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Fahmy Thabit : «Une politique commune pour attirer des investissements dans la zone»

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Fahmy Thabit : «Une politique commune pour attirer des investissements dans la zone» | business-magazine.mu

Les pays de la région ont des défis communs et gagneraient à travailler en étroite collaboration, insiste le président de l’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’océan Indien. Fort du soutien financier de l’Agence française de développement, l’organisme a récemment mis en place le Programme de renforcement des capacités commerciales.

BUSINESSMAG. Comment mesurez-vous l’importance de l’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’océan Indien dans la région ?

L’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’océan Indien (UCCIOI) est née en marge du premier forum économique des îles de l’océan indien qui s’est tenu à Madagascar en 2005. Elle est née du constat qu’il fallait que les chambres consulaires se rapprochent. Il y avait eu une réflexion pour mutualiser la complémentarité et le partenariat entre les opérateurs économiques, développer les échanges économiques et commerciaux, ainsi que pour promouvoir la région en termes d’attractivité et de compétitivité.

Durant les dix premières années, nous avons organisé sur une base annuelle un forum économique où l’on a eu des ateliers thématiques et des rencontres business to business. Des idées comme l’association Iles Vanille ont germé de nos discussions. Nous avons traité des problèmes que l’on connaît, que ce soit la connectivité maritime, aérienne ou numérique. Notre plateforme a permis de discuter de ces problèmes et d’interpeller les opérateurs économiques et publics sur les difficultés pour commercer ensemble dans la région.

Avec la signature de la convention avec l’Agence française de développement (AFD), l’on veut passer à une autre phase d’opérationnalisation de nos activités. Nous avons beaucoup parlé durant ces dix dernières années, mais le pourcentage d’échange entre nos îles est resté à 3 % de la totalité de nos échanges extérieurs malgré les nombreuses rencontres B2B que nous avons organisées. Les secteurs que l’on a identifiés sont : le tourisme, les métiers portuaires, la gestion des déchets et les Tic. Nous devons faire en sorte que les opérateurs de ces secteurs puissent collaborer.

BUSINESSMAG. Comment est né cet accord avec l’AFD et que va-t-il changer ?

S’il est vrai que nos îles sont proches, il serait aussi bon de souligner que nous ne travaillons pas suffisamment sur des projets communs. Chaque pays travaille avec les anciennes puissances coloniales qui les ont dirigées ou les pays émergents avec qui ils partagent des intérêts forts sur le plan économique.

Avec un commerce intra-régional à 3 %, nous nous sommes demandé quels sont les secteurs où nous pouvions travailler ensemble. Quatre secteurs porteurs ont été identifiés. Il faut savoir que les îles de l’océan Indien n’ont pas le même niveau de développement. Ce programme permettra de renforcer des pays dans certains secteurs à travers les opérateurs qui y sont engagés. L’AFD nous a aidés à mener une étude. Elle nous a montré comment travailler et réaliser cette coopération régionale. C’est de là qu’est parti le Programme de renforcement des capacités commerciales de l’Union des Chambres de Commerce de l’océan Indien (PRCC-UCCIOI).

BUSINESSMAG. Quelle est votre évaluation de la situation économique dans l’océan Indien ? Nos pays souffrent-ils toujours de la crise ?

Dans la zone océan Indien, il y a des PMA (pays moins avancés) comme Madagascar et les Comores, des pays à revenu intermédiaire comme Maurice, les Seychelles et La Réunion. Ces économies sont assez disparates. Malgré la crise, ils ont enregistré une croissance de leur PIB. Maurice, par exemple, a su initier les réformes nécessaires pour sortir de la crise. Aux Comores, jusqu’à l’année dernière, on a enregistré une croissance de 3,5 %. Concernant Madagascar, nous savons qu’elle vient de sortir d’une période assez trouble, mais il y a beaucoup de potentialités, avec un certain dynamisme noté dans le monde des affaires. La Réunion, qui est un territoire français, a connu un foisonnement dans ses entreprises et une croissance. Mais nous aurions pu sortir de cette crise plus vite. Nos pays possèdent certains avantages comparatifs que nous aurions pu exploiter. Nous pouvions nous aider mutuellement pour mieux nous positionner à l’échelle régionale.

BUSINESSMAG. Quelles sont les réformes qui ont été initiées par les pays de la région pour faire face à la crise ?

Tous les pays de la région sont des importateurs. Nous importons bien plus que nous exportons. Nous avons donc été touchés par la crise économique. Durant la crise, il faut dire que chaque pays a initié les réformes nécessaires pour pouvoir s’en sortir. Les pays moins avancés comme les Comores et Madagascar ont su restructurer leurs économies, s’engager dans des réformes en profondeur pour améliorer l’environnement des affaires. Les autres pays de la zone se sont également engagés sur la voie des réformes. Ce qui nous a permis de nous en sortir. Mais, avec une meilleure coopération régionale, cela aurait été nettement mieux. Et puis, les réformes ne se font pas au même rythme car nous ne disposons pas d’une zone régionale intégrée. Aux Comores et à Madagascar, il y a un manque d’harmonisation. Chacun se démène à son niveau. À l’échelle de la région, nous devons nous battre ensemble. Nous avons des défis communs, nous sommes plus forts ensemble que désunis.

