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Interview Rencontre

Sanjay Mungur : «Le gouvernement veut revoir l’écosystème des PME»

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Sanjay Mungur : «Le gouvernement veut revoir l’écosystème des PME» | business-magazine.mu

L’élaboration du plan directeur dédié au secteur des petites et moyennes entreprises a été confiée à Empretec Mauritius. Le Chief Executive Officer de cette organisation aborde, pour Business Magazine, les principaux aspects de cette feuille de route portant sur les dix prochaines années.

BUSINESSMAG. Empretec Mauritius a été choisie par l’État pour réaliser un plan directeur relatif au secteur des petites et moyennes entreprises (PME) qui s’échelonnera sur les dix années à venir. Quelle est votre analyse de ce secteur ?

Aujourd’hui, le secteur des PME représente environ 125 000 entreprises. Ce chiffre regroupe les PME mais aussi les microentreprises, les «sole traders». Ces 125 000 entreprises emploient quelque 280 000 personnes et contribuent à hauteur de 40 % au produit intérieur brut (PIB). Ce qui signifie que Maurice, se situe au niveau de la moyenne mondiale, voire légèrement en dessous, en termes de contribution des PME au PIB. Cependant, je tiens à préciser qu’il y a des pays où ce pourcentage est bien inférieur. C’est le cas de certains pays européens ou du Pakistan. À Maurice, la situation s’améliore. Pour preuve, durant les cinq dernières années, nous avons franchi le cap des 37 % pour atteindre 40 %.

BUSINESSMAG. Qu’est-ce qui explique cette faible progression ?

Il est impératif de noter que de ces 125 000 PME, certaines ne sont pas encore opérationnelles, d’autres sont «dormant» ou encore inexistantes. En conséquence, à la fois la valeur ajoutée créée et le nombre d’emplois générés par ce secteur sont faibles. Ces deux éléments ont des répercussions sur la contribution du secteur au PIB.

Si certaines PME n’arrivent pas à opérer ou à s’agrandir, c’est que les gens, à Maurice, ne sont pas assez formés et renseignés en matière d’entrepreneuriat. Par exemple, on pense souvent, à tort, qu’une PME se résume à une seule personne polyvalente, qui gère la compagnie, s’occupe du marketing et de l’aspect financier.

Néanmoins, il y a bon nombre d’initiatives de la part du gouvernement pour essayer d’inculquer aux Mauriciens la culture des PME. Je citerai à ce propos la récente création de la MauBank et de MyBiz, un one-stop shop dédié aux PME. À travers ce dernier, le futur entrepreneur reçoit les conseils nécessaires avant de lancer sa compagnie.

BUSINESSMAG. Outre MyBiz, la MauBank et la Development Bank of Mauritius (DBM) remplissent quasiment les mêmes fonctions, c’est-à-dire de fournir, entre autres, des informations aux aspirants entrepreneurs et d’être des facilitateurs financiers. Ne pensez-vous pas que c’est excessif ?

Nous devons nous poser les questions suivantes : quels sont les rôles de certaines de ces institutions ? N’y a-t-il pas redondance ou chevauchement en termes de services offerts ? Si tel est le cas, il faut mettre sur pied des méthodologies afin que chacune de ces institutions puisse être un vrai catalyseur pour le secteur.

BUSINESSMAG. Le vœu du présent gouvernement est de faire du secteur des PME «l’épine dorsale de l’économie». Cette ambition est-elle réalisable ?

Je constate depuis un bon moment qu’il y a de réelles tentatives de faire du secteur des PME un des piliers de l’économie nationale. Je suis convaincu qu’il peut devenir l’«épine dorsale de notre économie». Il y a des pays où la contribution des PME au PIB est de 70 % et même plus.

