Dan Maraye: «Créer le déclic pour que le pays fasse un bond en avant»

La création d’emplois productifs et soutenables et l’élimination du gaspillage devraient être les deux axes prioritaires du prochain exercice budgétaire, estime Dan Maraye, expert-comptable et observateur. En outre, il trouve trop ambitieux certains objectifs de Vision 2030.

BUSINESSMAG. Il faut faire redécoller l’investissement, créer des emplois, relancer la croissance qui a chuté à 3,1 % l’année dernière. Le défi est énorme. Quels sont les messages forts que devrait passer Pravind Jugnauth  dans le prochain Budget ?

D’abord et avant tout, il faut éliminer le gaspillage au niveau des corps paraétatiques. Plusieurs institutions font la même chose. Le gaspillage est multiplié à travers les coûts fixes notamment. Par exemple, au lieu d’avoir le Board of Investment, la Mauritius Tourism Promotion Authority et la Financial Services Promotion Authority, il fallait créer un seul organisme qui chapeauterait ces  trois départements. Il faut un guichet unique pour faire la promotion du pays. Pourquoi ne pas créer une Mauritius Promotion and Investment Agency pour absorber les trois entités précitées ? Si Pravind Jugnauth s’attaque au gaspillage, ce sera un signal fort pour montrer qu’il means business. D’ailleurs, vous parliez d’investissement, elles sont un très  mauvais signal pour les investisseurs locaux et étrangers, qui doivent perdre du temps à aller frapper à plusieurs portes pour avoir des informations ou des permis.

Dans le domaine éducatif aussi c’est la même chose. Il faudrait une seule institution forte. Il y a plusieurs institutions qui tombent sous plusieurs ministères qui ne font rien ; pourquoi garder ces institutions ? Nous avons créé des éléphants blancs. Il faut aussi revoir le fonctionnement de la MauBank. C’est mal parti pour cette banque et c’est dommage car le financement des PME est un élément crucial car ce sont elles qui vont créer des emplois. Je pense que la MauBank peut absorber la Development Bank of Mauritius. À l’aéroport, c’est pareil, pourquoi avoir AML et ATOL ? Un seul organisme suffirait. En parlant de gaspillage, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse pour dire que les ministres n’auraient même pas dû accepter d’augmentation de salaires. Je continue de croire qu’il faut fusionner la Banque de Maurice et la Financial Services Commission. Il faut un seul régulateur pour toutes les activités bancaires et financières. D’ailleurs, Pravind Jugnauth a déjà évoqué cette fusion lorsqu’il était aux Finances. Mais il faut du courage pour faire tout cela. Espérons qu’il en a.

BUSINESSMAG. Pensez-vous que Pravind Jugnauth est «the right man in the right place» pour relancer l’économie à l’heure actuelle,  vu les défis sur les plans local et international ?

En tout cas, il aura l’occasion de le prouver avec le prochain Budget ! Il faudra qu’il crée le déclic pour que le pays puisse faire un bond en avant. Vishnu Lutchmeenaraidoo peut également lui apporter son aide et son expérience. C’est vrai qu’à l’intérieur du gouvernement, il n’y a, à part Vishnu Lutchmeenaraidoo, que deux députés qui ont l’expérience du ministère des Finances : Pravind Jugnauth et Xavier-Luc Duval. Le choix est tombé sur Pravind Jugnauth et c’est à lui de prouver ce qu’il peut faire pour faire l’économie s’épanouir en créant des emplois productifs et soutenables. Pour cela, il doit s’entourer de personnes compétentes et savoir choisir son entourage. Vishnu Lutchmeenaraidoo et Xavier-Luc Duval peuvent apporter leur aide et leur expérience.

BUSINESSMAG. Quoique Vishnu Lutchmeenaraidoo n’a pas été en mesure de concrétiser  le miracle promis…

Personnellement, je n’ai jamais cru dans les miracles. Cela n’existe pas. Et pour qu’un miracle puisse se réaliser, il faut l’effort de toute la population et surtout, il faut le bon guide ! À la base de tout progrès ou bond économique se trouve un leader fort, avec une vision bien définie pour l’avenir de notre pays. Le bond économique ne peut être réalisé que si tous les partenaires du développement économique, incluant toute la main-d’œuvre et l’intelligence, que ce soit du secteur privé que du secteur public, se mettent ensemble et regardent dans la même direction pour développer notre pays davantage. Il faut surtout éviter les projets «just to show off» et que nous ne pouvons nous permettre de réaliser en ces temps difficiles tant sur le plan local qu’international.

BUSINESSMAG. Dans le passé, Pravind Jugnauth  a marqué les esprits notamment avec  son projet de duty free island et de ciblage pour le paiement de la pension de vieillesse. Faut-il aller de l’avant avec ces deux projets ?

Le coût du ciblage peut être onéreux. Il faut bien réfléchir avant de mettre en œuvre ce projet. Je n’y suis pas très favorable. Pourquoi une personne dite ‘riche’ ne devrait-elle pas bénéficier de la pension de vieillesse ? Cette personne a certainement beaucoup contribué à l’économie, peut-être même a créé des emplois, elle a payé la taxe donc elle peut légitimement avoir droit à une pension de vieillesse. Le ciblage est, selon moi, une forme de discrimination.

BUSINESSMAG. Et pour le projet Mauritius duty free island ?

Le concept a été lancé par Pravind Jugnauth lui-même. Maintenant il doit venir de l’avant pour définir ce qu’il veut dire par duty free island et expliquer les objectifs du projet, comment il va le mettre en place et comment celui-ci va permettre de créer des emplois, etc. Le duty free island, c’est son bébé. Je ne serai pas étonné qu’il revienne de l’avant avec ce projet, s’il est cohérent avec lui-même.

BUSINESSMAG. Le chômage est en hausse alors que  Vision 2030 annonçait la création de 100 000 emplois en quatre ans. Vos commentaires ?

Certains objectifs de Vision 2030 sont hors de notre portée car trop ambitieux, étant donné la conjoncture locale et internationale. Par ailleurs, nous nous retrouvons avec un troisième ministre des Finances dans un court laps de temps. Je pense qu’il faut revoir les objectifs de Vision 2030 pour qu’ils soient plus réalistes.