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Interview Rencontre

John Chung: «Le secteur financier commence à s’essouffler»

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John Chung: «Le secteur financier commence à s’essouffler» | business-magazine.mu

Il faut innover et moderniser le cadre réglementaire pour dynamiser les services financiers, observe John Chung, Partner & Head of Audit chez KPMG. Il évoque les changements majeurs qui devraient affecter le secteur de l’audit dans les années à venir dans le sillage des réformes initiées en Europe et aux États-Unis.

BUSINESSMAG. Les scandales financiers dans le monde ces dernières années tendent à pousser les régulateurs à regarder  de plus près le rôle des vérificateurs de comptes des compagnies. Quel a été l’impact de cette démarche sur le plan international et à Maurice ?

En effet, la profession d’audit fait face à des changements sans précédent en Europe et aux États-Unis.  Pour presque toutes les sociétés cotées en bourse, le rôle de l’auditeur apparaît clairement à l’ordre du jour des comités d’audit ou des conseils d’administration.

Plusieurs propositions sont débattues en ce moment par les autorités régulatrices européennes et américaines. Elles concernent notamment un changement obligatoire des auditeurs au bout d’une période définie de cinq à dix ans, la nécessité d’un appel d’offres obligatoire au bout d’une période définie, la rotation des associés (du cabinet comptable) responsables du dossier d’audit. Et la nomination de deux cabinets assurant la vérification des bilans financiers, ce qu’on appelle le joint-audit.

Jusqu’à présent, aucune de ces propositions ne fait l’unanimité. Par contre, il est clair qu’aucun auditeur ne pourra désormais rester en poste pour une période – semble-t-il indéterminée – comme cela a pu être le cas dans la passé. Chez nous, la seule réglementation dans ce contexte se situe dans le secteur bancaire, où l’Audit Partner responsable du dossier d’audit d’une banque commerciale doit impérativement faire de la place à un nouvel associé chaque cinq ans. 

Est-ce que cela est suffisant ? Une mesure proposée dans le dernier Budget pour faire avancer les choses est restée sans suite. Dans une certaine mesure, tout changement qui se fait à l’international aura une certaine incidence sur nous, car nous traitons déjà avec les filiales locales des multinationales.  Quoiqu’il en soit, le débat est lancé, mais je pense qu’il faut laisser quand même les grandes économies se décider avant que nous fassions quelques modifications à notre système d’audit.

Cela dit, les PIE (Public interest entities) mauriciennes cotées en bourse ont intérêt  à y réfléchir dès à présent, et se préparer aux conséquences de ces développements au sein même de leurs organisations.

BUSINESSMAG. La Financial Reporting Act a été amendée pour  un meilleur contrôle de la profession. Dans le concret, qu’est-ce qu’impliquent ces changements ?

La Financial Reporting Act introduite en 2004 avait déjà pour but de réglementer d’une part, les comptables et auditeurs qui offraient des services professionnels et, d’autre part, les entreprises d’intérêt public (PIE).  Elle avait aussi pour but de promouvoir la bonne gouvernance des entreprises publiques.

Suite aux mesures budgétaires annoncées en novembre dernier, deux nouvelles réglementations ont été émises pour les entreprises d’intérêt D’une part, les directeurs doivent maintenant fournir dans leur bilan annuel, une déclaration quant à l’ampleur de la conformité de leur société par rapport au Code national de bonne gouvernance. Là où l’entreprise n’est pas en conformité, elle va devoir s’expliquer sur les raisons. En retour, l’auditeur devra attester de cette déclaration. Ces deux mesures s’inscrivent au nom de la transparence et ont pour but de fournir encore plus d’informations aux investisseurs et aux membres du public qui ont un intérêt – de près ou de loin – dans l’entreprise. 

Je pense qu’à Maurice, les opérateurs et investisseurs sur le marché boursier n’accordent pas suffisamment d’importance à la bonne gouvernance. Malheureusement, beaucoup ne la voient que comme un mal nécessaire et qu’une obligation visant à se conformer à conformer au Code.

BUSINESSMAG. Quid du Financial Reporting Council ? Est-il apte à répondre à ces défis ?

Le Financial Reporting Council, en tant qu’autorité régulatrice, devient de plus en plus entreprenante avec des interventions plus régulières auprès des opérateurs et des actions beaucoup plus efficaces. Sous la nouvelle Financial Reporting Act, le FRC procède désormais à des inspections chez les auditeurs, en vue d’améliorer la qualité de l’audit de manière générale. Le FRC revoit aussi les bilans financiers et en cas de lacunes, l’organisme contacte les compagnies concernées afin qu’elles apportent les changements voulus.

