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Interview Rencontre

Jean-Bernard Gonthier : «Le secteur agricole peut se développer sans sacrifier la canne»

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Jean-Bernard Gonthier : «Le secteur agricole peut se développer sans sacrifier la canne» | business-magazine.mu

L’avenir de la filière cannière, l’impact des récents accords relatifs au maintien des subventions et les perspectives de développement pour le secteur agricole. Autant de thématiques que Business Magazine a abordées avec le président de la Chambre d’Agriculture de la Réunion.

BUSINESSMAG. La convention canne a été signée au mois de mai dernier, en marge de la visite du Premier ministre, Manuel Valls, à La Réunion. Dans quelle mesure cette étape est-elle importante ?

Nous ne pouvions pas démarrer la campagne sucrière 2015 sans signer cette convention, sans obtenir la garantie du maintien des aides à la production pour les cinq prochaines années (90 millions d’euros). L’accord entériné par les partenaires court jusqu’en 2020 et prévoit une revalorisation de la recette bagasse (qui correspond à une augmentation globale de un euro).  Cela faisait trois ans que cette recette était en diminution. L’année dernière avait été particulièrement difficile dans la mesure où le prix de la tonne de bagasse a connu une baisse de deux euros. On a également obtenu une garantie de compensation en cas de pertes financières liées à la concurrence d’autres sucres.

À titre indicatif, les Antilles étaient l’an dernier à 7,48 euros. Dans ce contexte, La Réunion s’en sort bien car elle a pu recevoir 9 euros par tonne de bagasse. Mais on savait pertinemment que le passage en dessous de la barre des 8 euros était inévitable. L’autre dossier concernera le prix de la canne qui n’a pas été revalorisé depuis plus de vingt ans et la question de la fin des quotas sucriers programmée à l’horizon 2017. À La Réunion, ce sont près de 5 000 agriculteurs qui cultivent la canne sur 25 000 hectares.

BUSINESSMAG. L’arrivée probable des sucres spéciaux vietnamiens sur le marché européen constitue-t-elle une véritable angoisse pour les agriculteurs réunionnais ?

Jusqu’à présent, nous avons la garantie sur ces sucres spéciaux d’écouler la moitié de notre production, soit 120 000 tonnes par an. Mais aujourd’hui, si on ouvre la porte au Viêt Nam, le risque, c’est que d’autres pays comme l’Afrique du Sud, ceux de l’Asie, et pourquoi pas le Brésil s’engouffrent dans la brèche et investissent le marché européen, concurrençant ainsi nos sucres.

La Réunion n’ayant pas l’exclusivité des sucres spéciaux, nous avons besoin  d’avoir une garantie de l’Europe pour préserver notre production, et plus généralement notre filière.

BUSINESSMAG. La canne à sucre  est aujourd’hui la culture la plus subventionnée à La Réunion. Pourquoi vous mobilisez-vous autant pour la préserver?

La canne, c’est un besoin vital pour notre île. Elle représente18 000 emplois directs, indirects et induits. La canne, c’est aussi un outil de protection du paysage réunionnais car elle permet de lutter efficacement contre l’érosion.

Faisons maintenant une comparaison avec les autres filières et raisonnons l’agriculture réunionnaise dans sa globalité. La canne représente 25 000 hectares de culture à La Réunion. Entre 11 000 et 12 000 hectares sont consacrés à l’élevage, 4 200 hectares au maraîchage, à la filière fruitière. Nous avons également autour de 6 000 à 7 000 hectares de terres en friche à récupérer ; des terres fertiles qu’il reste à exploiter.

Lors de la dernière élaboration des cahiers de l’Agriculture avec le Département, nous en étions arrivés à la conclusion qu’il nous manquait 800 hectares de cultures maraîchères et quelque2 000 à 3 000 hectares en élevage pour atteindre l’autosuffisance en 2020. En 2014, le taux de consommation en produits frais à La Réunion atteignait les 83 %.Si l’on considère l’ensemble de ces éléments, on voit bien qu’il existe des possibilités de développement sans toucher à la canne à sucre. Sur les terres à potentiel agricole encore vierges, on peut installer près de 800 jeunes. Des discussions sont en cours avec les acteurs publics et privés qui possèdent ces parcelles. L’objectif étant de pouvoir valoriser au plus vite ces terres riches.

Enfin, j’insiste sur un point. Il faut savoir garder l’équilibre qu’on a. Beaucoup d’exploitants se servent de leurs activités cannières pour se constituer une trésorerie et injecter ces fonds dans la diversification de leurs activités. Supprimer la canne reviendrait à les priver de cette manne.

BUSINESSMAG. Comment se déroule jusqu’ici la campagne sucrière 2015 qui a démarré le 15 juillet ?

Aujourd’hui, on s’aperçoit que dans certaines zones – le Sud et le Sud-Est plus particulièrement – la richesse n’est pas au rendez-vous. En revanche, le tonnage espéré est là. 2014 a été une mauvaise année avec moins de 800 tonnes récoltées. Pour cette campagne, les projections tablent sur plus de 1,9 tonne de cannes récoltées ; ce qui serait un très bon chiffre.

BUSINESSMAG. Concernant les jeunes exploitants, peut-on dire qu’il y a une crise des vocations aujourd’hui à La Réunion ? Quel est le profil des agriculteurs qui démarrent leur activité sur le territoire ?

Il n’y a pas de crise des vocations, mais un phénomène a été observé : les jeunes tardent à lancer leur activité. Les retraites de leurs parents étant basses, ils ont tendance à repousser leur départ. Les jeunes veulent s’installer. Des aides existent mais ce que l’on constate, c’est que chaque année, une quarantaine d’agriculteurs en moyenne s’installent à La Réunion grâce aux dispositifs d’aide, alors que 200 autres se lancent sans aucun soutien financier de la part des organismes publics. Cette situation interpelle .Une réflexion doit être engagée pour permettre aux jeunes de développer leurs exploitations dans les meilleures conditions.

BUSINESSMAG. Quelles sont aujourd’hui les forces de l’agriculture réunionnaise ?

C’est évidemment la vanille bourbon qui a su s’imposer comme un produit premium tant à l’échelle locale que mondiale. Elle a d’ailleurs souvent été primée pour ses qualités gustatives sur les marchés européens et internationaux. L’une des richesses de l’agriculture réunionnaise réside aussi dans sa production d’huiles essentielles. 95 % de cette production va à l’export. Depuis trois ans, la production locale de géranium a ainsi connu un regain d’activité. Compte tenu des nombreux débouchés sur le marché international tant en parfumerie, qu’en cosmétiques et en soins paramédicaux, il est certain que La Réunion doit continuer à valoriser cet atout. 

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