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Interview Rencontre

Dan Maraye: «L’ingérence politique rend nos institutions inefficaces»

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Dan Maraye: «L’ingérence politique rend nos institutions inefficaces» | business-magazine.mu

Avec le franc-parler  qu’on lui connaît, Dan Maraye, ancien Gouverneur de la Banque de Maurice (1996 à 1998), passe en revue le fonctionnement du Monetary Policy Committee et distribue des cartons rouges au ministère des Finances, aux institutions publiques non performantes, ainsi qu’au secteur privé.

BUSINESSMAG. Depuis les amendements à la Banking Act l’année dernière, la Banque centrale semble avoir perdu le contrôle sur le taux directeur. Est-ce grave selon vous ?

Les amendements apportés à la Banking Act l’année dernière reflètent la grande influence que l’Ouest a sur le décideur politique de notre pays, malgré la décadence du secteur financier des états-Unis et de l’Europe. Donc, le modèle de notre comité de politique monétaire a été calqué sur celui des ces pays. Il est clair que l’avant-dernière décision prise par ce comité en juin pour baisser le taux directeur de 25 points de base est le résultat d’un ensemble disparate. Ce n’est pas normal que certains membres proposent une hausse du taux et d’autres, une baisse. C’est déroutant ! Il faut que la réunion débouche sur un consensus, ce serait plus correct. Cet ensemble disparate s’est vu lors de la réunion de juin dernier et cela décrédibilise le comité de politique monétaire. Je suis d’accord qu’il y a des opinions différentes et c’est très sain, mais ce n’est pas normal d’avoir deux groupes qui tirent chacun de son côté. Le MPC est devenu un tug of war. En juin dernier, cela aurait été bien plus raisonnable, considérant ces points de vue divergents, qu’on garde le taux inchangé.

BUSINESSMAG. Pensez-vous que la décision d’amender la Banking Act l’année dernière a été prise sciemment, c’est-à-dire pour que le ministère des Finances ait davantage d’influence sur  la politique monétaire?

Je souhaite que cela ne soit pas le cas ! Sinon, ce sera dangereux pour notre pays. Malgré tout, il n’y a pas de problème lorsqu’il y a des différences de vues entre le ministère des Finances et la Banque centrale. C’est tout à fait normal, mais il faut finalement parvenir à un consensus. Il faut avoir le ‘give and take’, mais la politique monétaire c’est nécessairement l’affaire d’une Banque centrale et non d’un ministère des Finances.

BUSINESSMAG. Le Gouverneur de la Banque centrale dit que la politique monétaire a été « ultra accommodante », qu’elle a encouragé une consommation à outrance et l’endettement massif des ‘big corporates’. Qu’en pensez-vous ?

Le Gouverneur a tout à fait raison. C’est une situation dangereuse. On parle souvent d’endettement des ménages. Mais comparé au surendettement du secteur privé, l’endettement des ménages ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan. à ce stade, où en sommes-nous avec la forte croissance du crédit au secteur privé bien plus élevé que la croissance du PIB, cela peut entraîner une certaine déstabilisation de notre secteur financier. Donc, heureusement, que la politique monétaire prônée par la Banque centrale a été accommodante, mais jusqu’à un certain point. Aujourd’hui, avec le surendettement du secteur privé,  nous constatons déjà la fragilisation de certaines institutions financières et cela devrait inquiéter tous les Mauriciens qui ont l’intérêt du pays à cœur.

BUSINESSMAG. Vous dites que le crédit au secteur privé fragilise certaines institutions bancaires, mais  le niveau de Non Performing Loans (NPL) n’est pas très élevé. Alors, pourquoi s’inquiéter ?

Les NPL (prêts non productifs) ne sont pas fixes. Ils évoluent et espérons que ce soit dans la bonne direction et qu’ils n’empirent pas. Certes, on a vu que les banques ont fait de gros profits, mais il ne faut pas oublier que leurs comptes financiers sont basés sur ce qu’on appelle le « accruals concept». D’où le fait que même si les revenus sont inclus dans les résultats de ces institutions, ceux-ci n’ont pas encore été réalisés. Si ces mêmes revenus ne se concrétisent pas, là nous aurons un problème.

BUSINESSMAG. Le MPC est-il finalement la formule idéale pour un pays comme Maurice ?

Le MPC, tel qu’il existe actuellement, usurpe les pouvoirs de la Banque de Maurice. Si nous voulons d’une Banque centrale indépendante et responsable de la stabilité des prix, tel que défini par l’article 4 de la Bank of Mauritius Act 2004, le comité de politique monétaire actuel est caduc.

