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Thierry Goder :«Pas de plein emploi sans une croissance d’au moins 6 %»

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Thierry Goder :«Pas de plein emploi sans une croissance d’au moins 6 %» | business-magazine.mu

Réaliste et pratique, le CEO d’Alentaris fait le bilan de la situation sur le marché de l’emploi. Dans la nouvelle économie du savoir, insiste-t-il, le maître-mot sera l’innovation. Quant au secteur éducatif, il est appelé à jouer un rôle essentiel : celui de préparer les apprenants aux métiers de demain.

BUSINESSMAG. Quelle est votre analyse du marché de l’emploi ?

Il y a un paradoxe sur le marché de l’emploi, car malgré la dynamique qui existe, l’on note une petite décroissance. Certains secteurs, considérés comme des piliers, dont les services financiers et les Tic, peinent à trouver certaines compétences. Ainsi, même s’il y a une dynamique dans le secteur des Tic, il y a aussi un certain ralentissement parce qu’il y a un problème à trouver certaines compétences.

Le secteur touristique est lui aussi dynamique. Il est en train de se refaire et c’est tant mieux pour l’emploi. Mais ce secteur est confronté à un débauchage des talents par les bateaux de croisière. Cela constitue un énorme défi à gérer pour le secteur hôtelier de pouvoir retenir ces talents et mettre en place de bonnes stratégies. Ce qui est inquiétant aussi c’est que nous notons une augmentation de chômeurs au premier trimestre. Le chômage a atteint 8,7 %. Cela prouve que certains secteurs ont du mal à recruter. Il faut réfléchir à une stratégie et voir ce qui ne va pas et voir comment nous allons réagir par rapport à cela.

Aujourd’hui, le Mauricien n’est aussi pas motivé à travailler dans certains secteurs comme le BPO, pour des raisons souvent culturelles et les horaires tardifs, entre autres. Quant au secteur manufacturier, il doit se tourner vers l’étranger pour trouver de la main-d’œuvre car les Mauriciens ne veulent plus faire ce métier.

Si on reprend l’exemple des Tic, ce secteur bouge très vite. Les ingénieurs, les développeurs et les informaticiens, n’ont pas le choix. S’ils ne veulent pas être obsolètes, ils doivent perpétuellement se former. Il faut aussi savoir que plusieurs entreprises indiennes et européennes qui viennent s’implanter à Maurice ont des difficultés à trouver certaines compétences locales. Le problème c’est que le manque de compétences est devenu un élément qui fait tiquer certains investisseurs étrangers. Nous sommes souvent sollicités par le Board of Investment pour rencontrer de potentiels investisseurs qui arrivent avec leurs projets et qui sont à la recherche de gens à employer. Les investisseurs s’intéressent à Maurice car le pays a beaucoup d’atouts, malheureusement nous sommes souvent obligés de leur dire que les compétences qu’ils recherchent ne sont pas disponibles localement.

BUSINESSMAG. Cette absence de compétences locales représente un coût additionnel pour l’investisseur car il doit faire venir des étrangers…

Je suis tout à fait d’accord. Mais il est important que l’investisseur soit informé de la situation dès le départ, dès qu’il vient présenter son projet. Nous préférons être francs avec eux plutôt que de les laisser découvrir plus tard qu’ils ne trouveront pas les compétences recherchées à Maurice. Là, ils risquent d’être vraiment déçus.

Certains secteurs comme le BPO peinent également à recruter, mais ce n’est pas par manque de compétences. Le problème vient du fait que dans le contexte mauricien, travailler jusqu’à 22 heures ou minuit comporte des inconvénients, en particulier sur le plan de la sécurité. Il est facile de dire qu’on va attirer les investisseurs étrangers, mais ces derniers ne comprennent pas comment la vie s’arrête à 22 heures ici, alors qu’en Europe et ailleurs, elle ne s’arrête jamais.

BUSINESSMAG. Il y a quelques années, on parlait d’introduire le système de flexi-time. Le pays est-il prêt pour une telle transition ?

Maurice doit être prêt pour le flexi-time s’il veut se positionner comme une plateforme régionale et développer des Smart cities. Depuis quelque temps, on ne parle que de Smart cities ! Est-ce que vous croyez qu’une Smart city va fermer à 22 heures ? Que tout va s’éteindre à 22 heures ? C’est irréaliste ! Une Smart city est une ville qui va rouler 24 heures sur 24. Maurice doit se préparer à mettre le paquet à ce niveau.

