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Rencontre

Alain Vallet : «Avec le prix de l’essence, c’est une aberration de faire de l’éthanol»

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Alain Vallet : «Avec le prix de l’essence

Alain Vallet a quitté ses fonctions de Managing Director de Grays fin 2016 tout en demeurant directeur non exécutif du groupe Terra. Il revient sur l’historique de la compagnie importatrice de vins et spiritueux qui a su diversifier avec succès ses activités.

BUSINESSMAG. Quel était votre état d’esprit à votre départ de Grays, en décembre, lorsque vous avez laissé les rênes de l’entreprise à Alexis Harel après 37 ans de bons et loyaux services ?

J’étais heureux et serein, bien qu’un peu nostalgique de quitter cette merveilleuse équipe après tant d’années…

BUSINESSMAG. Engagée dans la distribution de vins et spiritueux mais aussi productrice de rhums, Grays a su se maintenir à flot contre vents et marées. Comment, à votre niveau, avez-vous participé à cette «success story» ?

Il faut d’abord se remettre dans le contexte de la fin des années 70 et du début des années 80. L’instabilité politique fait rage, le pays est empêtré dans le marasme économique, il est au bord de la banqueroute. À ce moment-là, les vins et spiritueux sont un sujet tabou et les droits de douane, exorbitants : plus de 600 % sur les whiskys importés, plus de 250 % sur les vins importés… Cette situation ouvrait grand la voie à un marché parallèle, au point où des plantons des plus grandes compagnies mauriciennes, à visage découvert, venaient approvisionner les cadres en alcool divers sur leur lieu de travail.

La création de Grays dans de telles conditions et son parcours au fil du temps demeurent ma plus grande fierté. Regroupement de la distribution connue sous le sigle HMC, de l’usine d’embouteillage (Ok Bottling), et création, dans ce but, d’une compagnie (Hamarel), Grays Inc. a été mon grand challenge.

J’ai eu la chance d’avoir comme président Jean Raymond Harel, qui a toujours soutenu cette jeune équipe. Au fil du temps, Grays - et sa flotte, les marques Whisper, Special, Rover, Tradition - a doucement et sûrement repris des parts de marché des alcools dérivés de la canne à Maurice. Notre premier slogan était Grays, la qualité en plus et nous avons toujours cette obsession au sein de nos équipes.

BUSINESSMAG. À quel moment Grays se lance-t-elle dans la production de rhums haut de gamme ? Dans quelles circonstances ?

Je me suis battu quasiment seul, pendant de nombreuses années, pour convaincre les autorités d’adopter la législation internationale sur la définition du rhum. Il aura fallu qu’un receveur des douanes étranger, en l’occurrence Bert Cunningham, soit choqué que l’île Maurice, meilleur producteur de sucres de qualité au monde, ne produise pas du vrai rhum pour que la situation se décante.

C’était simple, il ne fallait pas réinventer la roue. La Communauté économique européenne disposait d’une définition standardisée pour le rhum. Tout ce que nous demandions, c’est que l’Excises Act et la Customs Act soient revues pour convenir aux réalités du marché. Avec la bonne volonté de certains nouveaux ministres et hauts fonctionnaires concernés les amendements nécessaires ont été apportés à la législation. Dès lors, nous nous sommes mis à la tâche avec des partenaires réunionnais et nous avons débuté la production de rhums de grande qualité, aujourd’hui reconnus mondialement. New Grove (NdlR, marque de rhums phare de l’entreprise) est certainement une de mes fiertés et je lui souhaite d’être un jour celle de toute l’île Maurice.

BUSINESSMAG. Lorsque vous quittez Grays le 31 décembre 2016, où en est l’entreprise financièrement ?

En 1980, nous brassions un chiffre d’affaires de Rs 2 millions et subissions de grosses pertes. En 2016, notre chiffre d’affaires était de Rs 2 milliards et nos profits de Rs 100 millions.

BUSINESSMAG. Outre le marché des vins et spiritueux, Grays s’est positionnée sur différents segments de la grande distribution. Parlez-nous-en.

La grande distribution se porte relativement bien, à mon avis. Mieux pour certaines enseignes et moins pour d’autres. C’est un domaine très compétitif et les gestionnaires les plus innovants et compétents font évidemment mieux que d’autres.

Nous distribuons à tous les commerces, mais nous limitons notre gamme au seuil de prix adapté à chaque réseau de vente. Pour les produits de luxe, nous avons nos propres espaces de commercialisation - L’Occitane en Provence, Cocoon, Colors & Senses, et bien entendu 20/Vins - que nous gérons en interne. Nous y prodiguons des conseils à nos clients et leur offrons diverses facilités. Nous prévoyons par ailleurs le lancement de nouvelles marques.

BUSINESSMAG. Selon Statistics Mauritius, les exportations pour 2017 sont estimées à Rs 87 milliards et les importations à Rs 181 milliards, ce qui représente un déficit commercial de Rs 94 milliards. Votre analyse ?

L’île Maurice ne produit pas assez pour diverses raisons. Premièrement, les multinationales ont d’importants moyens de recherche et développement leur permettant d’acheter les matières premières en gros volumes et donc à moins cher. Par contre, il est impératif de protéger notre industrie. Il y a des choses essentielles à revoir : par exemple, la contribution des distillateurs aux planteurs pour la mélasse. Une contribution par litre d’alcool égale au prix même de l’alcool que nous pouvons importer. En plus, nous avons à acheter notre alcool produit localement, soit à plus du double du prix ! Par contre, si j’importe du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa), je ne paie aucune taxe.

Je suis d’avis que nous devons tous être solidaires des acteurs de notre économie, sucrière entre autres mais nous ne pouvons pas payer des taxes chez nous sans imposer au moins les mêmes sur les importations de produits similaires. Il faut un level playing field et nous pourrons peut-être améliorer notre déficit commercial.

Les autorités sont en train de considérer cette situation. Le groupe Medine et nous leur avons exprimé, en tant que distillateurs, nos préoccupations.

BUSINESSMAG. À votre avis, quels seront les futurs relais de croissance de Grays ?

Il s’agira de consolider notre présence sur le segment vins et spiritueux, diversifier davantage nos activités et trouver de nouveaux innovateurs. Consacrer aussi des efforts importants à l’exportation de nos rhums et produits associés. À savoir que nous avons démarré une activité d’embouteillage de produits divers en Ouganda. Au final, les projets ne manquent pas. The sky is the limit !

BUSINESSMAG. Qu’en est-il de la production d’éthanol ?

Avec le prix de l’essence aujourd’hui, c’est une aberration de faire de l’éthanol.

BUSINESSMAG. Le Chief Executive Officer de Terra, Nicolas Maigrot, annonçait l’an dernier dans ces mêmes colonnes l’entrée en opération d’un nouvel entrepôt. À quand l’inauguration ?

Nous avons eu une croissance soutenue ces dernières années et il est évident que nous avons besoin de plus de place. Nous agrandissons nos entrepôts et envisageons aussi de créer un nouveau chai afin d’augmenter la capacité de vieillissement en fûts de chêne de notre rhum. L’inauguration se fera dès que possible.