Les Banques centrales de plusieurs pays, qui ont réussi économiquement, ont un modèle bien différent où la politique monétaire se décide uniquement par un comité interne de la Banque centrale. Voyons l’exemple de l’Inde. Malgré une baisse de croissance économique historique et la pression exercée par le gouvernement et le secteur privé indien pour baisser le taux directeur, la Reserve Bank of India a quand même augmenté le taux directeur, il y a trois semaines. C’est une grande démonstration de l’indépendance d’une Banque centrale.

La politique monétaire c’est le bébé d’une Banque centrale. Si le pays se retrouve avec une inflation galopante, tout le monde sera prompt à blâmer le Gouverneur de la Banque centrale. On ne blâmera pas les membres de ce comité qui sont des personnes étrangères à l’institution.

BUSINESSMAG. Plusieurs observateurs, dont vous-même, ont souligné que la baisse du taux directeur n’a pas d’effet sur la croissance. Comment interpréter le positionnement du ministère des Finances ces derniers mois au sein du MPC ?

Effectivement, les décisions prises par le comité de politique monétaire en 2013 démontrent clairement que la baisse du taux directeur n’a pas d’effet sur la croissance. C’est clair, à mon avis, que les représentants du ministère des Finances au sein de ce comité font fausse route par un manque de compréhension du fonctionnement d’une Banque centrale.

BUSINESSMAG. Et que dire du secteur privé qui lui aussi plaide en faveur d’une baisse du Repo Rate ?

Le secteur privé prône une baisse du taux d’intérêt car il est surendetté, afin de payer moins d’intérêt. Le secteur privé refuse de prendre des risques et d’injecter du capital additionnel nécessaire pour diminuer son endettement. Il ne peut pas continuer à fonctionner avec un ratio d’endettement élevé. Le secteur privé exportateur, quant à lui, pense à ses propres intérêts et veut que la roupie se déprécie, mais il faut penser à l’ensemble de l’économie. Pour les exportateurs, avec l’inflation, la roupie va se déprécier automatiquement, et ce faisant, leurs revenus en termes de devises étrangères représentent bien plus de roupies.

C’est un peu égoïste de raisonner comme cela. Au contraire, il faut penser à l’ensemble de l’économie car nous sommes tous dans le même bateau. C’est fini aujourd’hui les gains réalisés sur la dépréciation de la roupie à travers les entrées en devises étrangères. Finalement, ce sont les pauvres qui souffrent le plus de l’inflation et de la dépréciation de notre roupie. C’est aussi le pays tout entier qui souffre puisque la facture d’importation est bien plus élevée que nos revenus
d’exportation.

La solution c’est que les entreprises injectent les capitaux additionnels nécessaires pour diminuer leur endettement. Cela aidera aussi à rendre notre système financier bien plus stable. On ne peut pas se fier, ad vitam aeternam, qu’aux emprunts et à la dépréciation de notre roupie. Ce n’est plus possible. Le secteur privé doit se repenser. Il continue d’avoir une gestion financière qui se pratiquait dans les années ’70. Je vous rappelle que nous sommes en 2013. Les entreprises doivent revoir leur « business model». Si elles veulent des profits, elles doivent prendre des risques, et pas des risques en empruntant davantage des institutions financières pour augmenter leur endettement. Il faut changer de modèle et démocratiser davantage le secteur privé. Je ne parle pas d’un groupe X ou Y,  je dis qu’il faut regarder l’avenir et ne pas stagner. Il ne faut pas avoir peur du changement.

BUSINESSMAG. Quel est votre avis sur la nomination d’étrangers sur le comité de politique monétaire ?

Il y a beaucoup de Mauriciens très capables dans ce pays et je ne comprends pas pourquoi nous devons aller chercher des étrangers pour siéger sur ce comité alors que cela coûte cher au pays. Aujourd’hui, avec l’Internet, on a accès à toutes les informations que l’on veut. Qu’est-ce que l’étranger va nous apporter de plus au sein du comité de politique monétaire ? Certainement, on peut avoir un conseiller étranger, il n’y a aucun problème à cela, mais ce conseiller doit s’asseoir ici et vivre ici pour vraiment maîtriser le fonctionnement de notre pays.

BUSINESSMAG. L’année a été marquée par les scandales liés au Ponzi Scheme, avec la mise au jour des lacunes de la Financial Services Commission. Vous êtes de ceux qui prônent que la Banque centrale absorbe la FSC. Quels seraient les avantages d’une telle configuration ?

