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Interview Rencontre

Clensy Appavoo: « Une plate-forme commune privée et gouvernement essentielle pour l’économie »

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Clensy Appavoo: « Une plate-forme commune privée et gouvernement essentielle pour l’économie » | business-magazine.mu

L’économie mauricienne est arrivée à un stade où elle ne peut plus créer de la valeur. Pour rester au sommet, il faut relancer la plate-forme de collaboration entre le secteur privé et le gouvernement, insiste Clensy Appavoo. Il revient, par ailleurs, sur le cheminement d’Appavoo Group ces vingt-cinq dernières années.

BUSINESSMAG. Comment s’est fait le cheminement d’Appavoo Group ces vingt-cinq dernières années ?

Le cabinet existe depuis le 11 janvier 1989. A l’époque, c’était un petit cabinet de comptabilité qui jouxtait les quincailleries à la rue Royale, Port-Louis. Notre activité a démarré avec deux à trois personnes. J’étais l’un des fondateurs. Rapidement, la société a commencé à prendre de l’envergure et s’est métamorphosée en groupe pour devenir Appavoo Group. Nous avons mis en place des Strategic Business Units, à savoir des subsidiaires qui se sont spécialisées dans des métiers d’organisation dans différents secteurs.

Ainsi, notre métier de base était la comptabilité, l’audit et la fiscalité. Nous proposons un service offshore. Nous avons également une école de formation qui se spécialise dans le Corporate Training et est destinée aux entreprises beaucoup plus qu’aux étudiants. Nous avons un département de consulting qui travaille à plusieurs échelons, que ce soit au niveau financier ou sur le plan marketing. Nous prenons des missions importantes à l’échelle internationale auprès des organismes de financement, à l’instar de la Banque mondiale, de l’Union européenne et du FIDA, une agence des Nations unies. Ce qui nous a permis de travailler à Madagascar et en Afrique du Sud. Nous nous penchons aussi sur un projet de grande envergure aux Seychelles.

Autre métier que nous avons développé : le Corporate Recoveryand Insolvency. Nous avons ainsi apporté des solutions aux entreprises en matière de Business Re-engineering. Nous revoyons la structure de l’entreprise afin de la rendre plus productive et compétitive. Pour les entreprises qui ne peuvent continuer, nous proposons le service Insolvency Practices qu’on a développé il y a une dizaine d’années. Ce service a été renforcé avec l’Insolvency Act de 2009.

Aujourd’hui, Appavoo Group compte une centaine de personnes. Nous avons cinq à six directeurs qui chapeautent les différentes missions de différents métiers qui ont été mis en place. Notre philosophie est de conquérir. Autrement dit, nous ai-dons nos clients à aller au-delà, de faire du ‘extra-miles’ afin d’adopter les nouvelles expertises pour être plus compétitifs et plus productifs à l’échelle de l’entreprise.

BUSINESSMAG. Quelles sont les stratégies que Maurice peut adopter pour relancer l’économie ?

Pour le tourisme, le gouvernement a dévoilé son ambition de faire venir plus de Chinois à Maurice. Il est vrai que les Chinois sont aujourd’hui les nouveaux riches ; ils jouissent de plus de possibilité de voyager. Il est impératif que le produit suive. Cela prendra probablement quatre à cinq ans avant que nos structures soient en mesure d’accueillir ces nouveaux tou-ristes. Mais il faut commencer dès maintenant. En sus de la Chine, il faut ouvrir l’espace aérien vers la Russie et l’Afrique. Tout comme Singapour est connu à Maurice comme une Shopping Destination, nous aurions pu nous imposer comme une destination du shopping pour l’Afrique. L’île regorge de centres commerciaux, mais il n’y a rien pour attirer les étrangers vers ceux-ci. Ils manquent des maillons dans la chaîne. Ce sont des pistes que Maurice aurait pu exploiter.

Il y a une certitude que l’île est arrivée à un climax, à un point où nous ne pouvons plus créer de la valeur. Maurice a atteint le sommet et c’est dangereux car le challenge est de maintenir cette position au sommet et de ne pas chuter. Par exemple, sur le plan social, on assiste déjà à de graves retombées : le taux de criminalité n’a pas cessé de grimper et l’insécurité est à son pic dans le contexte mauricien. Et cela nous interpelle tous, que ce soit en tant que citoyens, représentants du secteur privé ou du gouvernement. Nous nous rendons compte que nous ne pouvons plus créer de la valeur. La preuve : 42 % de nos jeunes sont au chômage. C’est inquiétant car, d’un côté, il y a des développements et, de l’autre, nous sommes en perte de vitesse. Bref, Maurice doit absolument maintenir sa position au sommet car notre descente sera dramatique dans le sens que nous serons en butte aux fléaux sociaux.