Néanmoins, il faut d’abord créer le bon écosystème, le bon climat pour atteindre cet objectif. Par exemple, il devra y avoir une meilleure intégration des grosses firmes nationales et internationales de même que celle du gouvernement. Il ne faut pas oublier, en effet, que ce dernier est un acheteur important. Quant aux sociétés internationales basées dans la région de l’océan Indien, elles peuvent s’approvisionner en produits et services auprès des PME. De plus, il faut intégrer les PME dans divers secteurs de l’économie tel le tourisme, auquel elles peuvent fournir des équipements, entre autres. Grâce à cette intégration, la contribution du secteur des PME au PIB pourra franchir le cap des 40 %.

BUSINESSMAG. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la participation de l’État à la croissance de ce secteur ?

Il faut que le gouvernement offre l’encadrement nécessaire aux PME. À Empretec Mauritius, nous savons, par le biais de nos recherches, que seuls 17,3 % de ceux souhaitant démarrer leur entreprise ne peuvent le faire à cause de l’accès au financement. C’est un pourcentage relativement faible. Mais lorsque ces PME commencent à opérer, elles se mettent à vendre leurs produits ou services, à employer des personnes, à acheter des matières premières. Tous ces éléments constituent des frais généraux qui nécessitent des capitaux supplémentaires. C’est là que nous avons constaté que 63 % des PME actives commencent à avoir des problèmes de financement. À mon avis, nous devons avoir d’autres priorités. Jusqu’à présent, uniquement ceux ayant de brillantes idées, les dossiers les plus attrayants étaient financés. Mais aujourd’hui, avec le plan directeur, ceux dont l’entreprise a déjà démarré obtiendront également un soutien financier.

Je pense aussi que le gouvernement doit jouer davantage son rôle de facilitateur. Il ne faut pas oublier que c’est là son rôle et qu’il n’a pas pour mission d’interférer. Au lieu de financer les PME, le gouvernement peut faciliter l’intégration des Angel Investment Schemes au développement du secteur. Ces plans concernent les entrepreneurs qui ont réussi et veulent, à leur tour, aider ces jeunes qui démarrent leur compagnie. Ces «anges» souhaitent contribuer à l’avancement du secteur des PME. Avec le plan directeur, nous venons de l’avant avec cette idée d’Angel Investment Schemes. D’ailleurs, deux compagnies prospères se sont déjà montrées intéressées.

Le crowdfunding est une autre solution mais à Maurice, cette pratique est soumise à l’autorisation du commissaire de police. Nous sommes à la traîne à ce niveau car au moyen du crowdfunding, avec l’encadrement nécessaire, les PME peuvent avoir accès au financement beaucoup plus facilement, voire rapidement.

BUSINESSMAG. À ce jour, estimez-vous que les grandes entreprises du privé soutiennent suffisamment les PME ?

Déjà, en ce qu’il s’agit des banques privées, aujourd’hui, nous sentons qu’il y a un «high involvement». Ce, par le biais de différents services et autres formes de soutien. Les banques privées offrent beaucoup plus de plateformes aux PME et start-up pour les aider à progresser.

Au niveau des institutions privées, nous notons un effort de conscientisation. Elles essaient de mieux faire connaître leurs services aux PME. Les conglomérats du secteur privé vont dans le même sens, à travers les Angel Investments et Angel Funds, notamment. Je citerai ici Eclosia Angel Investment du groupe FAIL et la Turbine (NdlR : incubateur et accélérateur de start-up), du groupe ENL. Ils apportent l’encadrement nécessaire.

BUSINESSMAG. Le plan directeur élaboré par Empretec Mauritius a pour principale mission d’apporter plus de cohérence au secteur des PME. Donnez-nous quelques détails.

Avec ce plan directeur, le gouvernement viendra redéfinir, réorganiser ce secteur. Il n’englobera toutefois que des mesures prioritaires.

En premier lieu, nous nous sommes rendu compte que la formation est indispensable dans le secteur des PME. Or, actuellement, les procédures demeurent compliquées, le «training levy» n’étant remboursé qu’au bout de trois à quatre mois. C’est un aspect à revoir quand on sait que les PME font déjà face à des problèmes de financement. La formation demeure en outre importante pour créer une nation d’entrepreneurs.

