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Interview Rencontre

Penny Hack : «Le nouveau traité avec l’Afrique du Sud a été mal négocié»

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Penny Hack : «Le nouveau  traité avec l’Afrique du Sud a été mal négocié» | business-magazine.mu

Il ne peut s’empêcher d’avoir une once d’inquiétude suivant l’accord conclu entre Port-Louis et Delhi en vue de l’amendement de la convention fiscale. Penny Hack fait le point sur la situation dans le secteur du Global business et commente, par ailleurs, le bras de fer entre l’ICAC et le DPP.

BUSINESSMAG. En tant qu’avocat, comment réagissez-vous face à l’affaire Sun Tan impliquant le directeur des poursuites publiques ?Quelle est votre analyse de la façon dont la police et l’ICAC ont géré cette affaire jusqu’ici ?

Je ne commenterai pas les procès entourant cette affaire, mais il est clair qu’il y a conflit entre l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) et la force policière. Les deux institutions n’arrivent pas à accorder leurs violons.Même à l’intérieur de chaque institution, je perçois une confusion liée à des pressions, allons dire, obscures. Le résultat a été un désordre constitutionnel et juridique, mettant en cause nos conventions d’usage. Cela a eu pour effet encore une fois de mettre à l’épreuve le barreau et notre judiciaire.    

BUSINESMAG. Quel est le mood au sein de la communauté des avocats ? 

La situation esttendue au sein de la communauté légale. Quand la police essaye d’arrêter des avocats dans l’exercice de leursfonctions, la situation est très grave. Cela concerne notre droit fondamental et l’intérêt Les paroles du président de la Mauritius Bar Association décrivent clairement la gravité des choses.

BUSINESMAG. Diriez-vous que la police est devenue un outil politique ?

Disonsque nous constatons maintenant que rien n’a changé depuis le dernier gouvernement.On n’a rien compris. La récente élection nationale a été vaine et les victimes d’hier sont devenues les bourreaux d’aujourd’hui. C’est une politique œil pour œil, dent pour dent.

BUSINESMAG. Justement, le président du Bar Council déclarait récemment à notre confrère Week-End que «la police est en train de taper sur tous ceux qui sont critiques vis-à-vis du gouvernement.» Partagez-vous cet avis ?

Je pense qu’à partir du jugement en première instance contre Pravind Jugnauth, les coïncidences ne semblent plus être des coïncidences.Certains policiers, munis d’une protection invisible ou obnubilés par leur nouveau pouvoir, se comportent comme des abrutis de Dieu. Il va falloir les ramener à l’ordre.

BUSINESMAG. Le DPP aurait-il dû démissionner de la compagnie Sun Tan et a-t-il bien fait de participer à la réunion au ministère concernant la révision du prix du bail du terrain accordé à la compagnie? 

Encore une fois, je ne ferai pas de commentaire vu que l’affaire est sub judice, mais je peux dire que d’une façon générale, un fonctionnaire ou employé de l’exécutif a le droit d’avoir des intérêts privés, par exemple être actionnaire ou directeur d’une société. Mais ce même fonctionnaire ne doit pas mélanger ou confondre ses devoirs publics et ses intérêtsprivés. Une séparation est toujours à conseiller car un conflit d’intérêts est aussi une question de perception. Mais seule une cour de justice pourra déterminer s’il a eu raison ou tort, non un policier ou l’ICAC.

BUSINESSMAG. Les agissements du DPP depuis le début de l’année peuvent-ils être  «questionnable» selon vous, notamment ses décisions dans certaines affaires précises ou encore son choix de se justifier à travers des communiqués ? 

Prenant en considération son immunité constitutionnelle, il a toujours été possible de critiquer publiquement dans la presse ou de contester légalement en cour les décisions du DPP. La procédure légale normale est la Judicial Review. Vous pouvez même demander sa révocation en passant par une procédure spéciale établie par la Constitution. Faute d’une objection légale, il peut continuer à agir en toute légalité, avoir indépendance et discrétion dans l’exercice de ses fonctions, sans êtreinquiété, et cela bien que ses décisions aient été questionnées publiquement. 

BUSINESSMAG. Quelle est la solution à cette crise institutionnelle ? 

Analysons la situation. Il y un désaccord entre l’ICAC et la force policière en ce qui concerne la méthodologie d’une enquête, sur fond d’intrigue politique, le tout précipité par un jugement condamnant un prétendant au poste de Premier ministre, qui fera appel, maisdont le sort est aussi lié à une institution connue comme le DPP de par safonction. Et cemême DPP a un lien de parenté, avec des proches de l’ancien régime gouvernemental. La perception est aveuglante.

