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Renganaden Padayachy : «Le Pib franchira la barre des Rs 500 milliards cette année»

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Renganaden Padayachy : «Le Pib franchira la barre des Rs 500 milliards cette année» | business-magazine.mu

Quelle est votre lecture du Budget 2019-20 ?

Avant d’aborder cette question, permettez-moi de situer le contexte dans lequel nous évoluons.

L’histoire retiendra l’année 2016 comme l’an premier du tournant économique mondial. Ce tournant est tel un repli sur soi, c’est-à-dire une stratégie de fermeture ainsi que des guerres commerciales.

La victoire du oui au referendum sur le Brexit et l’élection de Donald Trump simultanément en 2016 ont rouvert la porte à cette philosophie disruptive et destructive de l’entre-soi.

Ainsi, après l’embellie économique mondiale de ces dernières années, avec un taux de croissance global culminant à 3,8 % en 2017, la dynamique s’est inversée et la croissance économique mondiale devrait être à son plus bas depuis la crise financière de 2009. Le taux de croissance mondial devrait se fixer à 2,6 %, nettement en dessous des 3 %, selon les dernières prévisions de la Banque mondiale.

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La situation que vous venez de décrire implique que Maurice est dans l’œil du cyclone ?

De tous temps, les secousses globales ont eu un impact immédiat sur la croissance locale. Par exemple en 2009, avec la crise mondiale, nous avions perdu jusqu’à 2,5 points de pourcentage. Et pourtant, cette année sera différente. La croissance économique en 2019 sera supérieure à celle de 2018, qui était elle-même supérieure à celle de 2017. L’alternative économique proposée par le Premier ministre est à la base de cette réussite. Cette alternative est en marche et repose sur la confiance en l’homme. Goggins vous dit à cet effet que «we all have the ability to come from nothing to something».

La confiance, ce n’est pas un raccourci simpliste ?

Sans confiance, nous ne sommes rien. C’est l’élément déterminant de la demande, et par conséquent du Pib.

Et si nous revenons à l’objectif du présent Budget ?

Un mot dans le titre «Embracing A Brighter Future Together As A Nation» résume parfaitement l’esprit du Budget 2019-2020. Le mot Together implique une vision d’ensemble comprenant des mesures concrètes pour toute la population.

C’est le prolongement naturel et innovant des trois précédents exercices qui, tout en favorisant la politique de l’amélioration de la compétitivité de notre offre avec des mesures globales et sectorielles, contenaient des mesures de soutien à la classe moyenne et aux plus vulnérables, et aussi des mesures de justice fiscale pour réduire l’écart entre les riches et les pauvres.

Ainsi, dans les grandes lignes, nous avons eu le plan pour lutter contre la pauvreté absolue dans le Budget 2016-2017 à travers un soutien direct aux 11 000 familles enregistrées sur le Social register of Mauritius (SRM) ; la hausse du pouvoir d’achat des travailleurs vulnérables avec la Negative income tax, le salaire minimum et la mise en place d’une imposition plus forte pour les plus favorisés de notre société dans le Budget 2017-2018 ; la diminution de l’impôt sur le revenu de 15 % à 10 % pour la classe moyenne et des mesures fortes pour l’emploi des jeunes.

Vous conviendrez qu’il n’y a pas que la demande mais aussi et surtout l’offre à améliorer ?

Il y a, d’une part, des mesures pour améliorer notre offre et, d’autre part, des mesures pour relancer la demande, en utilisant de manière efficace les marges de manœuvre qui accompagnent toute hausse du Pib.

Ainsi, au niveau de l’offre, nous avons la gratuité de l’éducation tertiaire, l’assouplissement de la bureaucratie fiscale pour les petites entreprises qui pourront choisir dès le départ de ne payer qu’un pour cent de leur chiffre d’affaires comme montant forfaitaire pour la taxe, une nouvelle législation sur la facilitation des affaires avec les amendements de 26 lois pour améliorer notre environnement économique et demeurer dans le top 20 des meilleurs pays de l’Ease of doing business, le soutien à la recherche et l’innovation avec la mise en place d’un National Innovation and Research Fund de Rs 100 millions, l’ouverture vers les talents étrangers, avec en particulier le Post-Study Work Visa, la création par le gouvernement d’un National Skills Matching Platform en partenariat avec Business Mauritius pour améliorer l’employabilité des chercheurs d’emplois à travers des formations spécifiques et la garantie d’un emploi à la fin, la création d’une nouvelle catégorie d’entreprise, le MME, dont les entreprises auront un chiffre d’affaire oscillant entre Rs 50 millions et Rs 250 millions et qui ont un potentiel de développement énorme, l’extension du speed to market sur le marché américain pour le secteur manufacturier, le support au secteur touristique avec des aides pour la connectivité avec la Chine et le Kenya, la mise en place du «One-Stop Shop» à la FSC pour toutes les demandes du secteur financier non bancaire et un prix record de Rs 25 000 par tonne de sucre garanti pour les 60 premières tonnes de sucre.

