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Sylvan Oxenham : «L’industrie locale a besoin d’une roupie stable»

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Sylvan Oxenham : «L’industrie locale a besoin d'une roupie stable» | business-magazine.mu

Comment se porte l’industrie locale et quels sont les défis qu’elle est appelée à relever dans un contexte où elle est en concurrence avec les produits importés ? Autant de questions abordées par le nouveau président de l’Association of Mauritian Manufacturers.

BUSINESSMAG. Vous êtes le nouveau président de l’Association of Mauritian Manufacturers. Quel héritage vos prédécesseurs vous lèguent-ils?

L’Association of Mauritian Manufacturers (AMM) d’aujour-d’hui n’est pas celle d’hier et ne sera pas celle de demain. D’une association sans moyens propres, mais dotée de 60 membres et bien ancrée dans le paysage industriel, elle a pris le pari en 2010, sous le leadership de Vincent d’Arifat, de se structurer et de revoir son réseau.

Tout cela pour servir une ambition commune : celle d’une industrie locale fière de ses acquis qui ne demande qu’à apporter sa contribution à la croissance économique malgré les vents contraires. Vincent D’Arifat a passé le relais après quatre ans de présidence à Gérard Boullé pour le lancement du projet Made in Moris en 2013.

En même temps, nous avons démarré un projet pilote sur l’efficacité énergétique qui a débouché sur le Plan national d’efficacité énergétique lancé par le Joint Economic Council en février 2015 avec l’appui du ministère des Utilités publiques, de l’Union européenne et de l’Agence française de Développement. Grâce à ces deux projets, l’association a pris une envergure nationale.

BUSINESSMAG. Quelles seront vos priorités en tant que président de l’AMM ?

D’abord et avant tout, la synergie sur les grands sujets de la stratégie industrielle doit être constante avec la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’île Maurice (CCIM) et la Mauritius Export Association (MEXA) pour mieux servir la communauté industrielle et promouvoir le dialogue avec les pouvoirs publics. Avec la CCIM, nous participons à des groupes de travail sur des thématiques qui touchent à la réglementation ou au cadre des affaires.

Avec la MEXA, nous voulons travailler sur les problématiques de formation, notamment à l’intention des jeunes. Par exemple, nous sommes partie prenante du développement du Dual training programme ou du Reskilling programme pour les jeunes diplômés.

Les priorités sont aussi la consolidation du Made in Moris, son ouverture vers les PME et de nouveaux secteurs comme l’industrie culturelle et l’agriculture. Nous proposerons à nos partenaires d’Enterprise Mauritius de faire évoluer le concept à l’international.

Par ailleurs, nous accompagnerons l’industrie vers les bonnes pratiques environnementales (énergie, eau, déchets) et l’innovation. Enfin, la coopération avec La Réunion est un axe stratégique de notre action.

Avec le JEC, nous sommes une des composantes de la plateforme privée Maurice-Réunion mise en place en avril 2015 pour structurer un partenariat en matière de développement durable et de stratégie africaine. Nous avons de belles choses à faire ensemble pour le déve-loppement industriel de la zone.

BUSINESSMAG.Bien qu’elle ait commencé à trouver ses repères, l’industrie manufacturière locale dépend dans une grande mesure de l’importation des matières premières. N’avons-nous pas besoin d’une réforme à ce niveau ?

La vraie question est de se demander comment dans une île sans matières premières pourrons-nous mieux faire en matière d’approvisionnement et d’autosuffisance, surtout dans l’agro-industrie ? C’est une question stratégique. Nous devons et pouvons progresser au niveau de la zone. Par exemple, la seule filière où nous atteignons l’autosuffisante est la volaille et l’œuf. C’est une success-story. Mais même pour cette filière, les céréales – maïs et soja – sont importées d’Amérique du Sud.

La marge de progrès sera donc de produire ces céréales plus près de nous, à Madagascar, qui a pour vocation de devenir le grenier de la zone. Par ailleurs, on peut développer tout un potentiel agricole à Maurice pour réduire notre dépendance de l’importation du lait, de la viande, du porc, des fruits et des légumes. Nous avons pris beaucoup de retard.Dans le secteur de la pêche, nous pourrons développer l’aquaculture. C’est l’avenir !