BUSINESSMAG. Le flexi-time implique avant tout l’amélioration de la sécurité et des facilités de transport, n’est-ce pas ?

Tout dépend de ce qu’on comprend par flexi-time. Il y a plusieurs formules, dont la plus simple qui consiste à arriver une ou deux heures plus tôt le matin et repartir plus tôt le soir. Le flexi-time vise avant tout à adapter les horaires de travail au contexte dans lequel nous opérons. Effectivement, avec les Smart cities, des villes qui vont rouler 24 heures sur 24, le pays devra s’adapter, avec une amélioration de la sécurité, de meilleures facilités de transport, des infrastructures correctes et des autobus corrects.

BUSINESSMAG. Outre les problèmes inhérents au marché de l’emploi, pourquoi n’arrive-t-on pas à faire baisser le taux de chômage ?

Il n’y a pas de croissance soutenue. On parlait d’une croissance de 4 % pour cette année, mais les économistes disent maintenant qu’on n’aura qu’une performance de 3,6 %. Cela alors que certains pays africains affichent des taux de croissance de 6 %, 7 %, voire 8 %, comme c’est le cas pour le Nigeria, le Ghana et le Kenya.

Il est un fait indéniable que lorsque l’activité économique est dynamique, la production est plus élevée et un effectif en plus grand nombre est nécessaire pour produire davantage de biens et de services. Lorsque l’activité économique est faible, les entreprises réduisent leur effectif. Il y a eu beaucoup de licenciements ces derniers temps. Le chômage augmente. Ceux qui cherchent leur premier job peinent à trouver chaussure à leur pied. Il faut des signaux forts du gouvernement pour que tous les acteurs de l’économie soient rassurés et motivés à investir pour créer le second miracle économique qui permettra à nos jeunes de trouver de l’emploi.

Certains secteurs ont connu une décroissance, à l’exemple de la construction qui tarde à recruter tant que les projets ne sont pas confirmés. Ce secteur a beaucoup souffert ces dernières années. Les entrepreneurs dans le domaine de la construction attendent beaucoup suite à l’annonce de projets de Smart cities, cela en vue de pouvoir soutenir les emplois dans ce secteur. Un autre facteur demeure aussi l’inadéquation entre les qualifications et les compétences demandées. Il y a aussi la problématique du manque d’expérience. Les entreprises sont souvent en quête de candidats qui ont une certaine expérience.Or, les jeunes universitaires n’en ont pas. Certains directeurs de ressources humaines se plaignent également qu’en dehors du curriculum appris à l’école, les connaissances des jeunes laissent à désirer.

Le chômage persiste aussi en raison d’un manque de qualifications, d’un manque d’études adaptées aux besoins du marché de l’emploi. Avec le développement dans le domaine des nouvelles technologies, nous n’avons même pas d’école d’ingénierie informatique. L’Université de Maurice propose un simple BTech in Computer Science, mais nous n’avons pas d’école spécialisée.

BUSINESSMAG. Maurice ambitionne de devenir un pays à revenu élevé. Les compétences locales sont-elles insuffisantes pour permettre au pays de franchir ce cap ?

Les économistes prévoient une croissance avoisinant les 3,6 %. Pour ramener une croissance plus forte, il sera nécessaire d’apporter des modifications aux politiques et aux institutions.

Nous sommes sortis de l’ère primaire, puis industrielle pour entrer dans le post-industriel. Les productions physiques (agriculture et industrie) ont perdu leur prééminence au profit du secteur tertiaire (les services). Le développement sera de plus en plus basé sur la connaissance, la créativité, l’innovation et l’information. Celles-ci sont devenues les nouvelles matières premières de l’économie moderne. Nous sommes désormais dans l’économie du savoir et la forme de capital la plus recherchée est le capital-savoir. Nous aurons besoin de plus en plus de compétences qui vont rejoindre les nouveaux services. Notre système éducatif et tertiaire doit obligatoirement s’adapter à ce que seront les nouveaux métiers de demain. L’innovation est la matière première de l’économie moderne. Nous aurons de plus en plus besoin de compétences pointues. Nous sommes condamnés à innover. C’est l’innovation qui apporte le succès, et plusieurs exemples sont là pour le prouver. Par exemple, le plus grand réseau de taxis au monde, Uber, ne possède pas un seul taxi. C’est ça l’innovation !
On parle désormais de développement durable, de green technology, d’énergies renouvelables, ce sont des secteurs où nous avons besoin de compétences. Ce sont les métiers de demain. Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait une fuite de cerveaux et que les jeunes préfèrent travailler à l’étranger où les choses bougent beaucoup plus vite et où les multinationales investissent davantage.