Au niveau de la demande, la mesure phare demeure la baisse de la taxation sur des produits courants, à savoir des droits d’accise sur l’essence et le diesel, et la baisse du taux de la TVA sur le gaz. Cela représente une baisse de Rs 3 sur un litre d’essence ou du diesel et de Rs 30 sur chaque bonbonne de gaz.

Il y a aussi une hausse de Rs 500 des pensions de vieillesse, qui passe à Rs 6,710 pour celui qui prend sa retraite et une allocation de Rs 1 000 à tous les fonctionnaires en attendant la publication du rapport PRB.

Des supports monétaires et le remboursement de la VAT aux familles vulnérables et à la classe moyenne pour la construction de leurs logements, la hausse de l’allocation aux pensionnaires alités, l’accès gratuit à Internet pour les 11 000 familles enregistrées sur la liste SRM, et la baisse de la taxation directe.

Renganaden

Certains n’hésitent pas à qualifier ce Budget de populiste, donc non soutenable économiquement. Votre avis ?

C’est une approche d’une partie de l’élite économique, médiatique ou politique de Maurice, en opposition au peuple. Sous la législature précédente, de 2006 à 2014, les décideurs ont alourdi la fiscalité non progressive sur les ménages, en particulier la classe moyenne et les plus vulnérables pour pouvoir baisser celle des plus aisés. C’était le choix de taxer la classe moyenne et les plus vulnérables, car ils étaient plus nombreux.

Voyez-vous, la théorie néolibérale du ruissellement, ou trickle down theory, est une théorie qui pose comme hypothèse absolue que les revenus des individus les plus riches sont in fine réinjectés dans l’économie, soit par le biais de leur consommation, soit par celui de l’investissement. Ainsi, ils contribuent, directement ou indirectement, à l’activité économique générale et à la création d’emplois pour le reste de la société. Cette théorie est utilisée pour défendre l’idée que les réductions d’impôt pour les hauts revenus ont un effet bénéfique pour l’économie globale. L’image utilisée est celle des cours d’eau qui ne s’accumulent pas au sommet d’une montagne mais ruissellent vers le bas.

Toutefois, cette théorie ne fonctionne pas. De nombreux travaux l’ont démontré. Les experts Herzer et Vollmer ont examiné la relation à long terme entre les parts du revenu détenues par les ménages les plus aisés et la croissance économique pour un ensemble de pays sur une période de 35 ans. Ils constatent qu’un accroissement de la part du revenu détenue par le décile supérieur se traduit par un ralentissement de la croissance et rejettent ainsi l’argument de ruissellement mis en avant pour justifier les réductions d’impôts au profit des hauts revenus.

Cette philosophie implique un transfert fiscal massif du bas vers le haut avec pour conséquence une augmentation des inégalités sociales et peut, à terme, provoquer la dénaturation de la structure économique et sociale d’un pays et affaiblir son potentiel.

Quel est donc votre postulat ?

Quand je faisais ma thèse de doctorat sur la dynamique de la pauvreté à Maurice, j’étais intimement convaincu de l’impact négatif des inégalités sur le potentiel et la croissance économique réel de notre pays. Quelques années plus tard, c’est avec une profonde humilité que j’ai pris connaissance que l’OCDE avait confirmé cette croyance. Cette institution démontre de manière empirique l’impact négatif de la hausse des inégalités des revenus sur la croissance économique.

Ainsi, selon l’OCDE, une hausse du coefficient de Gini, qui mesure l’inégalité des revenus, de 0,03 point peut entraîner une baisse de la croissance économique réelle de 0,35 point de pourcentage.

Or, selon le Household Budget Survey de Statistics Mauritius, le coefficient de Gini à Maurice a augmenté de 0,38 à 0,41 entre 2006 et 2012, démontrant statistiquement la hausse des inégalités de revenus. Cette hausse des inégalités a réduit le potentiel économique de Maurice entre 2012 et 2015, démontré par la contraction de nos investissements. Bizarrement, une partie de l’élite locale demeure sourde à cette évolution positive de l’analyse économique.

Ainsi, la question que je me pose est : doit-on prendre des mesures contre la population et, ainsi, casser la dynamique de confiance pour affaiblir les perspectives économiques de notre pays ?