Pour les autres filières industrielles (textile, métaux précieux, chimie, papier, corps gras, industrie légère, métaux de la construction), nous ne pourrons nous émanciper des matières premières importées.

Cependant, transformer ces matières premières à Maurice a du sens car cela génère de la valeur ajoutée, de la croissance et des emplois. Et à chaque fois qu’un produit est transformé ici, même si la matière première est importée, nous disons que le pays en sort gagnant car cela contribue à réduire la balance des paiements qui est déficitaire.

BUSINESSMAG. Le secteur manufacturier est le premier pilier de l’économie mauricienne. Pourtant, les jeunes montrent peu d’intérêt à y faire carrière. Comment valoriser cette industrie ?

Le peu d’intérêt des jeunes pour l’industrie est une constante ici comme ailleurs. Nos jeunes sont de la génération de l’immatériel, de l’Internet et des services.

L’industrie paraît has been. Les préjugés et les idées reçues sont tenaces. Il faut montrer que l’industrie innove et maîtrise la technicité.

Le Made in Moris s’est engagé dans cette voie en travaillant sur la fierté de notre savoir et nos compétences. Il faut faire connaître les métiers de l’industrie aux étudiants et enseignants à tra-vers des journées de découvertes de l’industrie.

Les métiers ont changé. Être ouvrier demande un bon niveau de qualification pour faire fonctionner des machines à commande numérique.

Le système de formation est à revoir. Développer les formations industrielles en alternance (tel le Dual Training Programme) est une nécessité. Cela nécessite aussi un changement à l’intérieur de l’entreprise par la mise en place d’un encadrement du jeune (formation de tuteurs).

Enfin, il faut faire comprendre qu’une économie ne peut fonctionner qu’avec des comp-tables, financiers, avocats, managers, communicants ou HR. Nous avons également besoin d’ingénieurs, de chefs de projet, de directeurs de production, de responsables qualité-environnement. C’est aussi en incitant les grandes écoles scientifiques et techniques internationales à s’implanter à Maurice dans le cadre du Knowledge hub que l’on redonnera leurs lettres de noblesse à ces métiers de l’engineering.

Aujourd’hui, il nous faut des académiciens, mais aussi des gens innovants pour pouvoir créer des idées et produits novateurs. C’est ce qui fait la richesse d’un pays et le rend compétitif à l’export.

BUSINESSMAG. Le Budget 2015-16 a-t-il apporté un souffle novateur à l’industrie mauricienne ?

Le Budget 2015-2016 apporte une nouvelle vision volontariste et simplifiée pour libérer la croissance, en particulier pour les PME. Nous espérons un nouvel essor des PME.

Le Budget mise aussi beaucoup sur une relance par l’investissement privé etpublic grâce aux Smart cities et technopoles. Il faudra encore un peu de temps pour comprendre comment ces concepts vont être adaptés à notre contexte de petite économie insulaire et pour voir les premières réalisations. Cela prendra-t-il cinq ou dix ans ?En tout cas, une planification à long terme de l’aménagement de notre territoire est prioritaire. Nous n’avons pas le droit de le rater car nos ressources en terre sont rares.

Nous avons la chance d’avoir Gaëtan Siew à la tête du Construction Industry Development Board qui va modéliser ce concept pour Maurice. La question que nous nous posons est : comment les futures Smart cities Made in Moris intégreront-elles les populations environnantes, les dimensions de convivialité, de la nature, de la culture, de l’art et privilégieront les fournisseurs locaux ou régionaux pour faire du développement inclusif ? Et aussi comment ces Smart cities seront-elles gérées de manière intelligente avec les nouvelles technologies, la production d’énergies renouvelables et le recyclage des déchets, le captage de l’eau de pluie ?

Concernant l’industrie, nous retenons trois mesures cibles : l’extension de l’aide au fret pour l’exportation des marchandises sur le marché régional, la création d’un comité pour se pencher sur le cas des produits sensibles, les mesures d’Accelerated annual allowances pour inciter à la modernisation de l’outil productif. La modernisation du port est aussi très attendue. Sans un port compétitif, il n’y a point d’industrie compétitive ou fiable du point de vue des exportations. Enfin, l’État investira dans l’amélioration de la bande passante.

