Type to search

Interview Rencontre

Siré Sy : «Maurice devrait favoriser le passage des capitaux indiens vers l’Afrique de l’ouest»

Share
Siré Sy : «Maurice devrait favoriser le passage des capitaux indiens vers l’Afrique de l’ouest» | business-magazine.mu

Le Chief Executive Officer d’Africa WorldWide Group était à Maurice récemment pour animer une «master class» sur le thème : «Traité Dakar-Port-Louis : l’ouverture vers l’UEMOA*, la CÉDÉAO* et la CEMAC*». Il aborde les opportunités d’investissement qu’offre le Sénégal et propose quelques pistes quant à la stratégie à adopter par la partie mauricienne sur ce terrain.

BUSINESSMAG. Le Traité Dakar-Port-Louis, signé en 2002, a été réactivé cette année. Quels en sont les avantages et dans quelle mesure le Sénégal s’impose-t-il comme une terre d’investissement pour l’île Maurice ?

Le Sénégal s’impose comme une terre d’investissement pour les capitaux mauriciens pour au moins deux raisons. La première est qu’il s’agit d’un pays stable et ouvert. Il possède des infrastructures modernes et structurantes, une économie saine et compétitive, des ressources humaines de qualité, un cadre juridique et fiscal incitatif, un accès privilégié aux marchés régionaux et internationaux et une qualité de vie attrayante grâce à son «Téranga» (hospitalité).

La deuxième raison, c’est le Traité Dakar-Port-Louis, réactivé en 2015. Il permet, à partir du hub de Dakar, de toucher directement un marché de 80 millions de consommateurs dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et un marché de 300 millions de consommateurs pour ce qui est de la zone de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO).

BUSINESSMAG. De quels pays proviennent les investissements directs étrangers au Sénégal ?

Le Sénégal attire des investissements de partout à travers le monde : de l’Occident, avec la France et les États-Unis, notamment ; de l’Asie, avec la Chine et les pays du Sud-Est asiatique ; du Golfe, avec les Émirats arabes unis, le Qatar et l’Arabie saoudite ainsi que de l’Afrique, avec le Maroc, la Côte d’Ivoire et le Nigeria. En 2014, les investissements directs étrangers ont été poussés par le Plan Sénégal Émergent en faveur du développement des infrastructures, du réseau électrique, de l’agriculture, de l’eau potable et de la santé. Les flux d’investissements étrangers au Sénégal tournent autour de $ 300 millions.

BUSINESSMAG. Pensez-vous que Maurice soit une économie suffisamment mature pour faire partie de ces investisseurs ?

Tout à fait. Même si, par le passé, des initiatives de sociétés mauriciennes, comme le groupe Rogers et la Compagnie mauricienne de textile, n’ont pas mené aux résultats escomptés. Mais ça, c’était avant. En effet, le Sénégal d’aujourd’hui, comparé au Sénégal d’il y a dix ans, a complètement changé en termes d’environnement global des affaires, de sécurité juridique, de souplesse des lois du travail et de cadre incitatif. D’ailleurs, Maurice peut jouer sur deux registres au Sénégal et même au-delà. D’abord, en y investissant directement dans une optique de complémentarité d’une chaîne de valeurs ; en apportant aux entreprises sénégalaises ce qu’elles n’ont pas. Je veux parler ici de l’expertise de pointe et du transfert de technologie dans trois secteurs qui entrent parfaitement dans les chaînes de métiers mondiales et où Maurice est particulièrement réputé : les services financiers, la technologie et la démarche qualité (labellisation).

Seulement, Maurice, pour des raisons évidentes, ne devrait pas aller dans cette Afrique de l’autre côté (francophone) en suivant le même «business model» que la Chine, l’Inde ou le Maroc. À mon avis, Maurice devrait avoir une stratégie de pénétration des marchés très ciblée en termes de zones géographiques et ensuite se focaliser sur des secteurs bien précis où elle serait imbattable ou du moins incontournable. Cela, au lieu de vouloir être partout, donc nulle part, ou de jouer les seconds rôles.

BUSINESSMAG. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les opportunités d’investissement qu’offre le Sénégal aux Mauriciens ?

Les opportunités d’investissement au Sénégal sont nombreuses. Toutefois, celles qui permettront aux capitaux mauriciens de générer une haute profitabilité économique au Sénégal et à partir du hub de Dakar vers les pays de la zone UEMOA ont trait à l’économie des services. Il y a maintenant quelques secteurs où, s’ils ne sont pas les meilleurs, les Mauriciens font partie des meilleurs à travers le monde.

