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Clairette Ah-Hen: «On ne peut pas avoir un régulateur superpuissant»

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Clairette Ah-Hen: «On ne peut pas avoir un régulateur superpuissant» | business-magazine.mu

À quand remontent les arnaques financières relevant de la chaîne de Ponzi ? À la Financial Services Commission, on abat un travail de fourmi pour remonter à leurs origines, souligne Clairette Ah-Hen, Chief Executive de l’organisme régulateur du secteur financier.

BUSINESSMAG. Les allégations de fraudes financières continuent de pleuvoir. Comment en est-on arrivé là ?

Je vais aborder la question autrement. Nous avons constaté qu’avec le développement des services financiers à Maurice, les gens ont pris conscience du fait qu’investir est un bon moyen pour faire fructifier leur argent. Mais, en même temps, il y a eu la crise financière qui a impacté sur les rendements. Ce qui fait que bon nombre d’épargnants qui n’ont que les taux d’intérêt comme source de revenus se sont sentis obligés de chercher des produits alternatifs.

La campagne pour l’éducation des consommateurs que nous avons démarrée en novembre dernier nous a également permis de faire plusieurs observations à travers les questions qu’on nous posait. Ainsi, nous avons découvert que la connaissance de la masse se limite aux produits d’assurance et aux produits bancaires traditionnels comme l’épargne.

Nous avons donc fait comprendre à notre audience qu’il y a également des possibilités d’investissement en Bourse, mais que ce genre d’investissement n’est pas sans risque. Plus de risques équivaut dans un sens à un meilleur rendement. N’empêche, dans le cas de la faillite d’une entreprise, il y a également le risque de pertes.

C’est à partir de ce message que l’audience a commencé à réagir en nous interrogeant sur des offres de placement promettant un  retour sur investissement de 10 % voire plus en attirant d’autres investisseurs. Tout de suite, j’ai fait comprendre que c’est illégal.

BUSINESSMAG. C’est donc à partir de là que vous avez commencé à découvrir l’existence d’investissements pyramidaux ? 

J’ai même demandé à la personne qui nous avait posé la question de porter plainte à la police. Elle m’a répondu que cela ne pourrait pas se faire car elle n’allait pas recouvrer son argent. Bien que nous ayons cherché à lui faire comprendre qu’au moins cela évitera à d’autres d’être bernés par ce genre de proposition, la personne s’est montrée uniquement concernée par la façon dont elle pouvait récupérer son argent.

BUSINESSMAG. À quelle époque nous situons-nous alors ?

Je me souviens très bien du jour, c’était le 4 novembre 2012 à Triolet. 

BUSINESSMAG. N’y a-t-il pas eu un déclic à ce moment-là ?

Nous nous sommes dit que si de telles arnaques existent à Maurice, il faudra trouver des moyens pour mieux sensibiliser les gens et, en même temps, définir le cadre de notre intervention. Nous avons décidé que le meilleur moyen était de passer le message, que c’était illégal et qu’il fallait rapporter les cas à la police.

La Financial Services Commission (FSC) a également déployé les moyens nécessaires pour encadrer et conseiller ceux qui téléphonent pour dénoncer ce genre de cas. Le but était de chercher à avoir des contrats et de chercher à savoir si les opérateurs étaient enregistrés auprès de la FSC.

BUSINESSMAG. L’idée de départ était-elle de sensibiliser les gens sur le secteur des assurances ?

Vous devez vous rappeler du cas de Rainbow Insurance qui a été mise en liquidation. C’est dans ce contexte qu’il a été décidé d’aller vers le public en vue de mener une campagne pour mieux faire comprendre certaines questions à la population.

C’est dans le cadre de cette initiative que nous avons pris connaissance de ce nouveau problème et dont nous ne connaissions pas l’ampleur. Il fallait trouver des moyens pour encourager les gens à venir nous en parler d’autant plus qu’ils ne connaissaient pas la FSC.

La campagne a duré tout un mois. Ce n’est qu’en décembre qu’une personne nous a téléphoné – probablement la même qui avait évoqué la question lors du lancement de notre campagne en novembre – pour demander si la compagnie Profame détenait une licence de la FSC.