Cependant, l’espoir n’est pas perdu. Lors de la présentation du Budget 2014, le ministre des Finances a parlé de la création de l’Ocean Economy. J’espère que ce secteur aura une dimension importante pour le secteur de la pêche. Dans le passé, il y a toujours eu une synergie entre le secteur privé et le gouvernement. C’est la seule façon de relancer l’économie. Il faut mettre sur pied une plate-forme de travail où il y a vraiment des échanges d’idées entre le secteur privé et le gouvernement. Cela, dans le but de faire évoluer notre économie et d’étendre notre espace économique.

Dans les années 2000, il y avait cette plate-forme commune. C’est ce qu’il faut aujourd’hui refaire afin de faire face aux obstacles à la croissance. Il faut créer cet élément de confiance où le secteur privé collaborera avec le gouvernement.

BUSINESSMAG. Dans quelle mesure l’investissement en Afrique peut-il aider à la relance de notre économie ?

Toutes les attentions sont braquées vers l’Afrique. Tout le monde dit qu’il est temps d’aller investir en Afrique. Mais existe-t-il des mesures concrètes pour dire comment aller en Afrique ? Faire du merchandising aujourd’hui serait un moyen de pénétrer le marché africain. Il faut déterminer qui sont ces Africains de différents pays avec lesquels nous pouvons collaborer et comprendre leurs besoins. Cela nous aurait permis déjà de faire du sourcing of goods, sourcing of services, de faire du merchandising de l’Afrique. Les Africains sont désormais dans le Higher Income Group. Il y a un besoin en termes de consommation. C’est là que Maurice aurait dû se positionner.

Deuxièmement, je pense que c’est une bonne politique de pouvoir développer le service offshore pour l’investissement en Afrique. Aujourd’hui, entre 30 % et 60 % des revenus bancaires proviennent de l’extérieur de Maurice. C’est une bonne chose que les banques ont franchi le pas. Et peut-être, demain, ce sera au tour des assurances d’aller à la conquête du continent africain. Dans son ensemble, le secteur financier a besoin de s’exporter. Aujourd’hui, le gouvernement, main dans la main avec le secteur privé, doit aller conquérir l’Afrique. Avec le concours des banques, il faut développer des stratégies afin que nous soyons présents en Afrique.

Je pense aussi que les Afri-cains vont investir chez eux. Si un Mauricien veut faire du business en Afrique, il doit aller chercher un partenaire africain. La bonne stratégie de développement vers ce continent est de pouvoir externaliser les Mauriciens en Afrique tout en ayant des Africains comme partenaires en affaires.

BUSINESSMAG. Maurice a-t-elle le potentiel de s’imposer comme un « Regional Hub » pour l’Afrique ?

Absolument et cela, dans di-vers domaines. Par exemple, je citerai le shopping, le tourisme médical – il y a un grand nombre d’Africains qui se font soigner à Maurice – et l’éducation tertiaire. Ce sont des éléments qu’on peut vendre en Afrique. Comme je l’ai dit, il faut faire du merchandising. C’est-à-dire aller chercher ce que l’Africain a besoin même si on ne le produit pas. C’est à nous, Mauriciens, d’aller chercher tout cela en Inde et dans d’autres pays, et de l’apporter aux Africains.

BUSINESSMAG. Quels sont les concurrents de Maurice dans cette partie de la région ?

Madagascar a un problème de politique. Mais les Seychelles constituent un sérieux concurrent dans l’exploitation des produits pétroliers, le tourisme et la pêche. Ils font du Pelagic Fishing. Ce que nous aurions pu également faire. Aujourd’hui, Maurice doit prendre les Seychelles comme exemple. Notre cabinet prépare un projet pour le FIDA afin de permettre aux fermiers et pêcheurs des Seychelles d’intégrer le Value Change pour l’hôtellerie. C’est un créneau dans lequel  Maurice aurait pu se lancer. Les Seychelles sont un petit pays, mais nous avons beaucoup à apprendre d’eux.

Nous avons, par ailleurs, raté le coche avec notre port. Biera, le port de Mozambique, s’imposera dans les années à venir comme le port de l’Afrique. Nous ratons trop d’opportunités et aujourd’hui, les Maldives et les Seychelles ont pris le dessus sur nous, avec une politique qui n’est pas basée sur le tourisme, mais qui est venue associer l’ouverture du ciel et l’intégration des gens dans l’économie. Notre problème est que nous ne voyons pas grand.