Par ailleurs, Maurice gagnerait à travailler pour devenir le «passage obligé», une sorte d’intermédiaire et de prestataire pour les capitaux indiens vers l’Afrique francophone, surtout dans un contexte où la Chine l’a enjambé en allant directement d’elle-même dans les Afriques.

BUSINESSMAG. Durant votre visite à Maurice, des entreprises ont-elles signifié leur intention d’investir au Sénégal ?

Il y a effectivement des entreprises qui sont intéressées par l’implantation de leurs activités au Sénégal ou dans la zone UEMOA. Mais il y a des étapes préalables à cela. Nous savons que les gouvernements ne sont pas encore prêts avec l’instrumentalisation du traité et le cadre institutionnel n’est donc pas encore propice. Cependant, il y a des initiatives privées qui ont démarré, que ce soit avec des études prospectives ou l’élaboration de produits spécifiques pour ces marchés.

Toutes les entreprises mauriciennes ne sont pas au même stade de préparation. À ce chapitre, nous avons été très impressionnés par la qualité de la démarche du groupe Swan qui a initié diverses pistes de travail depuis deux ans environ. Ils sont aujourd’hui prêts avec un certain nombre de produits formulés spécifiquement pour la zone UEMOA. C’est absolument remarquable, mais ce n’est pas un «miracle», comme vous dites ici. En fait, c’est le résultat d’un travail de réflexion qu’ils ont su mener en considérant leur corps de métier dans la perspective africaine puisque l’île Maurice est déjà trop étroite par rapport aux moyens qu’ils se sont donné pour grandir. Donc, il ne convient pas de limiter les ambitions mauriciennes à certains secteurs, mais il ne faut pas non plus que les entreprises ignorent la nécessité de faire un saut qualitatif lorsqu’elles engagent leurs réflexions sur l’Afrique. Pour en revenir au groupe Swan, il développe en UEMOA des partenariats avec des assureurs et «assisteurs» locaux et internationaux et est en mesure de proposer aux sociétés mauriciennes souhaitant se développer en UEMOA une série de couvertures tant pour les risques sur la personne que pour les biens.

Le groupe Swan peut aussi proposer à ces sociétés ses propres plans de retraite complémentaire privés ainsi que des couvertures médicales internationales pour leurs employés. Voilà l’exemple concret d’un groupe qui a su dégager une stratégie pour toucher un segment particulier et haut de gamme du marché de l’Afrique de l’Ouest, alors que d’autres en sont encore à considérer les images des reportages misérabilistes des médias occidentaux sur l’Afrique.

Le groupe Swan nous montre que la différence, c’est le vœu de faire la connaissance de l’autre. L’équipe de Louis Rivalland (NdlR : Group Chief Executive) est bien dans la logique de Jean-Claude de l’Estrac (NdlR : secrétaire général de la Commission de l’océan Indien) qui veut que l’Afrique se parle. Et ainsi, nous voyons concrètement que le groupe Swan, c’est l’Afrique qui s’apprête à aller à la rencontre de l’Afrique.

BUSINESSMAG. La partie sénégalaise, qu’a-t-elle entrepris jusqu’ici pour convaincre les investisseurs mauriciens d’engager des capitaux dans différents secteurs de ce territoire d’Afrique de l’Ouest ?

Une mission sénégalaise très importante, composée de 16 personnalités, a séjourné il y a quelques mois à Maurice pour relancer le Traité Dakar-Port-Louis signé en 2002, du fait que le potentiel de ce traité ne se soit pas traduit par des actes d’investissement conséquents depuis. Au-delà, il s’agissait aussi pour la partie sénégalaise de faire une revue d’ensemble, auprès des investisseurs mauriciens, des possibilités d’investissement qu’offre le Plan Sénégal Émergent - le cadre référentiel, d’ici à 2030, en matière de politiques publiques et de partenariats public-privé au Sénégal.

Toutefois, à la lumière des informations que je recueille ici, l’offre d’investissements sénégalais n’a pas véritablement convaincu la partie mauricienne qui s’est retrouvée avec des propositions bien plus élaborées que d’autres prétendants de la zone. Nous savons aujourd’hui que les offres d’investissements des pays comme le Ghana, Madagascar, la Zambie ont retenu l’attention des dirigeants mauriciens. Il va falloir que le Sénégal sache présenter ses atouts, qui sont pourtant très intéressants, et apprenne à parler à la partie mauricienne tout en améliorant son offre d’investissements.

* UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine

CÉDÉAO :Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale

Tags:

You Might also Like