C’est là que nous avons eu un nom. Nous avons fait comprendre à la personne que cette société n’était pas enregistrée tout en lui demandant à voir le contrat qui la lie à cette compagnie. Et comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, elle a répondu que ces renseignements étaient destinés à un ami.

BUSINESSMAG. Sur la base de ce que vous avez vu et entendu avez-vous une idée à quand peut remonter cette pratique ?

Prenons la compagnie Whitedot, par exemple. Elle a été enregistrée en 2008, mais je ne crois pas qu’au début elle opérait dans ce secteur. Nous sommes en train de travailler sur la question pour essayer de remonter dans le temps et trouver les liens possibles qui existent.

BUSINESSMAG. Il y a une certaine perception que la FSC était dans un état de somnolence ?

Non ! Nous n’étions pas en train de dormir. J’ai entendu le nom de Profame pour la première fois en janvier.

BUSINESSMAG. Pour le citoyen lambda, ce sont les institutions régulatrices qui ont failli dans leur mission…

Vous savez, il y a beaucoup de contrats qui sont signés en privé. Est-ce que nous allons dire qu’il faut une licence pour chaque contrat qui sera signé ? Quelqu’un qui n’arrive pas à avoir un emprunt auprès d’une banque peut toujours avoir recours à un ami ou un proche. Est-ce que le régulateur va entrer dans toutes ces transactions privées ? Un régulateur est là pour contrôler les produits qui sont offerts au grand

La proposition qui était faite aux gens c’est d’apporter une somme d’argent contre un retour sur investissement de 10 % par mois. Appelez-le comme vous le voulez : dividendes, capital, investissement. Au final, ce n’était qu’un dépôt. Maintenant lorsque cela touche à la distribution et qu’il y a des Investment Advisers ou Investment Distributors impliqués, il est nécessaire d’obtenir une licence de la FSC.

BUSINESSMAG. Votre point c’est qu’à l’époque il était surtout question de dépôts ?

En regardant les contrats c’est ce qui a attiré notre attention. Même s’il y a une personne qui fait le démarchage, elle doit détenir un permis. C’est également le cas pour vendre des produits d’assurance. Le produit lui-même peut être un produit bancaire, mais s’il y a des gens qui font du porte-à-porte, il faudra voir comment le système était organisé.

Certaines personnes pensent que nous pouvons prendre des actions si nous découvrons des cas de détournement de fonds, ce n’est pas forcément vrai. Nous pouvons agir quand ce sont des détenteurs de licences émises par la FSC qui sont en cause. Cela ne veut pas pour autant dire que nous ne faisons rien. Nous procédons à une collecte d’informations et de preuves et au nom du secteur des services financiers, nous soumettons ces preuves à la police.  Voyez le cas d’Helene and Partners, par exemple. On dit que personne n’a porté plainte dans cette affaire. Pourtant, la police a expliqué que c’est sur les directives de la FSC qu’une enquête a été initiée.

BUSINESSMAG. La police est-elle équipée pour ce genre de délit ?

La FSC apporte son expertise technique à la police lorsque celle-ci en a besoin. Quand nous ne sommes pas sûrs et que d’après notre interprétation, la question n’est pas de notre ressort, nous demandons à la police à chercher d’autres avis.

BUSINESSMAG. Il y a justement une perception qu’au moment de l’éclatement de cette affaire, les régulateurs se sont renvoyé la balle au lieu d’assumer pleinement leurs responsabilités. 

Nous ne nous sommes pas renvoyé la balle. Ce sont les gens qui ont tenu de tels propos.

En même temps, il est faux de dire qu’on était en train de dormir alors que nous avons pris les devants depuis l’année dernière en réunissant tous les officiers des Citizens Advice Bureau du pays pour les sensibiliser sur la question afin qu’ils puissent disséminer l’information.

D’ailleurs, je pense que c’est la rencontre avec les officiers des CAB et notre campagne de sensibilisation qui a permis d’ouvrir les yeux au public sur ces pratiques illégales.

BUSINESSMAG. Ces scandales financiers trouveront tôt ou tard leur chemin dans les médias internationaux. Une telle situation ne risque-t-elle pas d’écorner l’image du centre financier mauricien ?