On vous dit proche du Premier ministre…

Mes responsabilités font que je le côtoie assez régulièrement et je peux vous dire qu’il force le respect, de par son intelligence, sa capacité de travail et son humanité. J’ai beaucoup d’égards pour l’homme qui, selon moi, a tous les traits d’un grand homme d’État.

Cela n’altère-t-il pas votre jugement ? Mon libre arbitre me dicte dans mes choix, et c’est mon bien le plus précieux. N’oublions pas que le libre arbitre se définit en premier comme le pouvoir de choisir, et en second comme le pouvoir d’exécuter ce qu’on a choisi. Il implique les libertés politiques au sens restreint et les libertés de l’homme au sens large.

Notre volonté est infinie et sans bornes et l’erreur que font certains est de ne pas prendre en considération le pouvoir de la volonté.

Avez-vous des ambitions politiques ?

Les liens entre l’économiste et le politique sont connus. L’économiste étudie les phénomènes sous le point de vue de sa science et le politique utilise les arguments des économistes pour développer sa propre synthèse économique.

Vous ne répondez pas à ma question…

Je pense avoir répondu…

N’y a-t-il donc rien de négatif dans le budget de Pravind Jugnauth ?

Dans le contexte actuel et au vu de la philosophie économique et sociale qui m’anime, je pense que c’est le meilleur budget que nous pouvons avoir, toutes choses égales par ailleurs. J’en suis convaincu…

Une question qui revient depuis la lecture du Budget, c’est le financement des mesures égrenées par le Premier ministre. Avons-nous les moyens ?

La dynamique de croissance crée des marges de manœuvre. Elle rapportera Rs 10 milliards supplémentaires aux caisses de l’État durant l’année fiscale 2019/20. Il serait bon de rappeler que la solidarity levy de 5 % sur les revenus imposables qui excèdent Rs 3,5 millions a rapporté suffisamment de revenus pour financer deux mesures phares, notamment, l’impôt négatif avec son complément sur le salaire minimum et la baisse de la taxation de 15 à 10 % pour la classe moyenne.

Le fait est que certains observateurs estiment qu’à ce rythme, l’économie locale se dirige tout droit dans le mur…

Soyons sérieux ! En 2019, le Pib de Maurice va franchir la barre des Rs 500 milliards pour la toute première fois. Les investissements seront de plus de Rs 100 milliards, le ratio Pib/investissement dépassera les 20 %, et le taux de chômage va continuer à baisser et devrait être à son plus bas niveau depuis 17 ans, à 6,9 %. Cette hausse ne provoquera pas de déséquilibres sur le marché des biens et services et l’inflation sera contenue à un niveau très bas, soit 1,5 %.

Vous faites abstraction de la dette ?

Selon les chiffres officiels, la dette publique sera de 61,8 % du Pib en juin 2020 et le FMI affirme que c’est soutenable.

Et pourtant, de nombreux experts tirent la sonnette d’alarme ?

Est-ce qu’ils veulent augmenter les taxes et ainsi casser la dynamique économique. Je leur demande d’aller lire l’article d’Olivier Blanchard, Professeur d’économie à Harvard, à la Massachusetts Institute of Technology et chef économiste du FMI entre 2008 et 2015, soit pendant la Grande crise.

Il nous explique de manière irréfutable qu’être obnubilé par la réduction de la dette publique est une erreur. Je vais le reprendre mot à mot : «Les taux d’intérêt bas, plus bas que le taux de croissance dans la plupart des pays, changent complètement la problématique. Le coût budgétaire de la dette devient quasiment nul. Supposez qu’un gouvernement émette de la dette et décide de ne pas augmenter les impôts. La dette augmentera au rythme du taux d’intérêt, mais la production augmentera au rythme du taux de croissance. Si le taux de croissance excède le taux d’intérêt, le rapport dette sur Pib diminuera au cours du temps, sans avoir jamais besoin d’augmenter les impôts. La dette a cependant un coût en termes de réduction du capital disponible pour les entreprises. Mais, là encore, les taux d’intérêt très bas indiquent que le rendement du capital, ajusté pour le risque, est faible, et donc que la réduction n’est pas très coûteuse. D’où ma conclusion : la dette est coûteuse, mais pas catastrophique. Être obnubilé par sa réduction, au prix de dépenses d’infrastructures réduites ou de chômage plus élevé, est une erreur. Dans le contexte actuel, où il y a un risque de récession et où la politique monétaire n’a quasiment plus de marge de manœuvre, il est essentiel d’être prêt à utiliser la politique budgétaire».

Ce sera probablement le grand débat économique des années qui viennent et je propose à ceux qui sont tourmentés par la dette d’y réfléchir.

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