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Amal Mungur: «L’avenir de Maurice et celui de la canne sont indissociables»

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Amal Mungur: «L’avenir de Maurice et celui de la canne sont indissociables» | business-magazine.mu

Le président de la Chambre d’Agriculture porte un regard éclairé sur les différentes avenues de développement qui s’ouvrent aux acteurs de l’industrie cannière locale. Malgré les menaces qui pèsent sur le sucre, cette industrie, estime-t-il, demeurera un des piliers socio-économiques du pays.

BUSINESSMAG. Vous avez été nommé récemment à la présidence de la Chambre d’Agriculture. Quelles seront vos priorités durant votre mandat ?

J’aimerais d’abord rappeler que la Chambre d’Agriculture de l’île Maurice a été fondée en 1853 pour être un interlocuteur privilégié des instances publiques et représenter les intérêts du monde agricole. Depuis sa fondation, elle contribue activement au développement du secteur de l’agro-industrie du pays.

Les nombreux enjeux auxquels sont confrontés nos membres et la communauté agricole en général conduisent la Chambre à intervenir dans toutes les dimensions du développement agricole durable. Les priorités sont donc de rester à l’écoute de nos membres, de continuer à travailler en étroite collaboration avec les autorités et de s’assurer que les dimensions économique, sociale et environnementale demeurent au coeur d’une agriculture novatrice. La Chambre a aussi et surtout pour vocation de veiller à ce que la communauté agricole capitalise sur son expérience et sa pluralité pour consolider sa position stratégique dans une île Maurice qui n’en finit plus de se réinventer.

BUSINESSMAG. Après plus de 160 ans d’existence, estimez-vous que la Chambre d’Agriculture doit être repensée ?

Si la Chambre d’Agriculture a tenu plus de 160 ans, c’est forcément parce qu’elle a su s’adapter aux conditions changeantes jalonnant ce long parcours, d’où le respect qu’elle commande auprès de tous. Il est clair que la Chambre va poursuivre son évolution en fonction du développement de son secteur d’activité et des attentes de ses membres.

BUSINESSMAG. Concernant l’industrie cannière, quelle est votre analyse du rapport de Landell Mills Consulting sur «The economic, social and environmental impact on Mauritius of the abolition of internal quotas of sugar in the European market» ?

Depuis qu’il a été rendu public, ce rapport suscite des débats animés qui mettent en évidence la passion et la pluralité, mais aussi les attentes des principaux acteurs de cette industrie qui est, soulignons-le, à l’origine du peuplement même de notre pays.

Ce rapport fut commandité par les autorités dans la perspective de l’abolition des quotas sucriers européens en 2017. Le rapport de Landell Mills Consulting (LMC) et de son partenaire local, BDO, est une suite somme toute naturelle au «Multi Annual Adaptation Strategy 2006-2015» qui a en quelque sorte encadré la transformation de l’industrie sucrière en une industrie cannière. Aujourd’hui que ce processus est terminé, il est normal que la situation soit évaluée afin que la nouvelle industrie puisse se doter d’arguments pour faire face sereinement aux défis futurs, mais aussi pour que les attentes des stakeholders, surtout celles des planteurs plus vulnérables, soient satisfaites. Ce n’est certainement pas un hasard si les Terms of Reference de l’étude entreprise par LMC-BDO placent les planteurs à l’épicentre de l’industrie de la canne.

BUSINESSMAG. Quelle part de l’industrie cannière la production sucrière représente-t-elle aujourd’hui ?

L’industrie sucrière d’antan, c’est fini. Désormais, c’est de l’industrie cannière qu’il faut parler. Certes, le sucre passe par une période de baisse de prix, de turbulences et d’incertitude, mais il n’est aujourd’hui qu’une composante de cette industrie multifonctionnelle et diversifiée qui produit également, entre autres, de l’électricité à partir de la bagasse ainsi que de l’éthanol, du rhum, du fertilisant liquide et de la nourriture animalière à partir de la mélasse. Il faut arrêter de crier au loup, l’industrie de la canne a encore de beaux jours devant elle.

BUSINESSMAG. Le sucre mauricien se dirige désormais vers d’autres marchés d’exportation en sus de l’Europe. Que pensez-vous de cette diversification ?

Anticipant que le marché européen deviendrait de plus en plus volatil, le Syndicat des Sucres a déjà mis au point une stratégie de diversification des marchés pour les sucres mauriciens.

Pour la récolte 2014, par exemple, environ 10 % de la production, soit 40 000 tonnes, a été exportée vers des marchés régionaux sous forme de sucre raffiné. Un tonnage similaire de sucres spéciaux a été vendu sur une vingtaine de destinations hors Europe. L’eurocentrisme de nos exportations sucrières est une chose du passé et il ne fait aucun doute que la stratégie de diversification des marchés s’accentuera.

BUSINESSMAG. Dans quelle mesure le commerce équitable est-il bénéfique aux acteurs de l’industrie cannière locale ?

Il convient tout d’abord de préciser que c’est à l’initiative du Syndicat des Sucres que le système du commerce équitable (Fairtrade) pour le sucre s’est solidement implanté à Maurice ces dernières années. Quelque 5 000 planteurs produisant environ 22 000 tonnes de sucre et regroupés au sein de coopératives certifiées, bénéficient déjà des avantages liés au système, dont une prime additionnelle de USD 60 par tonne de sucre. Le sucre mauricien vendu sous ce label a jusqu’ici rapporté comme prime Fairtrade plus de Rs 150 millions aux coopératives de canne certifiées. L’objectif du Syndicat est de doubler à court terme le potentiel de sucre Fairtrade disponible et ainsi inclure un plus grand nombre de planteurs dans le système.

