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Interview Rencontre

Sudesh Lallchand : «Différencier entre la croissance numérique et la prospérité de la nation»

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Sudesh Lallchand : «Différencier entre la croissance numérique et la prospérité de la nation» | business-magazine.mu

Diplômé de l’université de Cambridge, Sudesh Lallchand est actuellement consultant international en projets, restructurations et stratégies financières. Il estime que notre modèle économique devrait être revu.

BUSINESSMAG. Que vous  inspire la crise dans la zone euro ?

Elle sert de leçon aux opérateurs économiques, aux gouvernements, politiciens, régulateurs et promoteurs du système capitaliste tels que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. C’est l’endettement à outrance, le manque de transparence et de bonne gouvernance, l’irresponsabilité sociale et l’immoralité professionnelle, la fraude et la corruption généralisées – un cocktail qui a provoqué des dégâts irréversibles au niveau de l’économie mondiale.

BUSINESSMAG. Voyez-vous le bout du tunnel pour bientôt ?

Bientôt, non, mais à moyen terme, peut-être. L’ironie veut que ceux qui sont à l’origine de cette crise vont se remettre beaucoup plus rapidement que les autres pays comme Maurice et Madagascar. D’ailleurs, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Japon, l’Australie et le Canada commencent déjà à sortir de la crise. Le taux de chômage en Amérique est de 7%, alors qu’à Maurice, il est de 9 % officiellement. Mais, d’après mon analyse, il se situe entre 13 et 15 % en réalité.

Notre climat économique actuel est morose. Le chômage augmente de jour en jour, les prix et l’inflation sont en hausse, et il y a une perception généralisée que la transparence, la méritocratie et la bonne gouvernance ne priment pas et qu’il y a une justice à deux vitesses. L’endettement du secteur privé de même que celui du foyer mauricien sont très élevés et la consommation interne est en panne. Bref, il n’y a pas de moteurs de développement ou de croissance qui émergent.

BUSINESSMAG. Vous dites que le modèle économique mauricien doit évoluer pour assurer au pays une croissance durable. Quels devraient être les contours de ce nouveau modèle ?

Notre modèle économique est dépassé et demande une refonte profonde et radicale. Il faut faire la différence entre la croissance numérique et la prospérité de la nation. Si elle n’amène pas de prospérité, une croissance numérique est une croissance trompeuse dont nous n’avons pas besoin. Par contre, une nation qui prospère assure une croissance durable et vice versa.

La croissance est un chiffre qui peut être artificiellement gonflé avec des investissements volatils et réversibles ou avec des projets ne générant pas obligatoirement de prospérité pour la nation. Par exemple, on peut entreprendre des mégaprojets d’infrastructures, s’endetter et dépenser des milliards de roupies dans la construction de routes ou d’immeubles, employer des milliers de gens de l’Inde, de la Chine et de l’Indonésie ; tout cela va automatiquement gonfler le chiffre de la croissance. Mais la question qu’on doit se poser, c’est si ces projets apportent la prospérité à la nation. Est-ce qu’ils aident à procurer de l’emploi à nos chômeurs ? Comment fonctionnera l’effet multiplicateur sur les revenus si cet investissement ne crée pas d’emplois pour nos jeunes diplômés ?

Comment peut-on avoir une croissance durable quand la classe moyenne – qui est le moteur de la croissance nationale – est en panne ? Quand 90 % des Mauriciens n’arrivent pas à épargner convenablement parce qu’ils sont trop endettés ou que le coût de la vie est trop élevé ?

On ne peut continuer éternellement à financer les budgets par des taxes sur les cigarettes et l’alcool alors qu’il y a des milliers de gens parmi nous qui touchent très gros, mais ne payent que 15% d’impôts.

BUSINESSMAG. Que proposez-vous ?

Le pays a besoin d’une nouvelle structure économique comprenant cinq éléments majeurs : (i) l’épanouissement rapide de la classe moyenne qui agira comme le moteur de développement à travers la consommation interne, comme c’est le cas dans les pays du BRICSIT (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Indonésie et Turquie) ; (ii) un climat social équitable et susceptible de redonner le moral et la confiance à la population, aux touristes et aux observateurs étrangers ; (iii) une nouvelle structure économique fiscale pour réduire le fossé entre les riches et les moins riches, en n’oubliant pas les efforts faits par des investisseurs en vue d’augmenter la richesse nationale ; (iv) une politique d’immigration et fiscale destinée aux étrangers qui viennent travailler et vivre à Maurice alors qu’il y a déjà tant de chômeurs mauriciens ; (v) une identification claire et un accompagnement poussé du gouvernement des secteurs économiques prioritaires pour augmenter nos revenus de l’étranger ou réduire nos importations.