BUSINESSMAG. Les services financiers font partie des rares secteurs économiques à bien se comporter actuellement. Comment maintenir cette dynamique dans le temps ?

Après plusieurs années très performantes, ce secteur commence à montrer des signes d’essoufflement avec des taux de croissance à la baisse. Nous faisons face à un monde en pleine mutation avec une concurrence féroce suivant l’émergence de nouveaux acteurs qui veulent tous jouer dans le même espace et des menaces sans précédent sur l’offshore. 

Il est plus que jamais nécessaire d’avoir une politique intelligente, de développer la coopération régionale et avec l’Afrique, et faire de Maurice une destination incontournable pour ceux qui veulent investir ou travailler en Afrique et pourquoi pas exporter nos services et notre savoir-faire. Maurice a développé quand même un savoir-faire qui  nous permet de nous attaquer davantage aux marchés internationaux et de jouer dans la cour des grands.  Pour réussir, l’innovation reste le maître-mot. La réglementation devra continuellement se moderniser en vue d’inciter les opérateurs étrangers à être présents dans le pays.

BUSINESSMAG. Sachant que l’application des GAAR a été repoussée à 2016 que fait-on entre-temps ? Les efforts sont-ils consentis pour améliorer le ‘Commercial Substance’ ?

Un des plus gros défis qui nous guettent est effectivement l’application bientôt des GAAR par le gouvernement indien.  Le Commercial Substance est plus une nécessité. Il faut que Maurice soit perçu comme ayant passé le cap de centre offshore financier pour devenir un centre financier international. Alors que beaucoup d’opérateurs dans ce secteur se contentent d’attendre un aboutissement favorable quant aux négociations éventuelles, d’autres ont déjà passé à un nouveau palier en vue d’être le moindrement affecté par ce changement probable.

Si rien n’est fait, 2016 risque d’être le début d’une période très pénible. Malheureusement, les professionnels du secteur financier  n’encouragent pas suffisamment le Commercial Substanceauprès de leurs clients. Or, cela est une démarche qui doit commencer très tôt, dès maintenant. Par contre, nous aurions des retombées positives si nous mettions  en place le commercial substance. à part de sauvegarder nos acquis, cela permettrait aux opérateurs d’augmenter leurs revenus.Le secteur financier a connu de beaux jours grâce au flux des capitaux vers l’Inde.  Je reste convaincu qu’il y aura quand même après 2016 du business à travers Maurice. Toutefois, d’autres pays emboîtent le pas à l’Inde. Déjà des pays comme l’Afrique du Sud et le Mozambique ont pris des mesures dont l’impact risque de nous affecter autant.

BUSINESSMAG. Comment redynamiser la croissance du pays en général et la rendre génératrice d’emplois ?

L’économie mauricienne reste tributaire de l’économie mondiale et surtout ce qui se passe en Europe. Il y a des signes qui nous permettent d’espérer. Entre-temps, il faut que les opérateurs profitent de ce moment pour se réinventer, revoir et ainsi optimiser leurs procédures en vue de rendre leurs organisations plus performantes. Côté emplois, avec tous ces jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail, il va falloir les inciter à devenir entrepreneurs dans leurs domaines respectifs. Nous devons promouvoir une culture de mobilité qui permettra aux jeunes professionnels de voyager et d’exporter notre savoir-faire vers les pays de la région et du continent africain.

Au niveau des infrastructures, il faut que les grands chantiers comme ceux dans le cadre du Road Decongestion Programme et le métro léger se mettent rapidement en place. Cela nous permettra d’injecter un nouveau dynamisme dans le pays  avec des avantages à terme. J’ouvre une parenthèse pour insister que le métro léger doit desservir Ebène, qui est le centre financier du pays, et Réduit, le centre d’éducation tertiaire.

BUSINESSMAG. Quel est votre avis sur les divergences qui existent entre le Gouverneur de la Banque de Maurice et le ministre des Finances ?

Nous avons devant nous deux importantes institutions qui ont leurs rôles respectifs à jouer. La politique fiscale et la politique monétaire ne font pas toujours bon ménage, ici et aussi dans d’autres pays. Il est sain d’avoir un débat d’idées, quitte à avoir des points de vue diamétralement opposés de temps en temps. Mais lorsque cela devient un conflit de personnalités et que les divergences s’accentuent dans le temps, cette situation finit par nuire au pays.

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