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Devesh Dukhira : «Le sucre s’adapte aux nouveaux aléas du marché»

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Devesh Dukhira : «Le sucre s’adapte aux nouveaux aléas du marché» | business-magazine.mu

Le nouveau régime sucrier en Europe a impacté lourdement sur la performance de l’industrie sucrière, ces dernières années. Le marché sera davantage libéralisé en 2017 suivant l’abolition des quotas sucriers sur la production betteravière. Autant de questions abordées par le CEO du Syndicat des sucres qui demeure confiant en l’avenir.

BUSINESSMAG. Quelles sont les grandes dynamiques qui influencent la performance de l’industrie sucrière à l’échelle mondiale ?

2014-15 a été la cinquième année consécutive où il y a eu un surplus de production de sucre à l’échelle globale par rapport à la consommation. L’accumulation du stock, de l’ordre de 24 millions de tonnes sur cette période, soit 14% de la consommation annuelle, qui est actuellement estimée à 170 millions de tonnes, a influencé le prix du sucre qui n’a cessé de baisser depuis 2011. La situation a été exacerbée par la dépréciation pendant l’année du real au Brésil, pays qui fournit 45 % des importations mondiales. Le prix du sucre a ainsi atteint en août 2015 le point le plus bas de ces six dernières années. Soit un niveau nettement en dessous du coût de production des principaux fournisseurs, dont Maurice.

La nouvelle année devrait marquer un tournant important avec un cycle déficitaire qui s’annonce. Selon les analyses de l’International Sugar Organisation (ISO), la campagne 2015-16 serait déficitaire d’environ 3,5 millions de tonnes de sucre. Ce déficit pourrait se creuser davantage à 7 millions de tonnes en 2016-17. Un déficit qui équivaut à une amélioration de prix sauf qu’avec l’excédent accumulé pendant les dernières années, il n’y a pas de pénurie de sucre. C’est la raison pour laquelle il y a toujours une incertitude concernant le niveau auquel le prix pourrait grimper : le cours du sucre roux sur le marché de New York est monté jusqu’à US 15,85 cents par livre (environ US$ 350 la tonne) le 4 décembre 2015, comparé à US$ 10,13 cents par livre (environ US$ 225 la tonne) atteint trois mois plus tôt. Le prix semble depuis osciller autour de US$ 15 cents par livre. Ce nouveau niveau de prix devrait améliorer les revenus des producteurs sucriers, mais la plupart des contrats de vente pour la nouvelle campagne, qui a démarré en juin 2015, avaient déjà été finalisés avant cette augmentation. Il est dommage qu’entre-temps, la production sucrière de la récolte 2015 à Maurice ait subi une baisse d’environ 10 % en raison de conditions climatiques défavorables. Cela a réduit la marge de manœuvre que le Syndicat aurait eu en prenant avantage des prix plus élevés.

BUSINESSMAG. L’industrie sucrière locale opère dans un marché libéralisé depuis la fin du Protocole sucre. Comment cela a-t-il impacté sur sa performance ?

Le principal défi de l’industrie sucrière est d’assurer sa compétitivité et sa profitabilité dans un contexte de libre marché. Il faut se rappeler qu’avec l’abolition du Protocole sucre en Europe en 2009, le prix garanti pour l’achat du sucre mauricien a disparu. Comme le commerce sucrier se redessine avec la libéralisation des marchés et de nouveaux accords de libre-échange, notre sucre subit davantage l’érosion de ses préférences commerciales, et il est forcé de s’adapter aux nouveaux aléas du marché. Sans économie d’échelle, il doit se distinguer de par son rapport qualité-prix, voire des produits à valeur ajoutée, une flexibilité au niveau du service aux clients, et également de nouveaux concepts de marketing tels que le commerce équitable et l’aspect de développement durable.