Il est, par ailleurs, nécessaire de développer chez les jeunes une mentalité les incitant, dès qu’ils ont terminé leurs études, non pas à aller chercher un emploi mais plutôt à créer des emplois ! D’où l’importance de mettre sur pied un «National Entrepreneur Ecosystem». Dans ce nouvel environnement, on inculquera une culture de l’entrepreneuriat aux enfants et aux jeunes dès l’école primaire et ce, jusqu’à l’université. Je pense aussi que les institutions tertiaires, celles qui ont la lourde tâche de former les entrepreneurs de demain, devront songer à inclure dans leur programme d’études l’«Entrepreneurship Education». C’est vrai, il y a des cours en ce sens, mais selon moi il faudrait organiser des compétitions au niveau du primaire et du secondaire.

BUSINESSMAG. D’autres aspects seront-ils abordés ? Qu’en est-il des nouvelles technologies, de l’innovation ?

Un autre aspect à revoir dans le secteur des PME est le cadre réglementaire, soit tout ce qui touche aux permis et aux autorisations, entre autres.

Il y a aussi toute la partie du renforcement des capacités. À Maurice, les entrepreneurs font du marketing par le bouche-à-oreille. Si les PME peinent à faire une percée en Afrique, c’est que leurs techniques de marketing laissent à désirer. Il est important d’étoffer leurs connaissances dans ce domaine, pour qu’elles puissent cibler des marchés européens et africains.

Quant au transfert de technologie et l’innovation, ils seront effectivement des piliers du plan directeur. Il pourrait, par exemple, y avoir plus de start-up qui pratiquent les transferts de fonds numériques comme M-PESA, au Kenya. Une autre priorité est de faire de Maurice un laboratoire pour la création d’applications qui pourront être exportées vers l’Europe et l’Afrique.

«Let’s try to look at the whole plan for small and medium enterprises rather than try to solve small problems». C’est l’approche que nous comptons avoir en préparant ce plan directeur. Le gouvernement veut revoir l’écosystème des PME. Le but est de créer un environnement où les entreprises qui démarrent puissent le faire dans des conditions optimales. Aussi, le plan directeur se penchera-t-il sur le rôle des institutions dans ce secteur en vue d’encadrer au mieux les PME. Nous avons chaque année au moins 25 000 personnes qui arrivent sur le marché de l’emploi. «So you need to create jobs !»

BUSINESSMAG. Où en est actuellement l’élaboration du plan directeur ?

Le contrat en ce sens a été signé le 1er avril. Pour la création de ce plan directeur, Sunil Bholah, ministre des Affaires, des entreprises et des coopératives, essaie d’avoir la participation de tous les partenaires concernés par le secteur des PME. Ce qui est très intéressant. Évidemment, nous avons eu plusieurs séances de travail avec le ministère et rencontrerons bientôt Sunil Bholah.

De notre côté, nous désirons également rencontrer les parties prenantes des secteurs public et privé afin de nous mettre au courant de ce qu’elles font, d’avoir leur avis mais aussi de rectifier tout chevauchement ou manquement. Nous comptons, en outre, avoir des réunions avec les représentants de PME évoluant dans divers secteurs. Une étude sera en sus menée pour identifier les types d’entreprises en activité et les types de services qu’elles utilisent ou encore pour savoir si elles sont satisfaites de ces services. Nous voudrions enfin avoir leur avis quant aux raisons pour lesquelles les PME mauriciennes ont des difficultés à exporter leurs produits et services en Afrique.

Il faut savoir qu’une bonne dizaine de personnes d’Empretec Mauritius se pencheront sur l’élaboration de ce plan directeur qui verra le jour dans six mois. Parmi ces professionnels figurent des étrangers qui ont une très bonne connaissance de ce qui se passe ailleurs. Comme notre entreprise est l’hôte de la Global Entrepreneurship Week à Maurice, nous bénéficierons également du soutien de ce réseau dans notre recherche de «best practices».

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