BUSINESSMAG. Etes-vous inquiet de la baisse constante des taux d’épargne et d’investissement ?

Il faut cesser de croire aveuglément que l’éternelle potion magique préconisée par le Joint Economic Council, soit une baisse du taux de l’épargne et une dépréciation de la roupie, va résoudre le problème de l’investissement, de la croissance et du chômage.

En dépit du fait que le taux d’intérêt dans la plupart des pays développés est aujourd’hui proche de zéro, l’investissement, le chômage et la croissance n’ont pas réagi à cette baisse conséquente. En deuxième lieu, nos statistiques démontrent que malgré le taux de l’épargne à 16 % p.a. à Maurice – et de l’emprunt à 16-20 % pour les opérateurs économiques –, les années 2005 à 2007 ont été une période de profitabilité et d’investissement exceptionnelle. D’ailleurs, juste après cette période-là, le taux d’intérêt n’a cessé de descendre, mais la profitabilité, l’investissement et la croissance n’ont pas suivi.

Par ailleurs, un taux d’intérêt trop bas va décourager l’épargne, d’une part, et encourager, d’autre part, les compagnies à emprunter davantage pour financer leur développement et utiliser moins de fonds propres.

BUSINESSMAG. Le fait demeure que notre économie est basée sur l’importation et la consommation, et que le déficit commercial ne cesse de s’alourdir…

Un déficit commercial qui s’accroît signifie que le pays s’endette de plus en plus chaque année. L’importation grandissante, mais aussi les emprunts croissants du pays, pèsent lourd dans la balance. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose si les fonds empruntés sont utilisés pour promouvoir la croissance, le développement et la prospérité de la nation. Mais comme le déficit commercial est calculé en roupies mauriciennes, plus on déprécie notre monnaie, plus on augmente notre déficit commercial. Il faut une discipline fiscale et une vision pointue. Il faut freiner l’endettement inutile.

En outre, je pense que le ministère de l’Agriculture pourrait mieux encadrer et encourager les planteurs pour aider à dynamiser nos échanges commerciaux. L’Amérique, l’Europe, l’Australie, l’Inde, la Chine, le Canada, tous encouragent l’épanouissement soutenu de leur secteur agricole à travers des subsides très efficaces accompagnés de mesures de contrôle.

BUSINESSMAG. Quel est votre avis sur le conflit qui a surgi entre les Finances et la Banque centrale sur la croissance ? Le ministre des Finances fait comprendre que la Banque de Maurice doit se concentrer davantage sur la croissance plutôt que sur l’inflation. Quel est votre avis ?

Pour avoir une croissance réelle, il est impératif d’avoir une nation prospère. Or, la stabilité monétaire est la base fondamentale de tout ça, avec une stabilité des prix et un contrôle de l’inflation. Le Gouverneur de la Banque centrale voit juste en favorisant le bien-être de la population par rapport à une croissance qui peut être artificielle, numérique et trompeuse.

Par contre, l’inflation est quelque chose de très réel et visible, et qui pèse sur la population tout entière. Si le ministre des Finances pense que chaque baisse de taux d’intérêt contribuera nécessairement à la croissance, soit il est trop influencé par le secteur privé, soit il ne comprend pas l’économie.

BUSINESSMAG. La mise en place du Monetary Policy Committee (MPC) a-t-elle été une bonne chose pour l’économie ou ce système comporte-t-il des lacunes ?

La philosophie derrière la création du MPC n’est pas mauvaise, mais j’ai des réserves quant à savoir si le comité est en train d’atteindre son objectif premier, qui est de soutenir la croissance économique.

La constitution du comité et de possibles influences directes ou indirectes affectent son fonctionnement. Souvent, le voting patterntraduit un tug of warentre deux blocs distincts ayant des points de vue radicalement opposés, les membres externes s’opposant constamment aux représentants de la BoM pour baisser les taux d’intérêt.

De plus, inviter des étrangers à venir siéger sur ce comité implique des coûts énormes pour le public en termes de billets d’avion, d’hôtels cinq étoiles et d’allocations. Je me demande si ces gens consacrent assez de temps à maîtriser les problèmes fondamentaux de l’économie mauricienne et ses enjeux à chaque réunion du MPC.

La Banque centrale devrait être autorisée à fonctionner comme le principal décideur politique pour tout ce qui concerne l’inflation, les taux d’intérêt et la masse monétaire. Les membres externes du MPC devraient être là pour aider et assister la Banque centrale. Leur rôle n’est certainement pas de kidnapper le pouvoir décisionnaire.

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