Non, nous partageons des informations avec d’autres régulateurs.Nous communiquons avec le Financial Services Board de l’Afrique du Sud et les autorités concernées en Angleterre. Tous nous disent que de telles fraudes existaient bien avant l’affaire Madoff. En Angleterre, c’est le SeriousFraudSquad qui a tous les pouvoirs. Cette fraude est un crime.

Il faut dire clairement que tous les crimes financiers seront sévèrement punis, c’est le message que Maurice doit passer à l’échelle internationale. Par ailleurs, si les peines sont très sévères, cela va contribuer à décourager les gens à se lancer dans ce type d’activité.

BUSINESSMAG. Ces fraudes découlent-elles de la sophistication rapide des services financiers à Maurice ou la faute revient-elle à une méconnaissance de la chose financière par les Mauriciens ?

Ces arnaqueurs ont exploité la crédulité des gens, en faisant un avocat signer le contrat. Mais lorsqu’un avocat signe, cela concerne uniquement l’aspect légal. L’aspect économique de la transaction n’est pas du tout crédible.

Je pense qu’avec le boom économique, lorsque les gens voient le développement qu’il y a dans les services financiers, ils pensent qu’ils peuvent devenir riches facilement, mais ils ne réalisent pas que ce n’est pas possible et surtout que les arnaqueurs ne vont leur faire aucun cadeau. Ne croyez pas que vous pouvez mettre votre argent quelque part et qu’avec un coup de baguette magique votre placement va doubler dans trois mois. C’est impossible !

BUSINESSMAG.  Face à ce déferlement d’allégations que compte désormais faire la FSC ?

La meilleure des choses que l’on puisse offrir à la juridiction et aux investisseurs étrangers qui viennent chez nous,  c’est de continuer à dire qu’on est un pays de droit, surtout que dans le domaine de l’investissement la réputation d’un opérateur est très importante, tout comme la réputation d’un régulateur et celle d’une juridiction. Il faut passer le message clairement qu’à Maurice, nous ne tolérons pas la criminalité en col blanc et que toutes les sanctions seront prises en cas de fraude.

àla FSC, nous y consacrons beaucoup plus de ressources. Nous allons continuer à expliquer aux gens la notion de risque et de retour sur investissement. En investissant, ils doivent prendre des précautions et rester vigilants. Tout le monde a un rôle à jouer pour éradiquer ce genre de crimes.

Je crois fermement dans le système de Checks and Balances. à la FSC, dès qu’une transaction louche est rapportée par le public ou d’autres instances régulatrices, nous allons voir sur le terrain.

BUSINESSMAG. Ne faudrait-il pas mieux encadrer les petits investisseurs ?

Dans le passé, il y a eu des initiatives comme l’Investment Club. Mais à mon sens cette structure était trop complexe dans sa manière d’opérer et cela n’a pas vraiment touché la population.

BUSINESSMAG. La FSC doit-elle être investie de plus de pouvoirs pour lutter contre les crimes financiers ?

Si on dit qu’on n’a pas suffisamment de pouvoirs, il y a toujours d’autres instances qui ont plus de pouvoir pour atteindre certains objectifs. Un régulateur ne peut stopper tous les actes criminels et disposer des mêmes pouvoirs que la police. Il n’a pas non plus les mêmes compétences.

BUSINESSMAG. N’est-il pas temps de mettre en place une brigade financière comme c’est le cas dans plusieurs pays comme la Suisse et le Luxembourg ?

 Ce serait dommage de dire qu’à Maurice, nous sommes arrivés à un stade où nous avons besoin d’une brigade financière pour agir contre les crimes financiers. C’est vrai qu’on ne peut mettre sur pied une telle unité du jour au lendemain, mais on peut toujours donner certains moyens à la police pour mieux mettre au jour ce genre de crimes et lutter contre eux. D’ailleurs, à la FSC, nous apportons toute notre collaboration à la police. Il faut un système de Checks and Balances. Ce n’est pas parce qu’il y a trente arnaqueurs, qu’on va tuer toute l’industrie. Ce serait peut-être mieux d’avoir un mécanisme approprié comme un SeriousFraudSquad. Parallèlement, il faudra aussi donner plus de facilités et de ressources à la cour pour que tous les jugements se fassent plus rapidement.

BUSINESSMAG. L’idée d’une fusion entre la FSC et la Banque de Maurice est à nouveau évoquée. Est-ce une solution ?