Aujourd’hui, la production sucrière de Maurice n’est que d’environ 400 000 tonnes, soit 0,2% de la consommation globale : le secteur peut donc se permettre la flexibilité de viser les marchés de niche, là où il pourrait faire valoir ses atouts. Il faut cependant se rendre compte que plusieurs de nos concurrents pourraient avoir les mêmes visées : nous sommes déjà confrontés à une concurrence rude, parfois déloyale, sur le marché des sucres spéciaux qui attire chaque année de nouveaux producteurs. Il est primordial que l’industrie reste unie sur le marché d’exportation, afin de pouvoir préserver l’avantage concurrentiel de nos sucres.

Par ailleurs, comme pour toute autre commodité, le marché sucrier restera volatil. Alors que la consommation globale augmente d’environ 2 % annuellement, toute hausse de production reste sujette aux investissements encourus qui dépendent, à leur tour, des conditions du marché et des conditions climatiques. L’industrie mauricienne doit pouvoir s’adapter à cette volatilité. Il y aura de bonnes et de mauvaises années. Il nous faudra nous adapter en conséquence.

BUSINESSMAG. Dans quelle mesure l’industrie locale devra-t-elle se réadapter pour faire face au changement climatique qui représente un réel défi sur le rendement de la canne ?

Comme pour tout produit agricole, la canne à sucre est très vulnérable aux conditions climatiques. À Maurice, la production peut être affectée par un manque d’eau pendant la croissance de la canne ou par un excédent de pluie ou un manque d’ensoleillement pendant sa maturation. Il est certain que le réchauffement planétaire va bouleverser le climat, affectant ainsi la production cannière ou betteravière, donc la disponibilité de sucre, avec un impact direct sur les prix de vente. Il nous faudra anticiper ces changements en produisant de nouvelles variétés de canne mieux adaptées à ce nouvel environnement et revoir certaines pratiques culturales.

BUSINESSMAG. Avec l’abolition des quotas sucriers européens en octobre 2017, les betteraviers pourront augmenter leur production. Cette autre phase de libéralisation du marché devrait faire chuter les prix. Comment le Syndicat des sucres se prépare-t-il face à cette importante échéance ?

Avec une concurrence qui ne cesse d’accroître et une libéralisation accélérée des marchés d’exportation, le Syndicat doit rester avant-gardiste quant à ses stratégies commerciales. Déjà, avec l’annonce en 2013 de la libéralisation des quotas de production betteravière en Europe à partir d’octobre 2017, il s’est préparé à faire face à cette concurrence accrue sur ce marché : de nouveaux accords commerciaux ont été finalisés, mettant en exergue le rapport qualité-prix et la différenciation du sucre mauricien. Par ailleurs, la diversification des marchés d’exportation se poursuit.

Je souhaite rappeler que les consultants de LMC/BDO ont recommandé, dans le cadre de l’étude commanditée par le gouvernement intitulé The Economic, Social and Environmental Impact on Mauritius of Abolition of Internal Quotas of Sugar in the EU market, que les producteurs sucriers revoient le rôle et le fonctionnement du Syndicat à partir de 2019.

Les producteurs sont actuellement en mode réflexion, évaluant les mérites de conserver cette institution clef de l’industrie sucrière. Le Syndicat n’est pas resté à la traîne lors des récents développements. Il continuera à repenser son fonctionnement, afin de pouvoir optimiser les revenus dérivés de la commercialisation de tous les sucres qui lui seront confiés dans l’intérêt de ses membres.

BUSINESSMAG. Quelles sont les actions initiées par le Syndicat des sucres pour assurer la viabilité de l’industrie sucrière?

Une révision de la stratégie commerciale du Syndicat des sucres a été enclenchée suite au rapport Multi-Annual Adaptation Strategy (2006 - 2015). En prévision de l’abolition du Protocole sucre et de la baisse de ses revenus à l’exportation, l’industrie sucrière est passée d’un statut de fournisseur principalement de sucre roux brut pour raffinage en Europe à celui de fournisseur de sucre exclusivement pour la consommation directe. La production et la vente de sucres spéciaux ont ainsi presque doublé, dépassant les 100 000 tonnes annuellement, et la balance de la production est désormais transformée en sucre raffiné, tout en optimisant la capacité de raffinage avec l’incorporation du sucre roux importé dans le respect des règles d’origine prévues sous les accords préférentiels dont jouit Maurice. Cela a été rendu possible grâce aux investissements encourus en 2009-10 pour le raffinage de sucre roux, à Alteo et Omnicane, et une consolidation des capacités de production de sucres spéciaux à Terra et à Alteo.