BUSINESSMAG. Comment voyez-vous évoluer l’économie mauricienne alors que tout semble indiquer que nous sommes dans une période de fin de crise ?

Les petites économies en général souffrent en fin de crise. Au début des crises, ce sont les grandes économies qui sont les premières à souffrir car elles évoluent dans les grands marchés. Les petites économies comme Maurice dépendent de ces grandes économies. C’est logique qu’en fin de crise, nous souffrions. Par exemple, à Maurice, on a vu notre taux de croissance descendre. Pour être plus précis, depuis 2009, il y a une vraie descente. C’est la raison pour laquelle j’ai souligné que Maurice a atteint le climax quand il s’agit de la création de valeur. Je pense que si nous ne faisons pas les choses assez rapidement, la recrudescence sociale sera un obstacle important au développement du pays. Il n’existe plus de gros projets. On constate que le secteur privé est en panne depuis quelques années. Du côté du gouvernement, en sus du réseau routier, il y a une baisse conséquente dans l’investissement. 2014 et 2015 vont être deux années assez difficiles.

BUSINESSMAG. Justement, quel regard jetez-vous sur la baisse de l’investissement privé ?

Cette baisse dure depuis quatre à cinq ans. Il y a un manque d’idées et de confiance dans le pays. La corruption et la lenteur administrative, notamment, sont des éléments qui font qu’il y a une panne d’idées. Il n’y a pas cette convergence qui fait qu’on viendra dire : travaillons ensemble pour avancer. Chacun reste dans son coin et la situation ne s’améliore guère. Après le réseau routier, il n’y a pas eu de gros investissements dans le pays. Ce ne sont pas les quelques centres commerciaux qui ont vu le jour depuis fin 2011 qui feront la pérennité d’une économie. Il nous faut trouver d’autres méthodes de travail, s’orienter vers d’autres industries, à l’instar de la pêche et de l’Ocean Economy qui recèlent des potentiels importants. Mais là aussi, il faut qu’on aille de l’avant avec le projet, apporte des idées et travaille ensemble. Le tourisme et l’offshore ont un bel avenir. C’est dans le secteur des services que nous aurons plus de succès.

BUSINESSMAG. Vous évoquiez plus tôt le taux élevé du chômage chez les jeunes. Comment y remédier ?

Le chômage est devenu un fléau. 42 % des jeunes diplômés n’arrivent pas à se lancer sur le marché du travail. À la source de ce problème, il y a le système éducatif. Il est grand temps de changer notre système d’éducation. Il nous faut un système d’éducation adapté aux besoins du marché du travail. C’est là où réside le véritable mismatch. On parle de formation, mais elle n’est pas la solution au chômage. La formation est malheureusement une solution temporaire, voire complémentaire. Il y a des solutions qui font surface, dont le 9-Year Schooling. Mais, dans ce débat, il est impératif d’intégrer les personnes qui sont dans les activités économiques pour déterminer quelles sont les connaissances qui doivent être acquises afin de répondre au besoin de l’industrie. Il faut changer le système d’éducation pour la pérennité.

BUSINESSMAG. Quels sont ces secteurs à suivre en 2014 ?

Je pense que le tourisme va reprendre de surcroît avec cette ouverture vers la Russie. En plus, les Chinois viennent de plus en plus à Maurice. Cette ouverture du ciel attirera plus de produits hôteliers qui devront apprendre à s’adapter aux besoins du secteur touristique à Maurice. Si nous allons dans cette direction, dans cinq ans, nous serons au même niveau que les Maldives qui ont un nouveau profil de touristes.

Le service financier est un autre secteur sur lequel il faudra miser. Ce que le gouvernement a fait pour le secteur bancaire, nous pourrions en faire autant pour les autres secteurs, que ce soit les assurances, la bourse et l’offshore. Nous avons des services à vendre, mais il faut qu’il y ait les efforts concertés entre le secteur privé et le gouvernement.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il des Tic qui s’imposent de plus en plus comme l’un des secteurs clés de notre économie ?

Je pense que ce secteur a réussi haut la main sa première phase de développement. Mais, pour la deuxième phase, il faut aller vers les valeurs ajoutées. Si nous continuons à faire des centres d’appels à Maurice, nous allons rapidement être rattrapés par d’autres centres d’appels qui sont beaucoup plus proches du Vieux Continent ou peut-être qui possèdent une meilleure maîtrise des langues étrangères que nous. Les centres d’appels créent du volume. Ce n’est pas avec du volume que nous allons prospérer, mais avec de la valeur ajoutée. Il faut avoir une vision plus élargie, aller au-delà de la création des centres d’appels. Ces valeurs ajoutées permettront de développer des infrastructures dans le domaine de la télécommunication.

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