BUSINESSMAG. Dans quels secteurs l’UCCIOI a identifié des avenues de coopération ?

Il y a d’abord le transport aérien et maritime. Nous n’arrivons pas à commercer au sein de la région car les pays sont très mal connectés. Il y a déjà une réflexion qui est lancée sur la façon de pallier ce manque de connectivité. C’est déjà un secteur à part entière qu’il faut essayer d’améliorer. Il y a aussi les Tic, la gestion des déchets et le tourisme. Il est plus facile de commencer par ces secteurs.

Dans le tourisme, il est très facile d’aller vers une coopération car toutes nos îles sont à vocation touristique. Idem pour les Tic. On ne parle pas que des opérateurs propres aux Tic, mais de l’impact de cette industrie sur d’autres secteurs clés comme l’agriculture, la pêche et le tourisme. Il faut essayer de trouver des dénominateurs communs pour amorcer une réelle coopération régionale.

BUSINESSMAG. L’essor de la région ne doit-il pas commencer par la libre circulation des personnes et des biens à travers les îles ?

Il s’agit d’un problème majeur. Je soulignais plus tôt que les opérateurs économiques ont beau vouloir travailler ensemble, mais qu’on n’arrive pas à avancer justement parce qu’il y a des freins, notamment dans la libre circulation des personnes et des biens. Pour aller à Maurice, Madagascar ou aux Seychelles, il n’y a pas vraiment de difficulté. Le problème, c’est surtout avec La Réunion. Cette situation freine l’intégration économique. Nous évoquons régulièrement la question lors de nos forums économiques, mais les choses ne bougent pas beaucoup. Si vraiment il y a une volonté politique pour aller de l’avant, il faudra y travailler.

C’est la même chose pour la libre circulation des biens. Dans la région, il y a des pays avec des niveaux de développement différents. La Réunion est un territoire européen avec des normes européennes qui ne sont pas appliquées ou applicables dans les autres pays. C’est un autre frein. Nous ne demandons pas qu’on lève ces barrières, mais il faudrait des normes communes à toute la région. Il faut aller vers le haut, protéger les consommateurs et avoir des normes qui puissent être acceptées dans tous les pays.

BUSINESSMAG. On parle d’harmonisation des normes. Le ministre des Affaires étrangères mauricien, Étienne Sinatambou, a évoqué un sujet sensible : l’octroi de mer qui est imposé sur tous les produits entrant sur le territoire français. Qu’en est-il de ces impôts qui freinent le commerce intra-régional ?

En effet, il s’agit d’un frein. Nous sommes dans une zone qui n’est pas intégrée économiquement, mais chaque pays appartient à des zones de libre-échange. Maurice appartient à la SADC et au COMESA, les Comores au COMESA, Madagascar à la SADC et La Réunion à l’Union européenne. Ainsi, les produits qui sont fabriqués à Maurice ne sont pas frappés des droits de douane à l’entrée aux Comores.

Il faut harmoniser les choses entre les pays de la région. C’est la raison pour laquelle nous avons dans la zone une tripartite qui se met en place. Ce sera une opportunité. Ce que nous n’avons pas pu faire entre nous, les organisations régionales africaines vont nous permettre de le réaliser. Il se posera toujours la question de La Réunion parce que c’est un territoire européen. Mais il y a des négociations avec l’Union européenne à travers les accords de partenariat économique (APE). Madagascar, Maurice, les Comores et les Seychelles doivent être partie prenante de cette initiative. En ce début de vingt-et-unième siècle, la question de positionnement de nos îles est cruciale. Nous sommes situés entre l’Afrique et l’Asie, deux régions à fort potentiel et avec des zones de libre-échange importantes. Les tripartites impliquent plus de 600 millions d’habitants. Nous avons tout à gagner en nous rapprochant de l’Afrique ensemble.

BUSINESSMAG. À l’heure actuelle, peut-on évaluer le PIB régional, le flux d’investissement dans les îles de la zone et la valeur des échanges commerciaux ?

Le PIB de toute la zone est de l’ordre de $35,5 milliards, soit de $1 600 par habitant. Certains pays ont des revenus assez élevés et d’autres très bas. Chaque pays a sa politique pour attirer les flux de capitaux avec des codes d’investissement qui leur sont propres. On sait qu’à Maurice, le code est très attractif. Mais il y a aussi de gros efforts qui sont faits à Madagascar et aux Comores pour attirer les investissements. Il y a un accroissement global des investissements globaux qui se fait au niveau de la zone. Il y a des pays qui attirent des investissements plus importants que d’autres. Mais il y en a aussi d’autres qui ont un fort potentiel. C’est l’une des rares zones au monde qui est sécurisée, qui ne connaît pas de tension, qui est relativement sûre. Il y a des pirates, mais ce phénomène diminue. Mon souhait, c’est d’avoir une politique commune pour attirer des investissements étrangers dans la zone avec une approche Invest in the Indian ocean. Avec une telle formule, nous serons tous gagnants.