Maurice fait face à la problématique suivante : celle de produire des compétences qui pourront répondre à ses besoins, c’est-à-dire fournir des professionnels qui, de par leurs qualifications, seront en mesure de prendre de l’emploi aussitôt leurs études terminées et ensuite aspirer, à travers les différents types de savoirs acquis sur le terrain, gravir les échelons et devenir des cadres.

BUSINESSMAG. A-t-on des raisons d’espérer avec le Nine Year Schooling ?

Je crois que les bases sont jetées avec le Nine Year Schooling qui verra la création d’académies et la prise en considération de l’aspect académique, mais aussi du développement des talents des enfants. Mais il faudra aussi que le tertiaire s’adapte aux besoins de l’économie. On ne cesse de parler de Singapour, mais il faut aller vite. Il faut s’y mettre et voir la stratégie que nous devons mettre en place pour axer le développement du pays sur le capital-savoir.

BUSINESSMAG. Qu’en est-il du placement des jeunes dans les entreprises à travers le Youth Employment Program ?

Je suis un partisan du Youth Employment Program. Il motive les entreprises à employer des jeunes. Le problème des jeunes chômeurs réside aussi dans un manque d’orientation professionnelle. Celle-ci commence par le choix des matières à l’école et une connaissance de ce qui se passe dans le monde et les métiers d’avenir. De par la mutation que j’ai citée plus haut, une grande réflexion et une étude au niveau national sur notre système éducatif s’impose. Nos universités produisent-elles des diplômés ayant les compétences permettant de répondre aux besoins du marché ? C’est la question à se poser.

BUSINESSMAG. Le plein-emploi en 2017 comme annoncé par le ministre des Finances, est-ce un rêve ou une possibilité ?

C’est bien que le ministre ait fixé un objectif, mais nous devons nous donner les moyens de nos ambitions. Il n’y aura pas de plein-emploi sans une croissance forte, et si nous ne passons pas la barre de 6 %. Nous devons viser une croissance de 6 %. Je ne suis pas économiste et je ne sais pas si cette performance sera possible en 2017 ou 2018, mais elle sera réalisable si nous permettons aux entreprises d’investir, et si nous rassurons les entrepreneurs.

BUSINESSMAG. Quel est le potentiel sur le plan de l’emploi pour les Mauriciens dans la région ?

L’Afrique recèle un potentiel énorme. En 2014, à Alentaris, nous avons envoyé une vingtaine de professionnels mauriciens travailler en Afrique. La région est devenue une terre d’exploitation intéressante pour Maurice. Nous avons constaté que dans les multinationales qui investissent en Afrique, le Mauricien, de par son métissage, est souvent plus à l’aise que les Européens. Le Mauricien s’adapte avec une facilité déconcertante. Il arrive à se faire accepter plus facilement que les Européens.

BUSINESSMAG. Le gouvernement veut réduire le nombre de travailleurs étrangers. Est-ce une sage décision ou notre économie aura-t-elle toujours besoin de main-d’œuvre étrangère ?

Il y a certains métiers que le Mauricien ne veut plus faire. Il y a une nouvelle mentalité chez les jeunes, mais il ne faudrait pas qu’ils soient trop difficiles. Il faut souvent commencer au bas de l’échelle. Dans certains secteurs, on n’a pas le choix que d’avoir recours aux étrangers pour faire marcher les entreprises ; malheureusement le constat est ainsi. La main-d’œuvre étrangère est essentielle pour la survie de certains secteurs de l’économie. Je ne pense pas que les chefs d’entreprise le font de gaieté de cœur, mais parce qu’il y a des enjeux énormes, des délais à respecter. C’est le cas par exemple dans le secteur de la construction. Et quand ils ne trouvent pas de main-d’œuvre locale, ils doivent obligatoirement se tourner vers les étrangers. Dans les secteurs touristique et bancaire aussi, certaines compétences doivent être importées. Ces gens nous apportent leur expertise internationale, et finalement l’économie bénéficie de cela sur les court et long termes.

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