Tout ce qui va renforcer notre connectivité est essentiel : la troisième révolution industrielle passe d’abord par là.

BUSINESSMAG. Il a beaucoup été question ces temps-ci de la dépréciation de l’euro et de l’appréciation du dollar face à la roupie. Quel va être l’impact de ces fluctuations sur le secteur manufacturier local ?

Il va de soi que si le dollar monte, l’industriel mauricien produisant le même produit importé en dollar sera plus compétitif. Mais l’inverse se passera avec l’euro. Quant aux producteurs mauriciens important leurs matières premières en dollar, ils connaîtront une réduction de leur marge de profit. C’est une problématique à laquelle il faut faire attention. Au sein de l’AMM, nous pré-conisons une monnaie stable, afin de permettre à l’industriel de prévoir l’avenir surtout s’il a des commandes futures.

Dans certaines industries comme le tourisme, on a pu jouer sur le taux de change pour réaliser des profits. Environ 30 % des recettes de certains groupes hôteliers ne proviennent pas de la vente des chambres ou des services, mais de ce différentiel sur le taux de change. Ce qui n’est pas le cas de l’industrie locale qui vend en roupies. Ses recettes sont donc fixes. L’industrie locale n’a pas le moyen de spéculer. Il est donc dans notre intérêt que la monnaie locale reste stable.

BUSINESSMAG. Le label «Made in Moris» vise à regrouper sous un sceau unique les producteurs locaux. Comment la marque a-t-elle percé sur le plan local et à l’étranger ?

La marque a deux ans à présent. Le Made in Moris a démarré avec une trentaine d’entreprises et 125 marques. À ce jour, il représente maintenant 49 entreprises et 164 marques.

Le chemin parcouru a été rapide. Nous avons mené une recherche pour connaître la notoriété de la marque et les intentions d’achat du consommateur. L’étude démontre qu’un Mauricien sur deux connaît la marque. Ce qui est énorme en si peu de temps. Alors que huit Mauriciens sur dix sont convaincus de l’importance d’acheter mauricien.

Après deux ans d’existence, on est prêt à s’ouvrir à de nouvelles industries, notamment l’agriculture, le secteur du textile et à toutes les petites marques locales qui souffrent énormément d’un manque de visibilité. Nous allons chercher des PME structurées avec au moins un demi-million de chiffre d’affaires et qui peuvent devenir championnes du Made in Moris en renforçant les marques locales, on leur donne davantage de muscle pour l’exportation.

BUSINESSMAG. L’amélioration de la productivité passe invariablement par l’innovation technologique. Dans quelle mesure, les entreprises locales parviennent-elles à faire preuve d’innovation ?

Il est vrai que du point de vue de l’entreprise, l’innovation ne peut qu’apporter plus de profitabilité. Pour cela, il serait souhaitable de bénéficier de crédits d’impôts ou d’autres incitations afin d’encourager les entrepreneurs à investir dans la recherche. De même, il est important de continuer à proposer aux entrepreneurs des outils de financement avantageux pour leur permettre d’investir dans la haute technologie comme le Leasing Equipment Modernisation Scheme.

Nous devons en tout cas mieux faire en matière d’innovation. C’est un challenge difficile que nous pouvons néan-moins relever. Maurice n’est pas devenu un pays industrialisé par hasard. Il a bien fallu que nos ancêtres se débrouillent et innovent, dans une économie de rareté et isolée. Nous avons certainement en nous le gène de l’a�, de l’innovation et de l’adaptation. Permettez-moi une note personnelle pour l’exemple :quand mon arrière-grand-père a mis au point un procédé de vinification à base de fruits et de moûts de raisin pour produire de l’alcool et du vin, il a innové, certes en partant d’une recette traditionnelle, mais il l’a adaptée aux conditions tropicales qui sont les nôtres.

Il faut réveiller en nous les trésors enfouis de notre créativité pour répondre toujours mieux aux besoins du marché. C’est une question de culture d’entreprise. Il faut enfin créer une logique de cluster pour cesser de travailler en solo et que les professeurs, chercheurs, étudiants et docteurs se rapprochent des entreprises. Nous avons beaucoup à apprendre de La Réunion dans ce domaine.