La structure actuelle du Syndicat assure déjà un partage des bénéfices découlant des ventes de ces sucres à valeur ajoutée aux planteurs et autres producteurs n’étant pas directement impliqués dans la production de ces sucres concernés. En sus de cela, et hormis les paiements sur la bagasse, la mélasse et ceux découlant des distillateurs d’alcool de canne, comme défini par le gouvernement, le Syndicat a développé la vente de sucre sous le label commerce équitable (Fair trade). Les planteurs regroupés en coopératives ont ainsi la possibilité d’utiliser la prime de US$ 60 la tonne payée pour le sucre vendu sous le label Fair trade pour améliorer leurs pratiques culturales et leurs conditions de travail, voire complémenter leurs recettes.

À travers un accompagnement des planteurs et des coopératives concernées, le Syndicat a pu augmenter la fourniture de sucre sous ce label d’environ 6 000 tonnes en 2009 à un peu moins de 38 000 tonnes en 2015. Au total, 6 000 planteurs regroupés en une quarantaine de coopératives certifiées recevront une prime additionnelle de plus de US$ 2 millions pour la campagne 2015, sachant que la totalité de la production de sucre Fair trade de Maurice est vendue comme telle. Le Syndicat est également en passe de conclure un accord novateur avec un important chocolatier international, ce qui bénéficiera financièrement et techniquement à un millier de petits planteurs regroupés au sein de 25 coopératives autres que celles jouissant du label Fair trade.

Par ailleurs, le Syndicat procède depuis une quinzaine d’années à la gestion des devises reçues de ses ventes afin d’optimiser les revenus en roupies. Étant l’unique comptoir d’exportation de sucre, il gère environ 200 millions d’euros annuellement. Ce qui lui permet d’utiliser différents outils de hedging afin de protéger le paiement du prix ex-Syndicat. Pour la récolte 2014, les membres du Syndicat ont ainsi bénéficié d’un gain additionnel de Rs 1 855 la tonne de sucre.

BUSINESSMAG. Comment voyez-vous l’avenir du secteur sucrier qui devra opérer sans filet de protection ?

Je n’envisage pas une île Maurice sans canne à sucre. Le secteur a résisté à de nombreuses ondes de choc. Ils sont nombreux à avoir prédit sa mort au cours des dernières décennies. La canne est non seulement une source de revenus pour les planteurs, mais aussi pour ceux offrant des services à ce secteur, tels les transporteurs, fabricants d’engrais, raffineries, distilleries, lignes maritimes, compagnies mauricien sur les marchés d’exportation. Les acheteurs ont toujours une préférence pour cette origine, quitte à payer une prime additionnelle.

Le Syndicat des sucres est le bras commercial des producteurs sucriers de Maurice et existe depuis bientôt un siècle. Il est ainsi une des véritables pierres angulaires de l’industrie sucrière du pays depuis sa création et continue à jouer un rôle clé dans son fonctionnement. L’intérêt pour nos membres d’avoir choisi cette structure réside dans une économie d’échelle au niveau de la gestion et des coûts opérationnels et financiers, une commercialisation ordonnée afin d’obtenir un meilleur prix de vente, une structure transparente afin d’assurer un partage équitable des revenus à toutes les catégories de producteurs et, non des moindres, un comptoir unique pour assurer la protection des revenus des producteurs. Cela dit, le Syndicat ne s’est jamais endormi sur ses lauriers et il est permis de penser qu’elle n’a pas fini de se réinventer.