Hormis le paiement de la prime, le commerce équitable, qui est également un système de certification éthique, encourage la bonne gouvernance et favorise l’adoption des bonnes pratiques culturales et des principes écologiques. Les planteurs adhérant à ce système ne peuvent donc que progresser à tous les niveaux.

Ce n’est un secret pour personne que l’industrie cannière mauricienne a grand besoin de la canne des planteurs. Le commerce équitable, en sécurisant les planteurs financièrement et en créant les conditions pour une meilleure productivité, est appelé à devenir un maillon encore plus important de l’industrie cannière locale.

BUSINESSMAG. La culture de l’«Arundo donax», plus connu à Maurice comme le «fatak», constitue-t-elle une opportunité de reconversion pour les planteurs de canne à sucre ?

Nous avons voulu présenter l’Arundo donax comme une planche de salut pour les planteurs, mais une étude du Mauritius Sugar Industry Research Institute a démontré que cette plante est malheureusement de nature invasive et pourrait être source de problèmes dans un environnement à prédominance cannière. De plus, une importante centrale thermique vient d’annoncer qu’elle ne brûlera pas l’Arundo donax à des fins de production énergétique, en raison de complications techniques liées à sa combustion.

Il est vrai que le pays a besoin de produire davantage d’énergie à partir de sources renouvelables. La bagasse fournissant déjà quelque 17 % de nos besoins énergétiques, il y a là un potentiel en biomasse qu’il s’agit d’exploiter à fond. Pour ma part, je vois difficilement les planteurs s’engager massivement dans la production du «fatak».

BUSINESSMAG. À votre avis, l’avenir de Maurice réside-t-il dans l’industrie cannière ?

La canne et l’île Maurice, c’est une très longue et riche histoire. La canne nous appartient autant que nous lui appartenons. Ce n’est pas pour rien qu’on la retrouve dans les armoiries nationales. L’avenir de Maurice ne peut être dissocié de celui de la canne. Il ne fait aucun doute que cette industrie demeurera un des piliers socio-économiques du pays.

BUSINESSMAG. Quels sont les segments à exploiter, à ce jour, dans l’industrie cannière ?

Pour commencer, il faudrait optimiser le potentiel de la canne en termes de productivité, de teneur en sucre et en fibres. La production d’énergie à partir de la biomasse devrait aussi être plus efficiente. Je mentionnerai, en outre, une utilisation optimale de la mélasse afin d’en augmenter la plus-value, ainsi qu’une exploitation appropriée de la paille de canne pour la production d’électricité. Enfin, la recherche a besoin de renouveau car il est temps que nous sortions au minimum une variété de canne qui nous marquera au moins autant que la R570, une variété réunionnaise.

BUSINESSMAG. Les secteurs privé et public ont-ils suffisamment collaboré jusqu’ici en faveur de cette industrie ?

La métamorphose de l’industrie sucrière en une industrie cannière est le fruit d’un dialogue constructif et d’une étroite collaboration entre le gouvernement et le secteur privé, ce qui souligne l’importance stratégique de cette industrie sur le plan national. Ce projet est aujourd’hui bien avancé et il ne fait aucun doute que le partenariat public-privé se poursuivra positivement dans l’intérêt de tous.

BUSINESSMAG. Pour en revenir au rapport de Landell Mills Consulting, où en sont les travaux du comité mis en place par le ministère de l’Agro-industrie afin de soumettre des propositions y relatives ?

Ce comité qui s’est déjà réuni à quelques reprises a une tâche à la fois bien lourde et très peu enviable. Espérons que les propositions qu’il soumettra seront mûrement réfléchies et à la hauteur des attentes des principaux concernés, surtout les plus vulnérables.

L’industrie cannière mauricienne est à une croisée de chemins et doit impérativement évoluer. Gageons cependant qu’elle le fera de sorte que toutes les parties prenantes se sentent incluses et respectées dans le processus.

BUSINESSMAG. Votre position concernant l’agriculture bio ?

Dans le dernier Budget, le ministre des Finances a annoncé l’ambitieux objectif d’atteindre les 50 % de production bio locale d’ici à cinq ans. Sa récente visite à l’île de La Réunion s’inscrit dans cette même logique. Le développement d’une agriculture bio correspond à l’évolution des attentes des consommateurs et les agriculteurs n’ont pas d’autre choix que de s’aligner sur ces attentes.

Tout le framework devra cependant être repensé afin de s’adapter aux exigences de ces pratiques. En effet, la législation, la formation et la certification seront les éléments clés et moteurs pour une transition sereine de l’agriculture actuelle à une agriculture raisonnée dans un premier temps et une agriculture biologique à terme. Dans le cadre de son projet «Smart Agriculture», la Chambre d’Agriculture fait actuellement un état des lieux de la culture vivrière à Maurice, des pratiques culturales des planteurs et du taux d’utilisation des produits chimiques. Cette cartographie nous permettra d’avoir une vision globale du secteur et d’identifier les leviers sur lesquels nous pourrons obtenir des réponses rapides.

BUSINESSMAG. Comment l’île sœur peut-elle nous aider dans ce domaine ?

Dans le contexte du projet «Smart Agriculture», nous avons signé un accord de partenariat avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) de La Réunion. Le Cirad est un organisme de recherche français - le plus grand de la région de l’hémisphère Sud. Il a déjà une forte avance au niveau des réponses à donner aux producteurs pour réduire l’utilisation de pesticides en production vivrière.

Le gouvernement mauricien s’est aussi rapproché du Cirad et nous espérons que les négociations en cours pour avoir un représentant de cet organisme basé à Maurice au sein du Food and Agricultural Research and Extension Institute (Farei) porteront leurs fruits dans un proche avenir.

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