En 1997, j’avais proposé qu’il y ait deux Deputy Governors pour épauler le Gouverneur de la Banque centrale. L’objectif était qu’un Deputy Governor serait responsable des activités bancaires et l’autre Deputy Governor prendrait la responsabilité des services financiers non-bancaires. Malheureusement, cette idée n’a pas été retenue et nous avons assisté à la création de la Financial Services Commission avec les coûts additionnels que cela comporte. L’inaction de la FSC suite à l’épisode des Ponzi Schemesdémontre clairement l’incompétence de cette institution et c’est finalement la Banque de Maurice qui a dû prendre les devants pour gérer la situation.

En règle générale, les opérateurs n’aiment pas un régulateur fort. Ils veulent un régulateur faible pour qu’ils puissent faire la pluie et le beau temps, comme c’est le cas avec le secteur financier.

En absorbant la FSC, automatiquement on éliminerait toutes formes de « regulatory gap » et on aurait une baisse substantielle des coûts de fonctionnement des institutions. Cela diminuerait aussi les risques de blanchiment d’argent et d’autres transactions financières illicites. D’ailleurs, comme ici on cite souvent Singapour comme modèle, je pense que c’est là un cas concret où nous devrions suivre le modèle singapourien, avec la Singapore Monetary Authority qui est le seul régulateur du secteur financier bancaire et non-bancaire.

BUSINESSMAG. Certains ont évoqué la nécessité de créer un Serious Fraud Office pour mieux combattre ce genre de fraude. Qu’en pensez-vous ?

On a déjà l’ICAC (Independent Commission Against Corruption), on ne peut dupliquer. Si on crée un Serious Fraud Office, que va-t-on faire de l’ICAC ? Notre problème c’est qu’il y  a déjà trop d’institutions dont plusieurs fonctionnent mal ou pas du tout.

BUSINESSMAG. Le secteur financier a pris de l’ampleur ces dernières années. Ne mérite-t-il pas comme c’était le cas dans le passé un ministère entièrement dédié, d’autant plus que les défis de ce secteur sont nombreux et que la concurrence est féroce ?

Pour un petit pays comme le nôtre, je pense que nous avons déjà trop de ministres, donc trop d’ingérence politique dans nos institutions, ce qui les rend inefficaces. L’influence du ministère des Finances dans le comité de politique monétaire est un cas flagrant. Donc, je vous dirais non, pour le bien du pays et du secteur financier. Il n’est pas souhaitable de créer un autre ministère, mal inspiré, comme c’est le cas du ministère de l’éducation tertiaire.

BUSINESSMAG. À quelques semaines du Budget, quelles devraient être les priorités du ministre des Finances pour relancer la croissance ?

Je ne pense pas que l’on doit mettre trop d’accent sur le ministre des Finances et le Budget. Nos problèmes sont beaucoup plus profonds. Il y a une mauvaise gestion de plusieurs ministères, beaucoup d’entre eux ne fonctionnent pas. Et ce  n’est pas du ressort du ministre des Finances. Le Budget ne va malheureusement pas aider à corriger tous ces problèmes. Il faut revoir le système de fonctionnement des ministères et corps paraétatiques. Il y a pas mal d’institutions qui bouffent notre argent sans nous offrir un service qui ferait honneur au pays. La priorité de l’heure est de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer le gaspillage des fonds publics et autres dépenses inutiles, comme cela a été le cas pendant plusieurs années. Par ailleurs,  il y a une duplicité évidente concernant plusieurs institutions publiques. L’élimination de certaines institutions est primordiale pour le bon fonctionnement de plusieurs secteurs du pays.

BUSINESSMAG. De quelles institutions parlez-vous ?

La Tertiary Education Commission, par exemple, est un exemple flagrant, mais il y en a d’autres. Que fait la Financial Intelligence Unit ? Et l’Independent Broadcasting Authority ? Pourquoi avoir l’IBA et l’Information and Communication Technologies Authority ?  L’IBA devrait être absorbée par l’ICTA, comme c’est le cas en Angleterre. C’est du gaspillage ! Et que dire de la Beach Authority ? Tout à l’heure vous me parliez d’un ministère additionnel, mais pensez-vous qu’on a vraiment besoin d’un ministère de l’Enseignement supérieur ?
Non ! Ce ministère n’a causé que des dégâts à notre système éducatif. Malheureusement, ce sont les réalités de notre pays que beaucoup de gens ont peur d’évoquer en public et ce n’est pas correct. Il faut écrire ou dire ce que l’on pense, sinon on laisse la situation empirer. Napoléon disait : ce ne sont pas mes ennemis qui me font du tort, ce sont plutôt ceux qui ne font rien quand ils savent que leur pays est en danger.

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