Mais c’est le travail aussi de chaque chambre. L’UCCIOI est composée des chambres de commerces et d’industrie de chaque pays et nous devons être une force de proposition au niveau de nos gouvernements. Il faut une plateforme de dialogue public-privé pour améliorer l’environnement des affaires dans la zone.

BUSINESSMAG. Vous souligniez plus tôt le développement inégal dans nos îles. Comment en venir à bout ?

Cette inégalité n’est pas un frein. C’est plutôt une opportunité. Je le répète, chaque pays a un niveau de développement qui lui est propre. Et qui mieux qu’un pays de l’océan Indien pour connaître un autre pays de cette zone ? Prenons le cas de Maurice. Vos entrepreneurs investissent à Madagascar tout en étant conscients des problèmes qui y existent, car c’est un environnement qu’ils connaissent déjà. C’est une opportunité pour les entreprises de l’océan Indien car elles savent que nous avons encore beaucoup à faire, mais que nous avons aussi de l’expertise à partager.

BUSINESSMAG. Comment l’émergence de l’Afrique peut-elle profiter à la zone océan Indien ?

Les îles de l’océan indien sont d’abord des îles africaines. Ainsi, naturellement, nous devons nous tourner vers l’Afrique. Si autrefois l’Afrique était synonyme de guerre, de misère, aujourd’hui c’est complètement différent. Il y a eu le commerce dans l’océan Atlantique qui s’est développé au 19e siècle. Au 20e siècle, cela a été au tour de l’océan Pacifique avec les échanges entre l’Asie et les États-Unis. Ce siècle, j’en suis persuadé, ce sera celui de l’océan Indien où on aura beaucoup d’échanges entre les pays asiatiques et l’Afrique. Nous nous retrouverons en plein milieu.

Des pays d’Afrique de l’Est comme la Tanzanie, le Mozambique et le Kenya sont des marchés énormes. Nous pouvons y trouver un positionnement pour nos îles. Il y a aussi des échanges, des matières premières qui vont vers l’Asie. Pourquoi ne pas se positionner dans ce domaine pour pouvoir peut-être demain transformer ces matières premières ? Pourquoi ne pas se positionner au niveau maritime pour être un hub ? Nous avons des champions au niveau de l’océan Indien qui ont leur place dans ces grands marchés africains. Il y a de plus en plus d’entreprises mauriciennes qui réussissent dans les pays africains. C’est un exemple à suivre et à développer dans d’autres pays de la région.

BUSINESSMAG. Parlons de ces zones économiques spéciales qui se créent en Afrique et des possibilités de coopération. Beaucoup d’entreprises qui sont implantées en Afrique se plaignent, soutenant qu’elles ne peuvent réussir seules sans bénéficier d’un soutien de l’État. Votre avis ?

Nous avons besoin du soutien de l’État et d’une plateforme de dialogue public-privé. Or, nous ne sommes plus dans une période de guerre froide. Nos diplomaties ne doivent plus se focaliser sur la politique, mais sur l’économie. Les entreprises mauriciennes ont raison. Nos États, nos ministres des Affaires étrangères doivent être vraiment à l’avant-garde. Nous devons développer une diplomatie économique. Nous avons besoin du soutien de nos États. Ceux-ci sont suffisamment au fait pour discuter avec les pays africains.

Valeur du jour, les pays qui réussissent le mieux sont ceux où le secteur public et le secteur privé travaillent main dans la main. D’ores et déjà, nos chefs d’État et de gouvernement se font accompagner par une délégation du secteur privé lors de leurs visites officielles à l’étranger. C’est un gage de dynamisme. Il faut absolument que nos États comprennent que la diplomatie doit être beaucoup plus économique que politique.

BUSINESSMAG. Lors de la commission économique mixte Maurice-Réunion, on a évoqué la possibilité d’un partenariat entre les deux pays pour pénétrer l’Afrique. Quel sera le rôle des différentes Chambres de commerce et d’industrie de l’océan Indien dans le vaste dessein d’investir en Afrique ?

C’est justement un des points de l’accord du volet industriel du Programme de renforcement des capacités commerciales que nous avons signé. Nous avons un tissu industriel à La Réunion, à Madagascar et à Maurice. Nous avons un gros marché en face de nous. Il faut être outillé, être costaud pour y aller. Il faut que nous nous asseyions et discutions.

Bien sûr, nous pouvons avoir une concurrence à l’intérieur de la zone quand il s’agit d’exporter vers une autre région. Mais face à ce géant qu’est l’Afrique, il faut être armé. Pour y aller armé, il faut s’unir. L’union fait la force. Il y a des expertises à Maurice, à Madagascar, à La Réunion. Pourquoi ne pas unir ses forces pour aller conquérir ces nouveaux marchés ? Ce qui rend aussi ce programme intéressant, c’est que nos industries s’unissent dans certains secteurs. Mais dans les pays qui ne sont pas déjà industrialisés comme les Comores, par exemple, ce sera un programme structurant pour essayer d’avoir un tissu économique. Nous avons tout à gagner à travailler ensemble.

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