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Vincent Degert: «Approfondir l’accord de partenariat économique entre l’union européenne et Maurice»

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Après quatre ans comme ambassadeur de l’union européenne auprès de la république de Maurice, Vincent Degert tire sa révérence. Il part officiellement à la retraite après 36 années en tant que fonctionnaire de la commission européenne et spécialiste des relations internationales. Business Magazine a rencontré le diplomate lundi dernier, soit à la veille de son départ. Dans cet entretien à coeur ouvert, il fait le point sur le partenariat économique et commercial entre l’union européenne et Maurice, ainsi que le pacte vert européen qui rebattra les cartes des relations commerciales entre l’europe des 27 et ses partenaires.

Après presque quatre années de mandat comme ambassadeur de l’Union européenne auprès de la République de Maurice, vous quittez vos fonctions et le pays demain. S’il y avait une chose que vous deviez retenir du pays, qu’est-ce que ce serait ?

Je dirais que c’est la beauté des écosystèmes de Maurice, que sont les écosystèmes terrestres et marins. J’ai découvert un univers absolument fantastique, agrémenté en plus par une population extrêmement ouverte, accueillante, avec beaucoup de charme. Et puis pour les Français, la gastronomie, c’est important. J’ai eu la chance d’avoir un excellent cuisinier pendant quatre années ; on a pu goûter à tous les plaisirs qu’offre Maurice sous tous ses aspects. On a passé beaucoup de bons moments, on a beaucoup travaillé, et ce, dans un cadre absolument somptueux.

Il y a quatre ans, vous avez confié à «Business Magazine» que Maurice était en tête de votre choix d’affectation après Haïti, et ce, sur le plan personnel, en raison de la capacité d’y faire de la plongée sous-marine. Est-ce que ce passe-temps a pu être entretenu ?

Je l’ai plus qu’entretenu. Je suis devenu un professionnel. J’ai eu de très bons professeurs ; ils sont devenus des amis. Il y a, par exemple, Hugues Vitry qui m’a fait découvrir une des populations de poissons que je n’avais jamais rencontrées dans le monde, et pourtant j’ai plongé dans beaucoup d’endroits à travers la planète. Il y a des espèces ici de rhinopias, de poissons fantômes, de poissons feuilles. Ce sont des espèces extrêmement rares. Sans compter de très gros mammifères marins, comme des baleines ou des cachalots, qui viennent régulièrement au large des côtes mauriciennes. Ce week-end, j’ai effectué ma dernière plongée au Coin de Mire sur une épave à 35 mètres, qui est magnifique, et puis sur un site qui s’appelle charpentier, et qui est absolument superbe.

Ayant régulièrement sondé nos fonds marins, et longé notre littoral, quel est votre constat sur la manière dont nos actifs côtiers et marins pourraient mieux être protégés et conservés ?

Beaucoup de choses restent à faire, puisque la pollution marine commence souvent sur terre, à travers l’utilisation de pesticides, par exemple. On a beaucoup travaillé sur cette question avec le ministère de l’Agriculture et les opérateurs. Du reste, l’importation de pesticides demeure à un niveau assez élevé. Je pense qu’il faut poursuivre avec l’adoption et l’application de techniques alternatives.

Il faut veiller à ne pas polluer avec le plastique. On a fait des progrès dans ce domaine avec l’adoption d’une loi sur le plastique à usage unique, qui s’avère être une étape importante. On a beaucoup travaillé avec toute la chaîne touristique sur la notion de soutenabilité avec le projet de Sustainable Island. Avec l’effet de la Covid-19, il y a eu une prise de conscience nette de l’ensemble des opérateurs qu’il fallait apporter des solutions concrètes sur le captage de l’eau, les énergies renouvelables, l’utilisation de produits locaux pour réduire l’empreinte carbone et mieux valoriser le patrimoine local.

Ensuite, il y a des actions à prendre au niveau des plages. Cela commence par l’éducation : mieux éduquer les enfants mais aussi les adultes sur de petites choses, comme ramener de préférence chez soi les déchets produits à l’issue d’une petite fête à la plage. Car même quand on les laisse dans les poubelles de la plage, ils sont accaparés par les oiseaux et les chiens errants.

Si on veut profiter du cadre merveilleux de Maurice, il faut un peu de respect pour la plage et l’environnement marin. Je suis très content de voir des campagnes télévisées sur la problématique du recyclage, sur le tri sélectif, etc. Une feuille de route a été adoptée par le gouvernement récemment sur l’économie circulaire. Ce sont de grands défis que Maurice va devoir relever. C’est le même défi que l’on doit relever en France. Cela fait 40 ans que l’on s’adonne au tri sélectif mais c’est encore parfois compliqué de s’y conformer et de convaincre. L’ensemble de l’écosystème d’acteurs concernés par cette transition, que ce soit la société civile, le secteur privé, le secteur public et le secteur éducatif doivent travailler de concert pour mener à bien cet objectif.

Ensuite, il faut travailler sur la question de la recherche. L’impact du changement climatique sur la santé des coraux est un défi planétaire dont Maurice est malheureusement victime, si je puis dire, de ce point de vue. Il faut donc trouver des moyens de réponses pour leur survie à travers la replantation ; c’est quelque chose d’assez difficile et compliqué à mettre en oeuvre. Il faut aussi préserver les herbiers marins et les mangroves.