Cette crise de nos institutions n’est autre qu’une vulgaire bagarre de gangs pour le pouvoir, au frais de l’État. La solution estsimple : évincer ces deux clans de l’échiquier politique. La moitié du travail a déjà été fait. Un ancien Premier ministre a été arrêté à plusieurs reprises. Un futur PM a été condamné pour conflit d‘intérêts et son avenir politique est devenu précaire, et le présent PM  ne tiendra pas éternellement. Cette situation est presque une malédiction, ou peut-être un message qu’il est temps de laisser la chance à toutes les communautés confondues de prétendre au poste de PM, et pas simplement par intérim.

BUSINESMAG. Quel est le rôle du Bar Council, du chef du gouvernement et de la présidence de la République dans cette affaire ? 

Je constate que le Bar Council, sans crainte et avec bravoure, assume pleinement son rôle de rempart contre les abus de la force policière vis-à-vis de ses membres et du public, et je salue ceux qui se trouvent actuellement au front. Le chef du gouvernement de par sa position, et le lien de sang, a déjà pris position. En ce qui concerne Madame la présidente, j’ai l’impression qu’elle n’a pas bien compris son rôle. D’après la Constitution, elle a l’obligation en tant que chef de l’État, et commandant en chef de la République de Maurice, de défendre la Constitution et de veiller à ceque les institutions de la démocratie et le rule of law soit protégés ; que les droits fondamentaux de tous soient respectés ; et l’unité de la nation mauricienne, maintenue et renforcée. Après une simple déclaration à la radio bien en dessous de ce que requiert légalement la Constitution, mais pire, pendant que Rome brûle, elle a décidé de prendre l’avion.

BUSINESMAG.Venons-en au traité fiscal avec l’Inde qui soulève bien des appréhensions depuis ces dernières semaines.  Quel sera son impact sur les secteurs Global business et bancaire, notamment si les changements annoncés se concrétisent ?

Le problème de la renégociation du traité fiscal avec l’Inde a été malheureusement éclipsé par notre crise institutionnelle, mais l’impact pourra être très grave s’il a été mal négocié. Il ne s’agit pas seulement des 3 % de PIB du système financier, car grâce au traité, des milliards de dollars américains transitent par notre système bancaire avant d’être transférés en Inde. Si nous perdons ces dépôts, nous perdons aussi le gros de notre système financier, ce qui enclenchera par la suite une chute de la roupie mauricienne. Il y aura peut-être un effet boule de neige, car d’autres juridictions – environ une trentaine – pourraient nous demander la renégociation de leur traité respectif au même titre que l’Inde. Il y a aussi onze nouveaux traités en négociation, dont les juridictions concernées pourraient demander la même chose. Dans l’ensemble, nous pouvons parler d’environ 9 % du PIB qui serait menacé.

BUSINESMAG. Pensez-vousque le traité avec l’Inde aurait pu rester dans sa forme actuelle ?

Cela fait déjà des années que nous savons que le traité dans sa forme actuelleétait en péril. L’astuce conseillée à maintes reprises par l’industrie au gouvernement était d’éviter toute négociatione et de gagner du temps, afin de préparer d’autres marchés et activités. Malheureusement, cela fait huit ans qu’aucun ministre des Finances n’a voulu écouter ce conseil. Et nous y voilà aujourd’hui avec à peine deux années devant nous sans avoir vraiment préparé d’autres marchés et activités. Il y avait  beaucoup d’espoir sur l’Afrique du Sud comme alternative ; malheureusement, le nouveau traité a été mal négocié. Qui plus est, nous sommes en retard avec notre stratégie sur l’Afrique.        

BUSINESMAG. On évoque un potentiel énorme pour Maurice avec le marché de la dette. Y croyez-vous ?

Oui il y a un potentiel, mais nous ne sommes pas encore prêts pour tirer parti de ce potentiel. Reste à savoir si les opérateurs voudront convertir leurs activités pour travailler dans ce secteur précis. Il aurait fallu les prévenir à l’avance.  

BUSINESMAG. Le gouvernement explique qu’on n’a pas le choix que de changer le modèle actuel à cause du Base Erosion and Profit Shifting (BEPS), du Gujarat Financial Centre et de la compétition internationale, etc. Il évoque aussi le besoin de substance et de transparence. N’a-t-il pas raison sur ces points ? 

Personne n’est contre un changement de modèle ; au contraire il fallait l’appliquer après le krach  de 2008. Notre Financial Services Act 2001 est déjà périmée. Je comprends la logique du BEPS, mais l’Inde et l’Afrique perdent de l’argent principalement à cause d’une corruption interne incontrôlable, pas à cause des traités en place. Maurice se trouve actuellement sur toutes les listes internationales de bonne gouvernance, nous ne cessons d’augmenter notre transparence depuis dix ans, et  selon le bon vouloir de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous ne cessons d’augmenter nos critères en matière de substance au point de perdre tout notre aspect compétitif sur le marché international. Avec le nouveau traité entre Maurice et Inde, le Gujarat Financial Centre  aura un avantage énorme. Nous allons bientôt savoir qui avait raison dans cette histoire, encore un peu de patience...

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