BUSINESSMAG. Plusieurs entreprises se tournent vers l’Afrique pour leur expansion géographique, mais aussi parce qu’elles sont à la recherche d’une main-d’œuvre moins chère. Le «Made in Moris» pourrait-il être une victime corollaire de la délocalisation ?

L’implantation en Afrique est une nécessité. Ce n’est pas une question de délocaliser, mais de prendre de nouveaux marchés et réaliser de la croissance externe. 70 entreprises mauriciennes sont déjà transnationales. Cela ne doit pas être un motif de crainte, mais de fierté.

Par exemple, 55 % du chiffre d’affaires du groupe MCB dépend de ses implantations à l’étranger. Notre première ins-titution bancaire se positionne comme la banque des banques africaines en leur offrant des services de back-office qu’elle a elle-même développés pour ses propres besoins. C’est l’avenir !De même, nos groupes sucriers ont pris des positions en Afrique de l’Est, qui est stratégique. Plus nous serons forts sur notre marché régional, mieux le Made in Moris se portera.

Le Made in Moris a toujours su s’adapter aux changements, continuera à contribuer au progrès du pays et saura exporter son savoir-faire. Toutefois, il faudra changer le Made in Moris par le Made by Moris. En contrepartie, il faudrait qu’en tant que petit pays insulaire, on n’oublie pas la nécessité d’avoir un level playing field avec les produits importés.

BUSINESSMAG. L’AMM célèbre cette année ses vingt ans d’existence. Après le PNEE, avez-vous un projet en particulier pour marquer l’événement d’une pierre blanche ?

20 ans, ce sera l’occasion pour l’AMM de faire le point et de se donner de nouveaux objectifs eu égard aux grandes évolutions dans le secteur industriel et aux enjeux environnementaux.

Je voudrais revenir sur le Plan national d’efficacité énergétique (PNEE). La volonté de l’AMM est de voir l’efficacité énergétique s’inscrire dans le paysage économique à Maurice. L’efficacité énergétique est un exercice d’amélioration continue avec un impact environnemental fort, mais aussi un impact sur la compétitivité des entreprises. La subvention actuelle de l’Union européenne permet de faire vivre le PNEE jusqu’en 2017. Mais il ne s’agit là que d’une première étape. Tous nos efforts seraient vains si nous nous arrêtons à ce stade.

Nous discutons déjà avec d’autres partenaires de financement pour prolonger le PNEE jusqu’en 2020 avec l’accompagnement des entreprises vers le Système de Management de l’Énergie (SME ISO50001). Nous prenons le défi prospectif de dire que lorsque nous fêterons nos 25 ans, nos chefs d’entreprise considére-ront l’énergie comme une des priorités en matière de gestion d’entreprise.

Nous aurons ainsi atteint notre objectif ultime : faire émerger un marché de l’efficacité énergétique à Maurice et dans la zone océan Indien. Au sein de l’AMM, nous sommes cons-cients et convaincus que le gain en compétitivité d’une entreprise passe aujourd’hui par la performance environnementale.

Les objectifs de notre industrie locale pendant la décennie à venir sont : une industrie moins énergivore, plus respectueuse de ses rejets, triant et recyclant ses déchets, économisant les matières premières et les ressources naturelles.

Nous proposerons des approches pilotes et expérimentales sur des sujets concrets et précis (intégration des énergies renouvelables, caractérisation des déchets industriels, traitement des effluents industriels, écoconception des produits).

Il est temps d’aborder les nouvelles notions de la troisième révolution industrielle : l’industrie 3.0, l’industrie connectée, l’économie circulaire, entre autres. Grâce à notre insularité, nous avons l’opportunité d’être un véritable laboratoire de ces nouvelles notions.

BUSINESSMAG. À quoi se résume le dynamisme de l’industrie locale ?

Il est le résultat de notre débrouillardise et de notre capacité de nous adapter aux changements dans ce monde global. L’industrie locale doit un peu son salut à son sens de débrouillardise. Nous devons tout impor-ter, mais c’est là le challenge d’une certaine manière. C’est grâce à cela que nous nous sommes forgé notre savoir-faire et cette débrouillardise qui rayonnent sur l’ensemble de la région. Les entrepreneurs mauriciens ont du mérite car faire une industrie dans une île sans matières premières relève un peu de la folie.

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