Nous avons avec Reef Conservation des actions dans ce sens pour évaluer les herbiers marins, car les herbiers, c’est la captation de carbone, de la nourriture pour les tortues, sans compter ses multiples autres fonctions. Les mangroves, c’est aussi de la captation de carbone, une zone de reproduction pour beaucoup d’espèces marines, y compris les requins qu’il faut aussi préserver. Je sais que les requins ont mauvaise image, mais ils sont importants pour la chaîne alimentaire.

Je suis heureux d’avoir pu avec mon équipe ici soutenir ces projets dans différents domaines, et on va continuer à travailler avec nos amis sur ces questions.

Pour l’anecdote, vous êtes arrivé à Maurice le même jour que le pape François, en septembre 2019 et, qui plus est, en pleine campagne électorale, donc peude temps avant l’éclatement de la pandémie. Quelle est votre lecture comparative de la santé socio-économique du pays préet post-Covid-19 ?

La pandémie a mis en exergue la fragilité de toute l’économie mondiale. Quand elle s’est arrêtée, toutes les économies du monde ont souffert. L’économie mauricienne a perdu dans ce contexte 15 % de son PIB. Cela a été un choc extrême, avec 14 000 chambres d’hôtels qui sont restées vides pendant plusieurs mois. Cette dépendance sur le tourisme a soulevé certaines questions. Aujourd’hui, on constate que le tourisme est le moteur du redémarrage économique, et c’est tant mieux !Mais il faut peut-être penser à un tourisme plus vert, plus respectueux de l’environnement, et déculpabiliser le touriste qui fait 9 000 kilomètres avec une empreinte carbone forte pour venir à Maurice. Il faut trouver des éléments de réponse à cela.

Le secteur de la pêche et de la transformation, qui représente 15% à 20 % des exportations mauriciennes, grâce à nos accords de pêche d’un côté et nos accords commerciaux de l’autre, a pu bien fonctionner, même durant la crise de la Covid-19. La filière de la transformation des produits de la pêche représente 6 000 emplois directs, et presque autant en indirect, faisant du secteur de la pêche et de la transformation une activité essentielle pour l’économie mauricienne.

Quant au secteur des services financiers, il a été impacté pendant cette période non pas par la Covid-19 mais pour non-conformité aux dispositions du Groupe d’action financière, qui a amené à mettre Maurice sur ce qu’on appelle à proprement parler la liste noire. Cela a évidemment eu un impact et nous a obligés à prendre des mesures avec le gouvernement pour essayer de remédier à ce problème de liste.

Comme on le voit, il y a un nombre restreint de secteurs qui représentent chacun un très fort relais des activités économiques, d’où la nécessité d’adapter, de faire des progrès sur, chacun de ces secteurs et aussi de réfléchir à d’autres secteurs. Aujourd’hui, au niveau de l’agriculture, le secteur sucrier repart bien puisqu’il y a une baisse de production sur le marché européen, ce qui est positif pour le pays. Mais cela n’empêche pas de réfléchir à des alternatives.

On sait également que l’Union accompagne Maurice dans le développement de nouveaux pôles de croissance, comme les biotechnologies. Dites-nous en plus ?

Avec le gouvernement, nous avons travaillé sur deux secteurs potentiels : l’un qui concerne le secteur pharmaceutique et biomédical. Il est certain que le pays a des potentialités dans ce secteur. C’est en tout cas ce que l’étude a conclu. Par contre, il y a pas mal d’ajustements qui doivent être faits à la fois sur le plan légal réglementaire, du contrôle qualité. De plus, des investisseurs sont prêts à se mobiliser. Maurice a la chance déjà d’avoir un embryon d’entreprises dynamiques dans ce secteur ; il faudrait dynamiser un peu plus ce potentiel existant.

Pendant la pandémie, 99% des vaccins à destination de l’Afrique avaient été fabriqués en dehors du continent. L’Union européenne a pris comme initiative d’essayer de relocaliser ou de localiser des infrastructures médicales en Afrique. J’espère que Maurice pourra profiter de cet effort qui est en cours. Il y a d’ailleurs, le mois prochain, une présentation des recommandations de cette étude qui sera organisée par l’Economic Development Board qui, évidemment, a collaboré à ce processus.

L’autre domaine potentiel que nous explorons avec les autorités mauriciennes, c’est l’industrie du luxe, car l’industrie du luxe ne connaît pas la crise. Il y a peut-être des opportunités à saisir à trois niveaux : à la fois sur le Made in Moris de luxe. Je pense à des produits phares, notamment dans la joaillerie où il existe un savoir-faire ancien, aussi dans le rhum qui a rapporté un certain nombre de succès aux concours internationaux. Deuxièmement, l’on pourrait travailler en sous-traitance des grandes marques de Made in France et Made in Italy. Dans cette filière aussi, il y a des liens existants par le passé. L’industrie du luxe pourrait aussi être explorée en positionnant Maurice comme hub de redistribution à destination notamment du continent africain, en s’appuyant notamment sur les liens commerciaux qu’entretient Maurice avec la zone Afrique. On a identifié une trentaine d’entreprises à des niveaux d’opportunités de développement différents qui pourront bénéficier d’un accès à ces marchés du luxe.

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