BUSINESSMAG. Les petits planteurs ont l’impression que le gouvernement a délaissé l’industrie sucrière. En témoigne son exclusion dans la stratégie nationale pour le secteur d’exportation. Quel est votre sentiment sur la question ?

L’exclusion du secteur sucrier de la National Export Strategy a certainement été une fâcheuse omission qui relève sans doute d’une confusion à certains niveaux. Je comprends que cela ait été rectifié partiellement. Le Syndicat participe régulièrement avec le soutien d’Enterprise Mauritius à des salons agro-alimentaires à l’étranger. Étant le produit national du pays, le sucre attire nombre d’acheteurs sur le pavillon mauricien. Ce qui permet à d’autres exposants d’en tirer bénéfice. Par ailleurs, n’oublions pas que le secteur cannier a bénéficié d’un traitement spécifique avec l’étude entreprise par LMC/BDO et des recommandations qui vont dans le sens d’une amélioration de sa compétitivité internationale.

BUSINESSMAG. Le Syndicat des sucres a signé des accords avec Cristalco et British Sugar qui prennent le relais de Südzucker pour la commercialisation du sucre sur le marché européen. Comment ces accords sont-ils profitables au secteur ?

Les nouveaux accords commerciaux signés l’année dernière avec Cristal Co et British Sugar sont d’une durée de quatre ans, soit jusqu’en 2019. Ces contrats ne représentent que la moitié des exportations annuelles de sucre, la balance étant expédiée sous des contrats individuels, qui sont négociés chaque année. L’objectif du Syndicat est de se rapprocher de l’industriel utilisateur de sucre ou des consommateurs, réduisant ainsi toute marge additionnelle prélevée le long de la chaîne d’approvisionnement afin de pouvoir ainsi augmenter les revenus des producteurs.

BUSINESSMAG. Le Syndicat des Sucres envisage cette année d’aller plus loin dans sa stratégie de diversification des marchés à l’exportation…

Avec l’érosion des préférences commerciales et une volatilité accrue du marché sucrier, le Syndicat est appelé à diversifier davantage ses marchés d’exportation. Les sucres spéciaux sont déjà acheminés vers 45 différents pays, alors que le sucre blanc, jusqu’à tout récemment vendu exclusivement en Europe, est désormais également fourni dans la région, y compris des pays de l’Afrique australe et orientale. Nous développons continuellement de nouveaux marchés et, avec le soutien de nos acheteurs, qui sont plus d’une centaine, nous adaptons nos produits aux différents segments des marchés existants.

BUSINESSMAG. Dans un entretien à Business Magazine, vous souligniez que Maurice a tout à gagner en exportant vers la Chine, un marché à fort potentiel. Comment progresse-t-on sur ce dossier ?

La Chine est, en effet, un marché porteur pour les sucres spéciaux de par sa taille et l’accroissement du pouvoir d’achat de ses habitants. Comme tout producteur de sucre, la Chine protège cependant son marché domestique et les exportations de Maurice sont restreintes par l’octroi des permis d’importation. Nous avons sollicité le soutien du gouvernement afin de trouver une solution diplomatique.

BUSINESSMAG. Le sucre doit aussi composer avec la concurrence d’édulcorants comme la Stevia qui sont de plus en plus utilisés par les fabricants de produits alimentaires et boissons rafraîchissantes…

L’utilisation de sucre est actuellement menacée par, premièrement, une campagne anti-sucre à l’échelle globale et, deuxièmement, par l’utilisation d’édulcorants. Dans le premier cas, la limite recommandée par l’Organisation internationale de la Santé n’a pas été prouvée scientifiquement et a été contestée par la World Sugar Research Organisation et l’International Sugar Organisation, dont est membre le Syndicat. Quant aux édulcorants, ils se font effectivement un chemin et ont remplacé le sucre parmi les fabricants de boissons dans certains pays industrialisés, mais la décision de «swaper» serait peu économique. Le Stevia est également utilisé par certains fabricants de boissons, mais il semblerait qu’il laisse un arrière-goût dans le produit fini et devrait être adapté davantage.

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