformité du PRGF sera d’environ Rs 4,8 milliards. Du côté de la classe syndicale, le PRGF est évidemment bien accueilli. «Cette mesure est louable parce que c’était une nécessité. C’était anormal pour les employés du pays où il y a eu plusieurs licenciements alors qu’il n’y a pas de dossiers pour les années de travail des licenciés en question, surtout dans le privé», commente Radhakrishna Sadien, président de la State Employees Federation. Il trouve que le PRGF est particulièrement pertinent à un moment où très peu de gens conservent le même emploi pour la vie. Cette nouvelle loi permettra justement d’avoir cette flexibilité sans craindre pour sa pension de retraite. «Parallèlement, c’est un engagement aussi pour les employeurs. Cela doit inéluctablement faire partie de la condition de travail d’un employé. Cet élément apporte de la stabilité», ajoute-t-il.

Le CEO d’Alentaris, Thierry Goder, trouve également louable cette nouvelle loi. «Le salarié pourra anticiper une retraite correcte à la fin de son cycle professionnel», soutient-il. Et d’ajouter qu’avec le phénomène de vieillissement de la population, le PRGF devient une nécessité car il assurera à tout un chacun une pension décente. Mais, insiste-t-il, il faut plus de communication autour du sujet. «Il y a encore beaucoup de zones qui sont encore floues. Au vu de la situation dans l’industrie locale, il est important de faire attention que les employés ne se retrouvent pas au chômage à cause d’une quelconque incompréhension», observe-t-il.

Il est rejoint par Anne-Sophie Jullienne, Managing Partner de PwC Legal. Pour elle, il est clair que la nouvelle législation du travail constituera un enjeu majeur pour les entreprises et qu’elles devront s’y conformer. «Il s’agira de se familiariser avec cette nouvelle loi et de comprendre ses implications, qui sont considérables. Cette nouvelle loi vient élargir la définition de ‘workers’ en y incluant désormais les employés qui gagnent jusqu’à Rs 600 000 de ‘Basic wage’ par an, alors que le seuil était de Rs 360 000 auparavant. Le champ d’application du régime de protection obligatoire qui s’applique aux ‘workers’ est donc considérablement élargi», indique-t-elle. Abordant le côté pratique de la mise en application de la loi, Thierry Goder met en avant l’impact sur la trésorerie des compagnies. «La pression va être sur le cash-flow. Beaucoup d’entreprises ont fait leur budget annuel pour leur année calendaire et année civile. Il va falloir demander aux responsables financiers de revenir avec un budget qui va tenir compte de cette contribution annuelle», argue-t-il.

La Workers’ Rights Act apporte d’autres changements substantiels à la législation du travail sur le plan local. Elle impactera financièrement les entreprises à divers niveaux. Il y aura des coûts additionnels, notamment des charges administratives, comptables et juridiques additionnelles pour appliquer les changements apportés par la nouvelle loi et, par la suite, pour s’assurer que les entreprises s’y conforment, indique Anne-Sophie Jullienne. Abondant dans le même sens, Pradeep Dursun fait remarquer que les Remuneration Orders sont également révisés. Dans les Tic, la construction et les services de sécurité privée, ces changements sont drastiques. «Il y a eu réduction du nombre d’heures de travail et les provisions concernant le paiement des heures supplémentaires. Que ce soit pour les PME ou les grandes entreprises, tous secteurs confondus, ce n’est pas ‘business as usual’. Beaucoup d’entreprises réalisent maintenant qu’il y a une refonte des décisions qui devront être prises pour parfaire ou pour continuer avec certaines pratiques, tout en prenant en considération, par exemple, les nouvelles règles concernant les heures de travail, le boni de fin d’année, le paiement des congés, l’introduction des limitations concernant les ‘Fixed terms agreements’, les procédures pour des licenciements économiques», étaye-t-il.

Pour Anne-Sophie Jullienne, il faut s’attendre à ce que les entreprises passent leurs coûts additionnels aux consommateurs. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur leur compétitivité. «À l’heure où Maurice fait face à de nouveaux défis, notamment dans le global business et le secteur d’exportation, tout changement touchant financièrement les entreprises à Maurice, ou qui rendrait le coût des services plus élevé, pourrait affecter notre compétitivité au niveau international ; des coûts additionnels pourraient, en effet, peser dans la décision de choisir entre Maurice et d’autres destinations d’investissement ou centres financiers internationaux moins onéreux», observe-t-elle. L’économiste Pierre Dinan la rejoint sur ce point : si cette loi n’est pas mauvaise, notamment en ce qui concerne la portabilité du plan de retraite, une avancée certaine pour les travailleurs, il faudrait une contrepartie. Celle-ci devra être soutenue par plus de productivité.

«Nos industries phares font déjà face à des défis que ce soit le sucre, la zone franche manufacturière. Notre produit a perdu de sa compétitivité sur les marchés internationaux», fait-il ressortir. Il revient sur le tourisme qui fait déjà face à une forte concurrence de la part des Maldives et des Seychelles. Il y a aussi le coût de production de notre sucre, trop élevé par rapport à ce que les pays acheteurs sont prêts à payer. «Nous sommes plus chers que le prix qui se pratique sur le marché mondial. Et les pays d’Europe qui nous faisaient des faveurs auparavant ne sont plus disposés à continuer», résumet-il. Cette situation est aussi le signe que l’économie mauricienne s’est développé pendant les 50 dernières années et que forcément les salaires augmentent aussi. «Le modèle sur lequel s’est développé la zone franche dans les années 70 avec des caractéristiques telles que la main-d’œuvre abondante et à bon marché n’est plus d’actualité. Il en va de même pour le sucre et le tourisme. Lorsque les salaires augmentent et que la main-d’œuvre n’est plus abondante il faut de la productivité», analyse-t-il. Et d’insister que cette recherche de la productivité ne doit pas se faire à coups de cravache. «Il s’agit de donner des moyens d’être plus productifs aux employés, notamment grâce à la technologie, car nous sommes en pleine révolution technologique et c’est le moment pour Maurice d’enclencher cette démarche», soutient-il. Quoi qu’il en soit, un nouveau cadre légal pour régir les relations industrielles était nécessaire. Car ce sont les hommes qui sont au cœur du développement.  

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Qui sont les exclus ?

Tout employé touchant moins de Rs 200 000 et ne bénéficiant pas d’un plan de pension privé sera soumis au régime du Portable Retirement Gratuity Fund. Cela inclut les employés considérés comme atypiques sous la loi et les personnes qui travaillent en indépendant et qui n’ont pas d’employés à leur charge. Trois catégories d’employés ne seront pas concernées par la portabilité. D’abord, il y a ceux ayant déjà des prestations de retraite, notamment à travers un régime de pension privée. Ensuite, il y a ceux qui perçoivent un salaire de base mensuel de plus de Rs 200 000 et dont les prestations de retraite ne sont payables dans aucun régime de pension privée. Et finalement, le travailleur migrant ou non-citoyen.

Période moratoire ?

Vu que les contributions pour le mois de janvier devront être payées avant le 20 février, la question de savoir si le gouvernement accordera un moratoire aux entreprises se pose. «On a jusqu’à la mi-février. C’est une fenêtre d’opportunités. D’ici là, j’imagine que le gouvernement fera connaître sa position. Peut-être qu’il y a d’autres événements qui vont se succéder, sur d’autres projets concernant le monde du travail tels que la compensation salariale et la révision du salaire minimum. Ce sont des facteurs qui devront, dans leur globalité, être pris en considération dans l’application du quantum payable au PRGF», soutient Pradeep Dursun.

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