 Depuis la création de la FSC, on avait parlé d’un seul régulateur. Or, la régulation des services financiers comprend plusieurs fonctions : la politique monétaire, ce qu’on appelle  le Prudential, c’est-à-dire s’assurer que les  opérateurs ont suffisamment de cash pour qu’en cas de problème, ils puissent toujours payer leursPolicy Holdersou DepositHolders. L’autre volet concerne les compétences. Il faut réglementer l’offshore, le marché des capitaux et l’assurance. Le fait d’avoir deux régulateurs permet de mettre en place ce concept de Checks and Balances. Nobodyshouldbesopowerful. On ne peut pas avoir un régulateur superpuissant. Et le fait d’avoir un seul régulateur ne marchera pas. On dit que la FSC n’a pas vu venir les PonziSchemes. Mais on peut aussi dire que la Banque de Maurice n’a non plus rien vu venir. Est-ce que s’il y avait un seul régulateur, nous aurions trouvé ces Ponzi ?

Dans le cas d’une fraude financière, il n’y a pas que le régulateur qui a un rôle à jouer. Il y a tout un travail à faire au niveau de la police et sur le plan social, notamment au niveau des écoles. Tout le monde doit travailler contre le crime financier, tout comme on a commencé à le faire dans le cas de la corruption, par exemple. Tout le monde a sa contribution à apporter dans cette lutte contre la fraude financière.

BUSINESSMAG. Maurice a mis en place un mécanisme pour les échanges d’information avec l’Inde dans le cadre de notre traité fiscal commun. Ne pourrait-on pas s’en inspirer pour améliorer la collaboration entre la FSC, la Banque de Maurice et la Financial Intelligence Unit ?

 Nous le faisons déjà d’une certaine façon, mais c’est vrai qu’il faut que ce soit sur une base régulière. Avec la Banque de Maurice, nous le faisons chaque trimestre. Ce qui est important c’est que s’agissant du type d’information que l’on échange, tout le monde doit être informé à l’avance. Il faut savoir quels types d’informations seront échangées et si les parties prenantes sont d’accord, car il faut aussi s’assurer que l’on respecte les droits des investisseurs.  

BUSINESSMAG. Qu’en est-il de la situation dans le secteur du Global Business ? Y a-t-il des risques que des escrocs puissent utiliser notre secteur offshore pour ce genre de crimes ?

 Dans le secteur Global Business, pour avoir une licence d’opération, il faut fournir un Business Planaux autorités. Celles-ci verront si le projet est faisable. Si l’opérateur effectue tout changement à ce Business Plan, il doit en aviser les autorités. Le secteur du Global Businessest plus structuré et il y a plus de règlements et de garde-fous. D’ailleurs, les Management Companies doivent obligatoirement avoir un MLRO (Money Laundering Reporting Officer).

BUSINESSMAG. Le KYC (Know your customer) est à la base de toute transaction entre une institution et son client. Avez-vous l’impression que ce concept n’a pas été appliqué dans toute sa rigueur ces derniers temps ? Quel est le rôle des banques à cet égard ?

 Les banques aussi ont leur KYC. Il faut remplir toutes les cases même si certains peuvent dire que le système de contrôle devient lourd. Il faut ouvrir l’œil sur toute transaction douteuse. Quand un de nos Licenceesest impliqué dans une transaction louche, nous pouvons fournir des informations. Mais quand la transaction est faite par quelqu’un qui n’a pas de permis chez nous, on n’a pas d’informations sur les opérations de cette personne.

BUSINESSMAG. A-t-on vu la fin des Ponzi Schemes ou, au contraire, a-t-on ouvert une boîte de Pandore ?

Je pose la question : jusqu’où ira-t-on avec les sanctions ? Dans les cas de ceux qui ont investi et touché l’argent des autres ou ceux qui ont investi Rs 100 000, puis ont récupéré Rs 200 000, le DPP ou la police pourront-ils rassembler suffisamment de preuves pour dire si ces personnes-là détenaient « a proceeds of crime » ? Sur cette question, même les avis des hommes de loi divergent. Si on veut éradiquer la fraude complètement, on risque de se retrouver avec 1 000 personnes en prison.

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