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Édito

Capitaux russes : entre risques et opportunités

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Richard Lebon

Longtemps apathique par rapport à sa volonté de participer activement au développement en Afrique, la Russie entend bien rectifier le tir. À l’origine du chaos provoqué par la guerre insensée qu’il mène en Ukraine, Kremlin comprend pertinemment qu’il ne peut plus considérer l’Afrique uniquement sous le prisme de la coopération militaire, mais beaucoup plus comme un partenaire économique.

Le Sommet Russie-Afrique, qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg fin juillet, a été la démonstration de cette volonté de partenariat entre les deux blocs. Habile, le président Vladimir Poutine a su toucher la corde sensible, rappelant aux pays africains leur douloureux passé colonial tout en proposant l’alternative russe et d’inscrire le continent dans un nouvel ordre mondial multipolaire où les États de l’hémisphère Sud joueront un rôle plus prépondérant dans l’économie mondiale.

Oubliant trop vite les répercussions du conflit russo-ukrainien dont l’Afrique est une victime corollaire avec l’envolée des prix de l’alimentaire, certains dirigeants africains se sont laissé séduire par les promesses de livraisons gratuites de 25 000 à 50 000 tonnes de céréales, de l’annulation de 23 milliards de dollars de dettes ou encore des 90 millions de dollars d’aide au développement. Azali Assoumani, le président des Comores et président en exercice de l’Union africaine, a eu d’ailleurs ces propos forts de sens : «Quand la Russie gagne, l’Afrique gagne».

À peine deux semaines après la tenue du Sommet, la Russie est passée à la vitesse supérieure en s’attaquant frontalement aux États occidentaux qui lui sont particulièrement hostiles. Ainsi, Vladimir Poutine a, par voie de décret, annoncé que la Russie suspendait certaines dispositions des traités sur l’évitement de la double imposition et l’évasion fiscale conclus avec des pays désignés comme étant «unfriendly».

Les pays inamicaux concernés par les représailles de Poutine sont : l’Albanie, l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Canada, la Corée du Sud, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Japon, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, le Monténégro, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Macédoine du Nord, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, Singapour, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse.
La suspension de ces traités implique la fin de toute forme de coopération entre la Russie et la plupart des pays de l’Union européenne, de l’European Free Trade Association, de même qu’avec les États-Unis et le Canada concernant les détails des fonds détenus ou transférés entre ces pays et la Russie. Selon Russia Briefing, un bulletin d’informations quotidien portant sur le climat des affaires en Russie, il est fort probable que les capitaux russes détenus à l’étranger soient transférés vers de nouvelles juridictions plus hospitalières, à savoir, Dubaï, Hong Kong et Maurice.

Cette situation est, bien évidemment, extrêmement délicate. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement mauricien a choisi la voie de la neutralité, se contentant de lancer sporadiquement un appel à la paix et à la raison. Une posture qui a certainement joué en notre faveur.

Valeur du jour, l’on compte une cinquantaine d’investisseurs russes dûment enregistrés qui utilisent le centre financier international de Maurice pour leurs investissements transfrontaliers, notamment en Afrique. En cas de migration d’un gros volume de portefeuilles d’investissements d’autres juridictions vers Maurice, l’on devra observer une vigilance accrue. Nos procédures de diligence raisonnable et notre capacité à détecter des transactions suspectes seront testées comme jamais. Car si les mouvements de capitaux de la Russie vers notre juridiction sont tout à fait légaux, il est un fait que la Russie est sous le coup de lourdes sanctions financières, notamment de la part de Washington et de Bruxelles. Et le fait d’être un canal pour les investissements directs étrangers (IDE) sur l’axe Russie-Afrique pourrait faire qu’on soit placé sous le radar du Groupe d’action financière et de l’Organisation de coopération et de développement économiques.

Valeur du jour, la Russie ne représente que 1 % des IDE en Afrique selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Si les Russes sont honnêtes dans leur discours et investissent massivement dans des projets greenfield comme les énergies renouvelables, les nouvelles technologies, les industries extractives ou la construction, c’est une fenêtre d’opportunités qui s’ouvrira pour Maurice. Mais attention, en ces temps de tensions géopolitiques, aucun faux pas ne sera permis.

Par ailleurs, le prochain Sommet des BRICS prévu du 22 au 24 août à Johannesburg auquel participera le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, sera l’occasion pour ce groupe dont la contribution au PIB mondial dépasse désormais celle du G7, de préciser son ambition pour l’Afrique.

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